Publié le 15-12-1999
J. KISSA*; F. LAKEHAL**, N. KHLIL*
* Service de Parodontologie
** Attaché au service de Parodontologie
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca - Maroc
Université Hassan II
RÉSUMÉ
Depuis les années 50, les facteurs émotionnels, et le stress psychologique survenant lors des différentes situations difficiles de la vie, ont été identifiés comme des facteurs de risque des maladies parodontales.
Il est établi actuellement que certaines situations de stress ont pour effet de déprimer le système de défense de l’hôte.
Sachant le rôle important du système de défense dans l’apparition des maladies parodontales, on peut se demander jusqu’à quel point une situation de stress peut-elle influencer l’atteinte parodontale ?
Concernant la Gingivite Ulcèro-Necrotique (G.U.N), des études très sérieuses ont été menées prouvant ainsi la relation de cause à effet (COHEN COLE et coll 1983; JOHNSON, ENGEL et coll 1986, DA SILVA et coll 1995).
Par contre pour les parodontites plusieurs études ont été réalisées (GREEN et coll 1986; CHARON et coll 1990; MONTEIRA DA SILVA et coll 1996; LINDEN et coll 1996; MILLER et coll 1997; AXTELIUS et coll 1997; LOSS et coll 1998) et toutes concourent vers un lien étroit entre certaines situations de stress et le développement d’une parodontite.
Mots clés : Stress - Facteurs psychosociaux - G.U.N. - Parodontites.
Il est actuellement bien établi, que la relation praticien-patient prend une dimension de plus en plus importante dans l’établissement d’un diagnostic précis et d’un plan de traitement correspondant au profil du patient.
Dans le cadre de notre pratique quotidienne, qui d’entre nous n’a pas reçu un jeune adulte venu en urgence ayant très mal aux gencives ? Ce jeune patient s’avère :
- être un gros fumeur,
- qu’il vient de rater ses examens,
- qu’il est en conflit avec ses parents.
Ou encore cette femme, de cinquante ans, qui malgré des soins réguliers court chez le spécialiste car ses dents sont soudainement devenues mobiles. L’interrogatoire montre qu’elle est déprimée et qu’elle supporte mal sa ménopause.
Certains facteurs psychosociaux pourraient-ils donc influencer les parodontites en tant que facteur de stress ?
Il apparaît ainsi nécessaire de définir cette notion de stress, de voir dans quelles mesures elle peut déclencher, être à l’origine ou aggraver les maladies parodontales, et enfin de définir autant que possible le rôle du praticien dans ces situations de stress.
A travers cet article, nous nous proposons d’apporter quelques éléments de réponse.
QU’EST CE QU’UN STRESS, ET COMMENT RECONNAITRE UN PATIENT STRESSE ?
En 1996, BREIVIK et coll (1) ont défini, , le stress comme étant une réponse psychophysiologique d’un organisme devant la perception d’un défi ou d’une menace.
La réponse au stress est tout à fait naturelle et ne doit pas être considérée comme un effet indésirable (BREIVIK et coll, 1996) (1). Cette réponse au stress, est différente suivant son intensité et suivant l’individu sur lequel le stress s’exerce.
Elle devient un danger seulement si la réponse neuro-endocrinienne qui en résulte, prédispose à l’apparition d’une pathologie (BREIVIK et coll, 1996) (1).
Certains traits de caractères, certains états psychologiques, certains événements de la vie sont de nature à engendrer un grand stress (VOIR TABLEAU)(2).
Or, il est aujourd’hui admis que toutes ces situations peuvent avoir une influence sur le système de défense de l’hôte (BALLIEUX 1991 (3), MONTEIRA DA SILVA et coll 1995 (4), BREIVIK et coll 1996 (1)).
Tenant compte de l’importance de la réaction de l’hôte dans l’apparition de la maladie parodontale, et sachant aussi l’influence du stress sur le système immunitaire, on peut légitimement se poser la question suivante :
LE STRESS PEUT-IL CAUSER OU AGGRAVER UNE MALADIE PARODONTALE ?
La susceptibilité à la parodontite peut être expliquée soit par des facteurs génétiques (polymorphismes génétiques ou des mutations génétiques qui peuvent modifier certaines fonctions du système immunitaire (KORNMAN et coll 1997 (5))), soit par des facteurs acquis du système immunitaire dus à l’environnement et qui peuvent changer un sujet résistant à la maladie parodontale en un sujet sensible (SEYMOUR 1991 (6)).
