I. EL OUADNASSI, J. KISSA
Service de Parodontologie
Faculté de médecine dentaire de Casablanca
Université Hassan II
RÉSUMÉ
Savoir traiter, c’est tout d’abord savoir motiver et pouvoir s’engager dans une relation de confiance avec le patient.
Se faire respecter, gérer les conflits et amener le patient à maintenir une hygiène bucco-dentaire adéquate exige quelques compétences en matière de communication et une connaissance suffisante en sciences comportementales.
Le but de cet article est de montrer l’intérêt de réussir à motiver un patient et de passer en revue les différentes méthodes permettant d’aboutir à des résultats prédictibles et durables pour un traitement parodontal optimal.
Mots clés : Motivation du patient, médecins dentistes, psychologie de la motivation, Hygiène bucco-dentaire, compétences relationnelles.
INTRODUCTION
Une des problématiques de la parodontologie, en début de ce 21ème siècle, consiste à obtenir de nos patients un contrôle de plaque performant, et ce, sur le long terme.
Toutes les tentatives pour pallier le manque d’hygiène bucco-dentaire semblent être un échec. Tous les outils d’hygiène bucco-dentaire sont précieux pour combattre la formation de la plaque bactérienne, encore faut-il s’en servir correctement (1-2). Par ailleurs, pour une meilleure efficacité à long terme, il est recommandable, d’apprendre les bonnes techniques d’hygiène aux patients (3).
La confiance du patient ne doit pas se limiter à l’assurance que le praticien est un bon technicien, que son diagnostic et ses gestes sont sûrs. Faire comprendre au patient que l’état de ses dents et de son parodonte a des répercussions sur l’ensemble de l’organisme, ceci s’avère un point important dans le partenariat patient-praticien.
En reliant les dents aux organes vitaux, le médecin dentiste prend toute sa dimension de médecin et de soignant. De ce fait, Il se positionne dans une relation soignant-soigné et s’éloigne des contingences commerciales. Alors créer de telle alliance revient à restituer au chirurgien dentiste sa véritable condition de clinicien (4).
Pour comprendre et modifier la relation qui existe entre le patient et son hygiène, le chirurgien dentiste doit identifier différents facteurs :
- Facteurs comportementaux (consommation de tabac, d’alcool …),
- Facteurs moteurs (habileté manuelle),
- Facteurs affectifs : la motivation.
Seule l’intensification de la motivation permet d’influencer la conscience du patient.
LES PARTICULARITÉS DE LA RELATION PATIENT-PRATICIEN
La relation entre le médecin et son patient est l’un des contrats les plus extraordinaires dans la société et dans l’histoire humaines. Deux étrangers se retrouvent dans un cadre confidentiel et privé : la consultation médicale. Un lien intense y est forgé dans un but thérapeutique.
Comme dans toute pathologie chronique, le patient et le parodontiste forment une alliance thérapeutique (2). Cette alliance implique que le patient, à un moment ou un autre de la consultation, va devoir s’allonger, accepter que les instruments pénètrent dans sa bouche et se laisser opérer en direct, les yeux grands ouverts. Cette pénétration est loin d’être neutre et le praticien risque d’être invasif, du moins dans l’imaginaire du patient (5).
Ainsi, le médecin dentiste est confronté à la douleur, à la souffrance du patient, ou simplement à sa peur de souffrir. En plus de la douleur, chez le parodontiste, les patients consultent pour d’autres soucis (mauvaise haleine, saignements spontanés, récessions, mobilité dentaire…). Dans ces cas, il ne s’agit plus d’une simple élaboration de faits objectifs mais aussi de leur rapport avec le passé, le présent et le futur. La mauvaise haleine par exemple a des implications sociales qui ne peuvent laisser indifférent. L’image personnelle est touchée.
Trois groupes de situations peuvent être définis dans lesquelles la relation est à risque (VANNOTTI et REY 1994a) (6) :
- Quand la communication entre praticien et patient est inefficace,
- Quand la coopération entre praticien et patient ne peut pas se faire,
- Quand il y a erreur dans la définition des buts à atteindre ou quand ceux-ci ne peuvent pas se modifier au cours du processus thérapeutique (7).
