Publié le 15-05-2001
S. REGRAGUI, K. LAHLOU, E. AALLOULA
Service d'ODF
Faculté de médecine dentaire de Rabat - Maroc
Université Mohamed V
RÉSUMÉ
La récidive en orthopédie dento-faciale est la réapparition d'anomalies déjà traitées mettant dans l'embarras praticien et patient.
Ce phénomène désagréable est inhérent à plusieurs facteurs qu'il faut impérativement connaître pour pouvoir les intégrer et les respecter, au cours du traitement orthodontique pour mieux contrôler la stabilité des résultats obtenus.
Divers appareillages furent conçus pour maintenir les corrections réalisées au cours de l'action thérapeutique.
Mots clés : traitement orthodontique, récidive, contention, pronostic.
La récidive en orthopédie dento-faciale est l'apparition d'anomalies intra ou inter arcades après la fin du traitement actif. Différents facteurs sont incriminés dans la survenue de ce phénomène indésirable et très embarrassant pour le praticien (1).
QUELS SONT LES FACTEURS DE RÉCIDIVE ?
LES FACTEURS LIGAMENTAIRES
Ce sont les travaux de REITAN qui ont mis en lumière ces facteurs d'une importance capitale dans l'apparition des récidives (2).
Tous les déplacements dentaires orthodontiques entraînent un étirement des fibres ligamentaires. Il faut donc donner le temps aux fibres de se réorganiser, à l'os de se reminéraliser ; car deux heures après la dépose de l'appareillage actif, la récidive est déjà nette et elle sera d'autant plus importante que le déplacement dentaire aura été plus rapide et récent (3).
D'après REITAN, les conditions histologiques diffèrent selon que le traitement s'adresse à un sujet jeune ou âgé (4).
- Chez le sujet jeune : les fibres desmodontales se réorganisent plus vite, les cellules conjonctives sont jeunes et abondantes. Si une position est corrigée avant la formation du 1/3 apical, il se forme des fibres nouvelles pendant le développement de la racine qui vont stabiliser la dent dans cette nouvelle position.
- Chez l'adulte : les fibres desmodontales se réorganisent plus lentement. Une compression importante peut entraîner une dénudation radiculaire voire même une mobilité de la dent, l'apposition osseuse se faisant plus lentement que la résorption. Ce manque de malléabilité des tissus adultes fait que les traitements orthodontiques effectués pendant cette période présentent plus de récidive.
LES FACTEURS ANATOMIQUES
- L'insertion basse du frein labial supérieur pouvant faire récidiver un diastéme interincisif (Fig. 1) (5),
- La brièveté du frein de la langue pouvant faire récidiver une classe 111 ou une infraclusion (Fig. 2A, 2B, 2C).
LES FACTEURS MUSCULAIRES
La musculature oro-faciale contribue à la morphogénèse des bases osseuses et des arcades dentaires, en plaçant les dents dans un couloir ou les pressions musculaires s'annulent (action excentrique de la langue et action centripète des lèvres).
Toute perturbation du tonus de ces muscles crée des dysmorphoses assez récidivantes. Cette musculature (notamment la langue) intervient aussi dans les différentes fonctions (respiration, déglutition, phonation, mastication).
La récidive des nos traitements orthodontiques pourra être due à la persistance des pressions anormales buccales et péribuccales au repos et en fonction.
Pour cela, les troubles fonctionnels observés au début du traitement devront être étudiés et supprimés si cela est possible (4) (Fig. 3).
LES FACTEURS DENTAIRES
La largeur intercanine :
- La largeur intercanine au niveau apical est génétiquement déterminée et étroitement
liée à la dimension du bord inférieur de l'os mandibulaire. Ainsi, vouloir mobiliser les canines en dehors de leur base par une expansion conduirait inévitablement à une récidive et donc à un éventuel encombrement incisif.
La taille des dents :
- Une diminution du volume normal des dents (microdontie) entraîne des difficultés pour avoir des points de contacts satisfaisants et facilite la récidive des diastèmes.
- De même, une augmentation du volume total des dents (macrodontie) provoque des malpositions dentaires pouvant récidiver, après correction, sous forme d'encombrements dentaires (7).
La forme des racines (8) :
Une dent avec une racine ronde tourne plus facilement qu'une dent avec une racine plate.
En effet, lors de la rotation d'une racine ronde, il n'y a pas de modification de la largeur desmodontale ni de remaniement osseux. Or, seule une résorption osseuse permet la destruction de l'ancrage des fibres et leur réorientation différente.
Le déplacement des dents multiradiculaires, entrainant d'importantes modifications osseuses, offre une meilleure stabilité.
