Publié le 15-12-2000
M. KHAZANA, H. KARIM, I. BENYAHYA
Service d'Odontologie Chirurgicale
C.H.U. Ibn Rochd Casablanca
Université Hassan II


RÉSUMÉ

La prescription médicamenteuse d'une façon générale et l'antibiothérapie en particulier est devenue un geste de pratique courante. Elle peut être indiquée dans un but curatif ou prophylactique. Le souci du confort des patients, parfois même leurs exigences et la crainte d'accidents infectieux secondaires, peuvent nous entraîner à des prescriptions abusives.

 

En fait, l'antibiotique ne doit être prescrit qu'en présence de diagnostic de certitude ou de forte présomption d'infection bactérienne.

Mots clés : Antibiotique, Antibiothérapie curative, Antibioprophylaxie Infection bucco-dentaire, Chirurgie buccale.

La majorité des actes réalisés en odontologie chirurgicale telles que des extractions dentaires ou des résections de crêtes flottantes ne nécessitent que des prescriptions médicamenteuses type : antalgique, bain de bouche.
D'autres prescriptions peuvent nous être d'un précieux secours et parfois même indispensables : antibiotiques, anti-inflammatoires, sédatifs... pour éradiquer ou prévenir une infection ou encore préparer le malade à une intervention.

Nous n'abordons ici que les problèmes techniques posés par la prescription. Avant toute prescription, le praticien doit se poser les questions suivantes :
- Pourquoi prescrire?
- Que prescrire?
- Quand prescrire?

 

Pourquoi prescrire ?

Un médicament peut-être prescrit dans un but soit :
- Diagnostic: médication rare en odontologie chirurgicale,
- Préventif : ex antibioprophylaxie,
- Thérapeutique antalgique, antibiothérapie curative.
Il n'existe pas de médicament dénué de tout effet secondaire, de ce fait, avant toute prescription, il convient de :
- Mesurer le rapport bénéfice-risque qui doit être supérieur à 1,
- Tenir compte du coût du traitement.


Quand prescrire ?

Les médicaments à prescrire doivent être :
- En rapport avec la pathologie,
- Adaptés au terrain, qui peut être physiologique ou physiopathologique.

 

Que prescrire ?

- Un antibiotique,
- Un anti-inflammatoire,
- Un antalgique.

 

PRESCRIPTION D'ANTIBIOTIQUE

L'odontologiste est sans cesse confronté au difficile problème de la prévention et du traitement de l'infection, et porte ainsi le plus vif intérêt aux antibiotiques qui constituent une arme à double tranchant. En effet leur efficacité, facilité d'emploi, le souci du confort du patient ainsi que la crainte d'accidents infectieux, peuvent conduire le praticien à des prescriptions abusives. Pour cela (1) :
- Un antibiotique n'est prescrit que lorsqu'il existe un diagnostic de certitude ou de forte présomption d'une infection bactérienne,
- Il est important de distinguer une atteinte inflammatoire d'une atteinte infectieuse,
- La prescription d'antibiotique n'est pas adaptée pour traiter les aphtes, les lésions virales et les infections mycosiques.

 

Principaux antibiotiques utilisés :

L'emploi des antibiotiques s'avère de jour en jour plus complexe pour le praticien. Pour mener à bien une antibiothérapie ou antibioprophylaxie, il est utile de rappeler quelques données de base générale sur ces médicaments avant d'envisager le choix le plus approprié (2). La plupart des infections bucco dentaires sont dues à des aérobies gram+, des streptocoques, des staphylocoques facultatifs et parfois même des anaérobie gram- Généralement, ces germes sont sensibles à l'un des antibiotiques suivants : pénicillines, macrolides et cyclines.

Les pénicillines (3-5) :
C'est une large famille que l'on regroupe sous le chapitre des bétalactamines. Elle s'élargit à partir des pénicillines sensibles aux pénicillinases : peni G et V, aux pénicillines résistantes aux penicillinases : peni M, mais surtout aux pénicillines à large spectre typeA (Ampicillines et apparentés) avec des formes orales qui permettent une facilité de prescription dans nos spécialités. L'efficacité de la pénicilline est clairement établie dans les infections graves, du tissu celluleux et/ou osseux en raison de son excellente diffusion dans ces milieux, telles que :
- Cellulite circonscrite ou gangreneuse,
- Pericoronarite,
- Stomatite ulcéro nécrotique...
Seule l'allergie aux bétalactamines est une contre indication à leur prescription. Pourtant, leur utilisation va se retrouver confrontée aux problèmes de destruction par les bétalactamases. Mais leur association à l'acide clavulanique (Augmentln*, CIavuIin*) a permis de résoudre ce problème. Cependant, celle-ci reste une prescription de deuxième intention.