TECHNIQUES POUR ÉVITER DE COMPROMETTRE LA RELATION
Selon la commission centrale d’éthique médicale de l’Académie suisse des sciences médicales (1992), c’est au médecin que revient la responsabilité d’instaurer et de gérer le partenariat dans la relation en s’assurant de ce que le patient a réellement compris.
Les conditions de base pour instaurer ce partenariat se caractérisent par :
Le respect :
Traiter le patient avec respect signifie :
- Ne pas juger sa personne,
- Ne pas avoir de préjugés sur son comportement,
- Reconnaître explicitement les efforts dont il fait preuve pour aborder son problème.
La sincérité :
C’est une attitude éthique qui rend possible l’établissement d’une relation de confiance. Dans la consultation, le médecin postule, dès le départ, que le patient est sincère dans ce qu’il dit. Sans ce « postulat de sincérité », il n’y a pas de relation possible. Médecins et patients peuvent éprouver dans une consultation des émotions -même négatives- qui méritent d’être abordées avec sincérité (7).
L’empathie :
L’empathie (communication empathique) représente une source prodigieuse qui permet au patient de coopérer bien plus efficacement au traitement. Communiquer avec empathie signifie répondre aussi aux émotions observées chez le patient durant l’entretien. L’empathie occupe une place centrale et incontournable dans l’entretien médical (Vannotti et Rey 1994) (6).
La communication fait partie intégrante de la pratique médicale et ne peut être déléguée à des tiers. Un entretien de qualité et une communication efficace sont indispensables pour fonder une relation de confiance.
Les méthodes que l’on peut utiliser pour tenter d’obtenir d’un individu un changement de comportement sont différentes :
Techniques de pression psychologique :
Elles se sont développées à la suite du courant behaviouriste (Watson 1925) qui postulait que le comportement humain obéissait aux lois de la physique élémentaire et qu’une poussée pouvait faire passer un organisme de l’état de repos à l’action. De telles doctrines qui impliquaient une « domination absolue du médecin sur son malade » furent admises longtemps en médecine et en odontologie jusqu’en 1980 (Goldman et Cohen) (8), quand on a démontré que la plupart de ces notions détournées de la physique ne sont pas transposables aux sciences humaines.
En culpabilisant le patient, on déclenche des mécanismes d’angoisse et de peur. Le patient est particulièrement tendu et est alors dans une confusion mentale qui réactive toutes ses peurs, tous les messages anxiogènes liés aux dents. Il est capable d’être injuste, confus, agressif (9). Le patient peut même parfois refuser le traitement à cause d’un manque d’information et d’éducation appropriée (10).
Cette pression psychologique permanente sur les individus grâce à tous les moyens de communication n’est efficace que si elle est constante. Lewin, dès les années 30, a démontré que les sujets sous pression n’acquéraient aucune inertie propre et se relâchaient dès la cessation du stimulus (11). Si cette pression aboutit éventuellement à des résultats positifs, ceux-ci peuvent entraîner des résultats tout à fait négatifs par une sorte de blocage (1). Lewin a démontré que le sujet mis artificiellement sous tension pouvait être l’objet de désordres psychologiques (11).
Tant que cette tension n’est pas dissipée, tout geste, même le plus anodin, sera interprété négativement par le patient. Il n’y a alors plus de partenariat possible (9).
Conditionnement lié au plaisir :
Un conditionnement lié au plaisir, recherché positivement, aura une influence plus durable. Le travail de « motivation » sera peut être moins facile, mais plus agréable, puisqu’il ne s’agira plus d’une fuite devant l’horreur, mais plutôt de la recherche d’un certain plaisir.
On peut éveiller l’intérêt du patient en abordant les avantages de l’esthétique et de l’hygiène dentaire dans les relations sociales et affectives ; le plaisir de préserver sa propre denture dans des conditions parodontales saines... (12).
Il est important d’attirer l’attention du patient sur le confort et le bien être qui résultent de l’application de telles mesures d’hygiène bucco-dentaire, et plutôt que le culpabiliser ou lui faire peur, il faut le responsabiliser. Le patient joue un rôle considérable dans la réussite du traitement parodontal à long terme et sa collaboration à domicile est plus qu’indispensable (13).