L’OCCLUSION
La mauvaise orientation axiale des dents, l'absence de points de contacts inter dentaires ou d'un bon engrènement cuspidien semblent être des éléments de récidive (9).
LA CROISSANCE POST-ORTHODONTIQUE
Il y a un asynchronisme entre la croissance maxillaire et mandibulaire. Celle de la mandibule se poursuit après que le maxillaire ait terminé la sienne.
S'il y a une croissance résiduelle après la fin du traitement et si celle-ci se fait en direction antérieure ou postérieure, il peut y avoir instabilité du traitement (9).
La croissance mandibulaire avec rotation antérieure est une cause fréquente des récidives des supraclusions incisives. Les incisives supérieures maintiennent les inférieures alors que la croissance mandibulaire se poursuit vers l'avant provoquant des chevauchements antérieurs (Fig. A, Fig. 4) (10).
La croissance manclibulaire avec rotation postérieure rend difficile le maintien de la correction d'une infraclusion (Fig. B, Fig. 5).
L'ÉVOLUTION DES DENTS DE SAGESSE
Les dents de sagesse ont été longtemps tenues pour responsables des récidives d'encombrement après traitement ; mais, petit à petit d'autres étiologies sont apparues telles que :
- Le redressement lingual des incisives inférieures sous l'influence de l'augmentation du tonus labial après la puberté ; phénomène décrit par château et surnommé " le phénomène de Coutand " (11),
- La poussée mésialante des deuxièmes molaires inférieures après leur éruption (12),
- La croissance résiduelle de la mandibule (13).
Nous pensons que les dents de sagesse participent sans doute pour une faible part à un niveau de la chaîne étiopathogénique responsable de l'encombrement antérieur, dont l'origine plurifactorielle devra amener l'orthodontiste à faire la part des choses et à reconsidérer le problème de leur extraction cas par cas.
LA COOPÉRATION DU PATIENT
C'est une condition essentielle pour la bonne marche du traitement orthodontique. Une mauvaise appréciation de cette coopération peut vouer le traitement à l'échec ou à la récidive.
LA CONDUITE DU TRAITEMENT
Il se produit une récidive chaque fois que le traitement a été rapide mettant les fibres sous tension maximale et ne laissant pas, aux structures tissulaires environnant les organes dentaires, le temps suffisant pour se reconstituer (3).
D'autre part, plus la fermeture d'espace intervient précocement après l'extraction, plus on court le risque de voir se former des fissures gingivales qui présentent l'inconvénient de provoquer des réouvertures d'espace (14) (Fig. 6).
Les traitements des supraclusions par égression des molaires plutôt que par ingression incisive est récidivant car, étant hypodivergent dans la plupart des cas, le sujet présente une musculature tonique qui développe des forces occlusales importantes ; d'où la réingression des molaires et la réinstallation de la supraclusion.
QU'EST CE QU'IL FAUT FAIRE POUR ÉVITER LES RÉCIDIVES ?
Pour assurer la stabilité des résultats thérapeutiques, certains principes doivent être respectés :
- La suppression de l'étiologie de la dysmorphose,
- Le maintien de la largeur intercanine et intermolaire durant le traitement,
- Le repositionnement de l'incisive inférieure sur la base mandibulaire en fonction de la direction de croissance et de l'équilibre musculaire,
- La correction précoce des rotations pour permettre à l'environnement parodontal de se réorganiser,
- L'obtention d'une bonne occlusion statique et dynamique avec absence d'interférences occlusales en fin de traitement.
Il faudrait également :
- Contrôler rigoureusement la dimension verticale et éviter de basculer les plans d'occlusion et palatins notamment avec l'usage de forces extra orales cervicales,
- Prendre le temps de faire des finitions appropriées,
- Surcorriger les anomalies existantes,
- Passer par une période de contention qui doit être maintenue jusqu'à ce que la croissance du patient soit terminée (pour la correction des dysmorphoses squelettiques) ; et que le problème des dents de sagesse soit réglé soit par leur extraction ou par la disponibilité de place pour leur éruption.
QUELS SONT LES MOYENS DE CONTENTION QU'ON PEUT UTILISER ?
Différents moyens de contention sont mis à la disponibilité du praticien :
Moyens mécaniques :
- La plaque de Hawley (Fig.7),
- L'arc lingual scellé sur bagues sur les premières prémolaires (Fig.8),
- L'arc lingual collé de 3 à 3 : C'est un excellent système de contention, non visible et parfaitement toléré. Il peut être collé sur les faces linguales des six dents antérieures ou uniquement sur les faces linguales des canines (Fig. 9),
- L'arc vestibulaire collé entre 3-5 pour éviter la réouverture de l'espace de la 4 extraite,
- Le spring retainer : appareil amovible préconisé pour la correction d'un faible encombrement « 2mm) limité au bloc incisivo-canin (Fig. 10),
- Le tooth positionner : il suppose la confection d'un set up idéal en fin de traitement (Fig. 11),
- Les forces extra orales, les activateurs, maintenus en place après un traitement orthopédique jusqu'à la fin de la croissance.