Les cyclines (6) :
Ce sont des antibiotiques bactériostatiques. Les plus utilisés en odontologie et en stomatologie sont les tétracyclines, les minocyclines et les doxicyclines. Vu leur bonne concentration osseuse et salivaire, elles étaient utilisées dans les pathologies à moyenne importance, mais de nos jours elles sont beaucoup plus prescrites en parodontologie. Elles entraînent des dyschromies dentaires et une photosensibilité, et sont ainsi contre-indiquées chez l'enfant de moins de 8 ans et la femme enceinte.

Les macrolides (3) :

Les macrolides vrais :
Bactériostatiques, agissant sur les cocci gram+ et principalement les streptocoques, ils sont peu toxiques et bien tolérés, mais il semble qu'il existe de plus en plus de résistance à ces médicaments. On distingue :

Les macrolides C 14

- Erythromycine :
Elle semble présenter de plus en plus de résistance et son utilisation est décroissante dans nos spécialités. Elle est prescrite en cas d'allergie aux bétalactamines.
- Roxithromycine (Rulid*) :
Il présente une bonne concentration intra-cellulaire, ce qui a élargi son utilisation dans les infections de la cavité buccale.

Les macrolides C 15 :

Azithromycine (Zythromax) ne sont pas utilisés en odontologie.

Les macrolides C 16

- Spiramycine
En raison de sa concentration salivaire élevée, elle est beaucoup plus prescrite dans les infections salivaires. En odontostomatologie, elle est associée avec les 5-nitro imidazoles. Ces derniers sont essentiellement actifs sur les anaérobies. Leur présence dans le fluide gingival est voisine de leur concentration sérique, ce qui a élargi son domaine d'utilisation en odontostomatologie en association avec les peni A ou avec la spiramycine.
- Peni A+ Imidazoles : excellents résultats dans les infections cervico-faciales à point de départ dentaire,
- Spiramycine + ImidazoIes (Rodogyl*, Birodogyl*) : meilleurs résultats dans les infections parodontales et. après chirurgie buccale (7).

Apparentés :
* Les Lincosamides
- Clindamycine : Dalacine*
- Lincomycine : Lincocine*
Leur spectre d'action est plus large que les macrolides vrais, mais avec plus d'effets secondaires. Leur indication est limitée aux cas présentant une allergie aux bétalactamines.

* Les Synergistines :
Pristinamycine : Pyostacine*
Virginamycine : Staphylomycine*
Ce sont des bactériostatiques ayant une bonne pénétration osseuse et peu d'effet secondaire.
Les antibiotiques les plus prescrits en odontostomatologie sont présentés dans le tableau (8).

 

Tableau : Les antibiotiques les plus prescrits en odontologie (8)

* : marque déposée

ASSOCIATIONS MÉDICAMENTEUSES

De nombreuses associations médicamenteuses sont à éviter (9) :
- Allopurinol : accroît le risque de manifestations cutanées des Pénicillines,
- Les dérivés de l'ergot de seigle, Carbamazepine et Ciclosporines : contre indiquent la prise de certains macrolides,
- Les anti-vitamine k: risquent d'être potentialisés par la pénicilline, tétracycline et le métronidazole,
- L'insuline : peut être potentialisée par les cyclines, donnant ainsi une hypoglycémie,
- La Théophylline, Disopyramide : contre indiquent l'érythromycine,
- Les Rétinoïdes :contre indiquent les tétracyclines,
- Les Contraceptifs oraux : leur efficacité diminue lors de la prise d'amoxicylline, de tétracycline ou de métronidazole.

 

CRITÈRES DE CHOIX DES ANTIBIOTIQUES

Un antibiotique dentaire doit assurer une concentration efficace au niveau du site infectieux pendant une période de temps adéquate. Un certain nombre de notions liées à l'hôte, l'agent pathogène et à l'antibiotique sont pris en considération pour guider notre choix :
- Critères bactériologiques : la nature du germe est déterminée par un antibiogramme ou par une probabilité de forte présomption,
- Critères pharmacocinétiques : l'antibiotique doit être efficace au niveau du site d'infection,
- Critères individuels : le choix se fait en fonction du terrain,
- États physiologiques particuliers : enfant, femme enceinte ou allaitante et les personnes âgées,
- Terrain pathologique : insuffisants rénaux, hépatiques et les états allergiques.
- Critères toxicologiques : choisir l'antibiotique ayant le moindre effet secondaire,
- Critères écologiques : donner la priorité aux antibiotiques ayant un spectre étroit.