La séance de motivation aura donc pour objectif d’informer le patient sur sa maladie parodontale, en lui présentant les symptômes de cette maladie. Il faut également informer le patient que l’inflammation gingivale constitue un terrain favorable pour que se développe une atteinte parodontale plus profonde.
Les résultats de l’examen radiographique sont commentés, les sites présentant une hauteur d’os normale et ceux présentant une résorption osseuse sont signalés. Le patient établit ainsi une corrélation entre la présence de plaque bactérienne et de tartre, l’inflammation et la localisation des sites atteints ; apparaît alors la nécessité de modifier sa technique de brossage.
Cette phase d’information vise à motiver la coopération du patient au traitement parodontal qui suivra, en réalisant quotidiennement un contrôle de plaque adéquat.
Les techniques cribles :
Si choquantes qu’elles puissent paraître, elles constituent pourtant le quotidien de la pratique parodontale. Le praticien (lassé d’un patient insuffisamment participant) et le patient (lassé des remarques du praticien), appliquent les techniques cribles sans le savoir.
Pendant la thérapeutique étiologique, le parodontiste devra donc décider de l’orientation à donner au traitement. Des trois éléments de la relation thérapeutique (patient, dentiste, traitement), le troisième élément étant le seul modifiable, le traitement sera adapté au comportement du patient.
A ceux qui ont un niveau d’hygiène suffisant, le traitement pourra être poursuivi. A ceux qui ne sont pas assez motivés, le parodontiste sera dans l’obligation de proposer une mise en maintenance directe sans passer par la phase chirurgicale. A ceux qui appartiennent à un groupe mal défini, il faut prolonger la phase du traitement initial afin de vérifier leur implication. Il est à noter que, souvent, les patients peu motivés changent de comportement au cours du temps et s’améliorent suffisamment pour bénéficier secondairement du traitement complet.
Les techniques d’écoute :
Les premières recherches dans cette voie datent des travaux de mayo (1930) aux ateliers Hawthorne.
Plusieurs études ont clairement démontré, que la possibilité offerte à un sujet (réticent à un changement comportemental) d’exprimer – sans aucune contrainte – la cause de son refus apportait une modification beaucoup plus durable par rapport aux méthodes de pression. Pratiquement, elles restent très difficiles à mettre en œuvre, il s’agit plutôt d’un état d’esprit de toute l’équipe dentaire autour du patient (11).
La satisfaction du patient est une alchimie qui repose sur un équilibre instable entre 3 données que nous devons identifier clairement et dont l’élément directeur est l’écoute du patient.
- Il y a d’abord : ce que voudrait le patient et qu’il a souvent du mal à exprimer et à préciser,
- Il y a ce que nous comprenons : qui détermine notre offre de soins,
- Enfin il y a ce que nous offrons.
A la croisée de ces trois domaines importants lors de la première consultation, on trouve :
- La qualité attendue exprimée par le patient,
- La qualité de l’écoute du praticien,
- La qualité de réalisation ; celle que nous offrons réellement.
En fait, la satisfaction est ce que le patient perçoit de ce que nous donnons, en fonction de ce qu’il attend : pour un service donné, les patients n’ont pas la même perception !
Même si le plan de traitement conseillé est pertinent, s’il n’est pas accompagné d’une explication montrant son adéquation avec la demande initiale, le patient ne sera pas totalement convaincu, et donc pas totalement satisfait; d’où la nécessité de bien connaître son patient et de communiquer avec lui (14).
La technique de liaison :
Un cas un peu particulier est celui du patient de bonne volonté mais sans volonté. Il est convaincu, mais il ne peut pas, prisonnier d’une routine quotidienne dans laquelle il n’arrive pas à intégrer ce temps d’hygiène. Pour ces cas, Weinstein et Getz (15) conseillent une méthode dite de liaison. Il est conseillé au patient de « lier » étroitement le nouveau « besoin d’hygiène » à une habitude déjà fortement ancrée dans le quotidien. La nouvelle habitude (brossage par exemple) devant être obligatoirement exécutée AVANT l’habitude établie qui elle, ne risque pas d’être oubliée. Par exemple, si le patient a pour habitude de regarder la télévision chaque soir, il devra brosser IMPERATIVEMENT ses dents AVANT (11).