Techniques complémentaires :
- La rééducation neuromusculaire qui vise à établir un équilibre stable entre la musculature labio-juguale et la langue par le biais d'exercices ou d'appareils de repositionnement lingual. Elle est indiquée pour éviter la récidive des troubles d'origine fonctionnelle (6),
- L'équilibration occlusale et les meulages sélectifs pour aboutir à un parfait engrènement; gage de stabilité du traitement,
- Le stripping ou le meulage interproximal utilisé dans les cas de dysharmonies dentodentaires avec un encombrement résiduel de 2 à 3 mm.
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La chirurgie :
- La germectomie des dents de sagesse justifiée en cas de dysharmonie dento maxillaire sévère,
- La freinectomie du frein labial supérieur pour éviter la récidive d'un diastéme interincisif,
- La glossectomie en cas de macroglossie vraie,
- La septotomie des fibres parodontales supracrestales pour éviter la récidive des rotations (3).
CONCLUSION
Lorsqu'un cas est terminé, l'orthodontiste ne peut se satisfaire d'avoir atteint les objectifs qu'il s'était fixé. Il doit essayer de contrôler la manière dont l'occlusion va évoluer à court et à moyen terme.
Lorsqu'un risque de récidive existe, il paraît logique de poser un dispositif de contention approprié.
Il ne faut pas oublier qu'il existe des techniques complémentaires qui apportent une aide considérable à la stabilité des résultats thérapeutiques.
La situation est beaucoup plus inquiétante lorsque l'étiologie de la malocclusion semble être un déséquilibre musculaire ou hormonal.
Face à une récidive, l'orthodontiste doit adopter une attitude modeste et avoir en tête l'opinion de Horowitz Hixon : " les traitements orthodontiques peuvent temporairement modifier le cours de l'évolution physiologique. Cependant, à la suite des périodes de traitement et de contention, le processus dévolution originel reprend" (15).
BIBLIOGRAPHIE
1 - SALVADORI A., Rapport du 72' congrès annuel. Orthod. Franç., 1999, Vol 70,Tome 1
2 - REITAN K., Principes de contention et prévention des récidives. Rev Orthop Dento-Faciale, 1973,2, p 165-85
3 - KORBENDEAU JM, GUYOMARD F, Fibrotomie circonférentielle supracrestale.j. Parodontol, 1993, N 12, P 175-184
4 - DYER P Age effects on orthodontic treatment adolescents contrasted with adults. Am J Orthod Dentofâcial Orthop, 199 1, N* 100, P 523- 530
5 - SULLIVAN TC,TURPIN DLA post retention study of patients presenting with a maxillary median diastema. Angle Orthod, 1996, N 66, P 131-138
6 - FOURNIER M, La rééducation fonctionnelle chez l'enfant et son contrôle par l'orthodontiste. Rev. Orthop DentoFaciale, 1994, N'28, P 473-485
7 - KAHL-NIEKE B, FISCHBACH H,Treatment and post retention changes in dental arch with dimensions. Am J Orthod DentofacialOrthop, 1996, N' 109, p 368-378
8 - SUEUR S, Les réactions tissulaires au cours des déplacements dentaires orthodontiques. Rey Orthop Dento Facial, 1967, 1, P : 58-94
9 - PHILIPE J., Récidive orthodontique et dérive centripète. Rev Orthop Dentofaciale, 1989, B-23, P317-328
10 - WILLIAMS S., ANDERSEN CE, Incisor stability in patients with anterior rotational mandibular growth Angle Orthod, 1995,65, p 431-42
11 - CHATEAU M.,Argumentation du rapport de l'orthodontie Française. Rev Orthop dento Facial, 1985, N 56, p 327-330
12 - RICHARDSON M, Late lower arch crowding: the effect of second molar extraction. Am j Orthod Dentofacial Orthop, 1990, N 98, P 242- 246
13 -VAN DER LINDEN FR, De la denture temporaire à la denture permanente. Rev Orthop Dento Faciale, 1979, 13,437-73
14 - DURAND BM, PERDREX G, Eviction des fissures gingivales consécutives aux extractions en ODE J. Parodontol, 1984, 3, p 7-18
15 - HIXON EH, Contention. Rev Orthop Dento Facial, 1973,7, p 157-64