L’environnement dont nous parlons, peut englober entre autres le stress.
Comprendre le rôle du stress en tant que facteur aggravant de la maladie parodontale est un défi thérapeutique.
Une interaction cerveau-système immunitaire peut avoir lieu par l’intermédiaire de messagers chimiques comme les neurotransmetteurs et les neuropeptides du système nerveux, des hormones des glandes endocrines et des médiateurs immuns comme les cytokines et les prostaglandines (LOSS et coll 1998 (7)).
Il a été démontré que le stress augmente la libération d’hormones comme le cortisol, l’adrénaline et la noradrénaline (LOSS et coll 1998 (7)). Ces hormones peuvent avoir de nombreux effets sur le système immunitaire.
Il est prouvé que le cortisol inhibe :
- la prolifération des lymphocytes T,
- la production de lymphokines,
- la fonction monocytaire,
- les lymphocytes T suppresseurs,
- la réponse cytotoxique,
- la production des immunoglobulines sériques.
Il apparaît donc que le stress chronique a bien un effet négatif caractéristique sur l’efficacité de la réponse immunitaire (BALLIEUX 1991 (3), MONTEIRA DA SILVA et coll 1995 (4), BREIVIK et coll 1996 (1)).
Situations professionnelles
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Situations familiales
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Situations médicales
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Professions à risque
Surcharge de travail
Secteur menacé
Conflit au sein de l’entreprise
Climat relationnel difficile
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Deuil
Divorce
Maladie d'un proche
Drogue
Problèmes familiaux
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Tabac
Ethylisme
Ulcère/Chômage
Parafonctions
Syndrome dysfonctionnel
Maladies dermatologiques associées au stress (psoriasis...)
Dépression
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L’association G.U.N, stress émotionnel et la diminution de la défence de l’hôte est bien admise actuellement (JOHNSON, ENGEL 1986 (8); DA SILVA et coll 1995 (4)).
L’étude de COHEN - COLE et coll 1983 (9) est une bonne illustration de la relation stress - G.U.N.
Cette étude réalisée en 1983 a consisté à analyser des prélèvements d’urine et de sang chez deux groupes :
- un groupe test de 35 patients souffrant de G.U.N. triés en psychiatrie,
- un autre groupe contrôle de 35 patients en bonne santé.
Les résultats de ces analyses ont montré chez le groupe test :
- des niveaux élevés de cortisol sérique avant la résolution de la G.U.N.,
- des niveaux élevés de cortisol dans l’urine nocturne avant et après résolution de la maladie,
- une dépression de la prolifération lymphocytaire,
- une dépression de la chimiotaxie et de la phagocytose des polymorphonucléaires.
Ces résultats tendent à prouver que certains facteurs d’origine psychiatrique ou psychosociale, peuvent jouer un rôle significatif dans l’étiologie des G.U.N. à travers des mécanismes endocriniens et immunitaires.
Stress et parodontites
Contrairement à la G.U.N., la relation entre stress et parodontites ne semble pas évidente. Depuis les années 60, plusieurs études ont été faites. Elles ont toutes trouvé que le degré de sévérité des parodontites était significativement plus élevé chez les patients ayant des antécédents psychologiques. Mais de nombreux paramètres utilisés n’étaient pas rigoureux.
En 1986, GREEN et coll (10) ont confirmé ces résultats en démontrant que non seulement une maladie psychiatrique mais aussi, le fait d’avoir été soumis à des situations de stress peuvent favoriser le développement d’une parodontite.
En 1990, CHARON et coll (11), dans une étude portant sur 50 patients, ont confirmé qu’il y aurait une plus grande fréquence d’antécédents de stress chez les individus plus gravement atteints sur le plan parodontal.
MONTEIRA DA SILVA et coll (12), après une analyse de leur échantillon en 1996, ont trouvé une corrélation entre les facteurs psychosociaux, la parodontite à progression rapide et la parodontite de l’adulte.
Cependant, d’après ces mêmes auteurs, le groupe de parodontite à progression rapide montre plus de signes de dépression que le groupe atteint de parodontite de l’adulte.