 

MODALITÉS DE PRESCRIPTION

La prescription d'un antibiotique dentaire est réservée aux infections bactériennes. Elle n'est pas adaptée pour traiter les aphtes, les lésions virales et les infections mycosiques.
Avant toute prescription d'antibiotique en odontostomatologie, il est important de distinguer une atteinte inflammatoire d'une atteinte infectieuse et d'adapter la prescription au diagnostic. L'antibioprophylaxie et l'antibiothérapie ne sont pas destinées à palier l'inobservance des règles d'asepsie.

 

Antibiothérapie de couverture :

Elle est à proscrire car elle est sans objectifs précis. Ex: prescription d'antibiotique systématiquement après extraction simple.

 

Antibioprophylaxie (1,10) :

Elle consiste à administrer un antibiotique avant une contamination potentielle du fait d'une situation à risque. Elle doit être de courte durée, si possible limitée à la période préopératoire; parfois 24h après; mais jamais plus de 48h. Une antibiothérapie peut être instaurée en relais après une antibioprophylaxie lorsqu'un foyer infectieux subsiste après l'acte. Elle peut être envisagée chez un sujet sain ou à risque. Une telle approche ne doit être considérée que lorsqu'une analyse risque - coût - bénéfice en démontre un bien fondé.


Antibioprophylaxie chez le sujet sain :
Elle est indiquée chaque fois que l'incidence d'infection est élevée. Ceci dépend :
* Du type de chirurgie : les interventions dans la cavité buccale sont considérées comme contaminées, c’est-à-dire dans une bouche ayant une flore physiologique,
* Du type d'intervention (1, 10) :
- Extraction des dents en désinclusion,
- Chirurgie des kystes des maxillaires,
- Chirurgie implantaire,
- Chirurgie orthognatique,
- Greffe osseuse avec ou sans membrane,
- Communication bucco sinusienne,
- Présence d'état infectieux local.
* Des conditions de l'intervention : elle ne doit en aucun cas être prescrite pour palier à l'inobservance des règles d'asepsie,
* De la durée de l'intervention : toutes les 2h, le risque infectieux se multiplie par deux.


Antibioprophylaxie chez le sujet à risque :
Lors de la mastication ou du brossage, il existe -une petite bactériémie à caractère physiologique, répété et imprévisible dont sa prévention est assurée par une bonne hygiène bucco-dentaire. Certains actes aussi minimes qu'ils soient provoquent une bactériémie prévisible pouvant être à l'origine de complications redoutables.
L'antibioprophylaxie est ainsi systématique chez les sujets ayant un risque infectieux local, général ou à distance. Les risques sont liés au terrain et à la sévérité des cas. On distingue (1,9) :


Risque a : risque infectieux local et/ou général.
- Sujets transplantés ou greffés,
- Sujets immunodéprimés dont l'origine peut être congénitale, médicamenteuse ou infectieuse,
- Pathologie associée non contrôlée (diabète, insuffisance rénale ou hépatique...)
- Sujets dénutris,

 

Risque b : risque infectieux à distance.
Ce groupe de risque englobe les -cardiopathies présentant un risque Oslerien.
Pour tous ces patients, une antibioprophylaxie est obligatoire avant tous les gestes sauf le traitement des caries amelaires et/ou dentinaires et la préparation prothétique supra gingivale sur dent vivante. Malheureusement le consensus n'a été établi que pour les patients du risque b.
Néanmoins pour les autres patients, l'antibioprophylaxie peut être en une prise unique ou courte, double ou triple dose, en préopératoire immédiate ou commencée un à deux jours avant.

Antibiothérapie curative (1, 10) :

L'antibiothérapie curative peut être envisagée ou recommandée chez le sujet sain ou à risque. Elle est prescrite après un diagnostic de certitude ou de forte présomption de présence d'infection bactérienne. En fonction du spectre d'action des antibiotiques il est recommandé d'utiliser en première intention soit les pénicillines, les synergistines, les imidazoles en association ou les macrolides. Il n'y a pas lieu d'utiliser une association peniA-acide clavulanique pour les infections dentaires rencontrées en pratique quotidienne chez le sujet présumé sain.