La problématique reste la continuité dans le temps de ces méthodes de stimulation pour un meilleur impact sur le quotidien du patient. En effet, le souhait du patient est de maintenir une gencive saine. On pourrait penser que ce simple souhait devrait suffire pour le motiver ; l’expérience montre que ce n’est pas le cas. Le patient doit comprendre qu’en intégrant des soins bucco-dentaires intensifs, son quotidien sera bien plus modifié qu’il ne le suppose. Ce n’est pas une simple réorganisation progressive mais bien un recommencement quotidien tout à fait essentiel. Rien n’est plus difficile que de modifier une suite automatisée et bien rodée de comportements (16).
Cependant, il est important que le patient réussisse à intégrer ce temps d’hygiène dans sa vie quotidienne. L’action d’une prophylaxie individuelle a pour but de maîtriser l’accumulation de plaques dentaires supra-gingivale responsable du développement de la plaque sous-gingivale, beaucoup plus pathogène pour les tissus parodontaux et impliquée dans la progression des maladies parodontales (17). Il faut féliciter les patients à chaque visite. Ils seront fiers de montrer que leurs efforts (que le praticien n’a pas contestés mais soutenus) ont porté leurs fruits (18).
CONCLUSION
Si la formation du médecin dentiste est largement médico-chirurgicale, elle doit être aussi psychologique. Seul un praticien ayant une connaissance suffisante en sciences comportementales pourra bien motiver et satisfaire les besoins de ses patients. L’établissement d’un rapport de confiance constitue la base de tout traitement dentaire réussi.
BIBLIOGRAPHIE
1- B. Collaert, H. De Bruyn, L. De Brabanter, prophylaxie des parodontopathies et hygiène dentaire. EMC 23 447 E 10. 1995, 4p.
2- C. MICHEAU, le contrôle de plaque en parodontologie : méthodes d’information au patient. Inf dent n°4. 24 janvier 2001.
3- Christian Verner et Michel Sixou ; le contrôle de plaque aujourd’huit (1° partie). L’information dentaire, n°33, 1°octobre 2003.
4- Alain AMZALAG (en collaboration avec L’UFSBD, Comment favoriser l’alliance thérapeutique? L’INFORMATION DENTAIRE n°13 – 29 Mars 2006.
5- Alain AMZALAG, En quoi la relation du dentiste et de ses patients est-elle particulière? L’INFORMATION DENTAIRE n°13 – 29 Mars 2006.
6- VANNOTTI M. et REY H., psychiater, behandelnder Arzt und Familie. Familien dynamik 2: 160-174 (1994a)
7- Marco VANNOTTI, Médecin-patient : une relation à risque ? Rev Mens Suisse odontostomatol, vol 107 : 3/1997
8- Goldman J. et Cohen W., Periodontal therapy. 6° ed Mosby Company St Louis, 1980.
9- Alain AMZALAG, Comment dédramatiser une situation tendue? L’INFORMATION DENTAIRE n°13 – 29 Mars 2006.
10- Edmond BINHAS, le nouvel argument dentaire. Clinic 2003- vol. 24- n°1.
11- François ALCOUFFE, L’approche psychologique du patient lors du traitement parodontal ou implantaire. Les thérapeutiques parodontales et implantaires. 2003
12- Bercy Tenenbaum, Parodontologie du diagnostic à la pratique chapitre 7 prophylaxie du patient. Edition DE BOECK 1996
13- Sandrine BRUNEL-TROTEBAS, la motivation et l’enseignement à l’hygiène bucco-dentaire chez le patient atteint de maladie parodontale.
14- Laurent ALLOUCHE, Comment écouter un patient pour mieux le satisfaire? L’INFORMATION DENTAIRE n°13 – 29 Mars 2006.
15- Weinstein P. et Getz I., Changing human behavior-strategies for preventive dentistry. Sc Res Ass Inc 1978.
16- Gearhard STEINER, la motivation du patient. Rev Mens Suise Odontostomatol., vol. 100 : 1/1990
17- J. M. Svoboda, T. Dufour, prophylaxie des parodontopathies et hygiène buccodentaire. EMC 23 447 E 10. 2004.
18- Michel FOSSIER, Comment réagir à un défaut manifeste d’hygiène? L’INFORMATION DENTAIRE n°13 – 29 Mars 2006.