LINDEN et coll en 1996 (13), ont examiné dans une étude l’association entre le stress lié à l’occupation professionnelle et la progression de la parodontite chez 23 adultes ayant un emploi et recevant régulièrement des soins dentaires. Les résultats de cette étude semblent indiquer que le stress lié à l’occupation professionnelle peut être en relation avec l’évolution de la parodontite.
Dans la même année, MOSS et coll (14) ont trouvé une relation entre la parodontite de l’adulte active et les problèmes financiers ainsi qu’une difficulté à vivre le célibat.
L’étude présentée par MILLER et coll en 1997 (15) montre que les personnes stressées ont plus de poches parodontales que les non stressées et corrobore les résultats de LINDEN et coll (1996) (13).
AXTELIUS et coll 1997 (16) proposent que le stress soit un facteur de risque des maladies parodontales.
Etant donné l’importance actuellement reconnue aux facteurs bactériens locaux dans le déclenchement de la parodontite, CIMASONI et DESLARZES en 1993 (17), proposent que l’étude idéale pour élucider définitivement le problème devrait inclure deux grands groupes comparables de patients:
- un groupe expérimental avec des problèmes psychiatriques,
- un groupe témoin.
L’indice de plaque et d’inflammation doivent être semblables, la population bactérienne doit être semblable aussi, si possible. L’étude devra durer au moins une année et sera dirigée par :
- des épidémiologistes,
- un parodontiste,
- un psychiatre.
QUEL EST LE ROLE DU PRATICIEN DANS CES SITUATIONS ?
Bien qu’on ignore encore l’importance de son retentissement clinique en général, et plus précisément au niveau parodontal, le stress doit être pris en considération dès lors qu’il provoque des changements comportementaux.
Ainsi le stress peut influer sur :
- les habitudes d’hygiène orale,
KURER et coll en 1995 (18), ont observé en effet que les personnes qui avaient un indice élevé de dépression présentaient des indices élevés de plaque bactérienne.
- la consommation tabagique,
Le stress peut augmenter la consommation tabagique. Il est prouvé que l’augmentation de la consommation tabagique aggrave la maladie parodontale (HABER et coll, 1993 (19); LINDEN et MULLALY, 1994 (20) ; GROSSI et coll, 1995 (21)).
- la diététique et la consommation d’alcool,
Dans une étude transversale de SAKKI et coll en 1995 (22), le niveau socio-économique a été entre autres enregistré et on nota une corrélation entre l’augmentation du pourcentage de dents présentant des poches supérieures à 3 mm et une vie moins saine.
Pour détecter des situations de stress, un interrogatoire bien mené et un examen clinique minutieux sont nécessaires.
Dans cette optique, le praticien se doit de faire en sorte d’établir une relation de confiance avec son patient, afin que celui-ci puisse être le plus détendu possible évitant ainsi d’accroître son stress.
Ceci permettra en même temps de connaître son profil psychologique que l’on pourra associer éventuellement à des symptômes liés au bruxisme ou autres habitudes vicieuses. Ce genre de renseignements est très utile et va aider le praticien à déceler une situation de stress.
Le stress mental peut en effet, avoir une influence sur le style de vie. Il se peut que ce soit d’avantage le changement des habitudes de l’hôte que la baisse de ses défenses immunitaires qui aggrave la parodontite (LOOS et coll, 1998 (7)).
CONCLUSION
Il semblerait d’après les résultats de nombreuses études réalisées sur ce sujet, que le stress constitue une orientation étiologique nouvelle de certaines atteintes parodontales.
Si pour la Gingivite Ulcéro-Nécrotique, la relation semble très évidente, pour les parodontites - et ce malgré de nombreuses études- la corrélation n’est pas encore pour le moins prouvée à ce jour.
Cependant, il reste clairement établi que le stress est un facteur déprimant pour le système immunitaire et ce, soit de façon directe, par le biais des substances messagères (neurotransmetteurs et neuropeptides), soit de façon indirecte, par des substances neuroendocriniennes (les hormones), soit à la fois par les deux mécanismes combinés (BREIVIK et coll, 1996 (1)).
A la lumière de ces nouvelles données, une attention particulière doit être prêtée au facteur de “stress” pour mieux cerner les différentes causes des atteintes parodontales.
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