 

En cas d'échec du premier traitement constaté par la persistance des signes cliniques, il est recommandé de changer l'antibiotique après 48h et de prescrire un antibiotique d'une autre classe ou de deuxième intention. Pour certaines pathologies, tels que les abcès dentaires collectés, les cellulites suppurées, il est indispensable d'associer un acte de drainage à la prescription (8).
En fonction de l'état du sujet, l'antibiothérapie curative trouve ses indications :


Chez le sujet sain :
Elle est envisagée en cas de
- Complication infectieuse de pathologie apicale,
- Traumatisme alvéolodentaire,
- Certaines parodontites et periimplantites.
Elle est recommandée en cas de :
- Pericoronarite sur dent permanente,
- Gingivite ulcéro-nécrotique aiguë,
- Certaines parodontites,
- Complications infectieuses ( ostéite, cellulite, adénite...).


Elle est non justifiée en cas de :
- Carie,
- Pulpite dentaire,
- Gingivite,
- Abcès parodontal,
- Alvéolite sèche,
- Accident d'éruption de dent temporaire.


Chez le sujet à risque :
En plus des indications chez le sujet sain, elle est recommandée en cas de :
- Pulpite aiguë et chronique,
- Gingivite,
- Abcès parodontaux.
Quel que soit le type d'infection et le terrain, seul l'essai clinique contrôlé permet de déterminer le meilleur dosage, la fréquence d'administration ainsi que la durée du traitement.


Posologie :
- Pénicillines : 1,5 g/j pendant 8 à 10 jours pour une antibiothérapie curative.
3 g 1 heure avant le geste pour une antibioprophylaxie.
Chez l'enfant la posologie est de 75 mg/ kg/poids.
En cas d'allérgie à la pénicilline la pristinamycine est prescrite à raison de 600 mg 1 heure avant le geste opératoire.

 

CAUSES D'ÉCHEC DE L'ANTIBIOTHÉRAPIE

L'échec est envisagé quand en dépit d'une prescription apparemment correcte, des signes locaux ou généraux persistent, s'aggravent ou rechutent. On distingue :


Les faux échecs :
- Diagnostic initial erroné,
- Manifestation d'une seconde maladie,
- Impatience.


Les échecs liés au patient :
- Traitement mal observé,
- Absorption digestive incomplète.
Les échecs pharmacologiques :
- Traitement insuffisant,
- Pénétration tissulaire défectueuse,
- Inactivation in situ.

Les échecs liés aux germes :
- Erreur initiale sur le germe,
- Acquisition de résistance,
- Surinfection et substitution de flore.


CONCLUSION

De nombreux antibiotiques à spectre plus large et à activité intrinsèque supérieure apparaissent. L'augmentation du spectre n'est pas nécessaire car les germes en cause dans une pathologie ne sont pas si nombreux, et cette augmentation entraîne des modifications profondes de la flore avec développement de complications secondaires redoutables. Aussi l'utilisation des antibiotiques devrait tendre à être aussi sélective que possible et pendant une durée limitée.

 

Employer les antibiotiques d'une manière aussi restrictive que possible selon un dosage minimal mais suffisant pour une durée aussi réduite que possible, telle est la tendance actuelle des thérapeutiques antibiotiques. Enfin, la prescription doit toujours se faire en fonction du rapport bénéfice-risque.


BIBLIOGRAPHIE

1- ANDEM Prescription d'antibiotique en odontologie et stomatologie.
Médecine buccale et chirurgie buccale vol 4 n° 1 1998 P 43
2- Muster. D. Médicaments de l'infection les antibiotiques. EMC stomatologie 22012b 1091988.
3- Timour. Q. Odonto-pharmacologie thérapeutique et urgence médicale en pratique quotidienne Cdp
4- Richard.A. Pénicillines en stomatologie. A.O.S mars 97 n°: 197. P23
5- Ragot. J. P Indications et prescriptions de la pénicilline et de ses dérivés de synthèse en pra- a tique odontostomatologique. A.O.S mars 97 n°: i 197. P 35
6- Ragot. J. P. Les complications loco-régionales et régionales des foyers infectieux dentaires. A.O.S mars 99 n° 205. P91
7- Roche-poggi. P. Page infectiologie 3. Clinic 97- vol 18 n° 7
8- ANDEM. Prescription d'antibiotiques en odontologie et stomatologie.
Clinic 1997- vol 18 n° 9
9- Roche-poggi. P Page infectiologie 2. Clinic 97- vol 18 n° 6
10- Roche-poggi. P Page infectiologie 1. Clinic 97- vol 18 n° 5

  

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