L. KISSI,  F. BENHAYOUNE, I. BENYAHYA

Service d’Odontologie Chirurgicale, CCTD, Casablanca
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca. Maroc

Université Hassan II


RÉSUMÉ

Les cas rapportés dans la littérature ont montré une relation étroite entre les implants en titane et l’apparition de l’allergie.
Pour pallier à ce problème les médecins dentistes, doivent établir un interrogatoire minutieux et un examen clinique complet pour déterminer les patients à risques. Ces derniers devraient subir des tests cutanés ou biologiques afin de prévenir cette allergie.

 

Par ailleurs, en présence de diagnostic positif à l’allergie au titane, les implants devraient être retirés et remplacés par d’autres implants en un matériau alternatif.
Mots clé: Allergie, titane, implants dentaires, prévention, traitement.


LES TESTS D’ALLERGIE AU TITANE

Les tests cutanés
Les tests cutanés (TC) ont toujours tenu une place importante en allergologie (Fig1).
Leur simplicité, leur rapidité, leur faible coût, l'absence de risque ainsi que leur spécificité en font des compléments de choix à l'anamnèse qui reste l'étape cruciale du diagnostic. Les TC démontrent in vivo la capacité des mastocytes cutanés à réagir au contact de l'allergène (1).

Prick test : Tests d’hypersensibilité immédiate
Les pricks-tests démontrent la présence d’IgE spécifiques vis-à-vis d’un allergène porté par un mastocyte cutané (Fig2) (2,3).


Les différents types de tests cutanés utilisés dans l’exploration immuno-allergologique par Guillot (2).

 

Résultats De prick test positifs (5).

 

L’enquête allergologique ne s’arrête pas à la découverte d’un test positif. Il faut, si possible, confirmer cette positivité .Il faut surtout déterminer la pertinence de ce test positif par confrontation à l’histoire clinique du patient, voire par des tests de provocation (4).


Patch Test : Test d’hypersensibilité retardée
(Fig 3,4) (Tableau I)
Les patch-tests constituent le meilleur moyen de diagnostiquer une allergie de contact, mais cette épreuve in vivo donne des résultats inconstamment reproductibles.
Le principe de ces tests est de reproduire la lésion d’hypersensibilité retardée, par une réintroduction de l’allergène sur la peau.
Dans les deux tests cutanés, la seule preuve de la responsabilité de l’allergène dans la symptomatologie du malade est apportée par l’épreuve d’éviction de cet allergène qui permet la guérison. En effet, un test positif peut ne pas correspondre à l’histoire actuelle du malade et témoigner d’une autre sensibilisation non responsable du tableau  (5,6,7).
 
 
 -  Test négatif
 +?  Réaction douteuse, léger érythème
 +  Réaction légère, érythème, œdème, infiltration légère
 ++  Réaction forte, érythème, œdème, infiltration et vésicules
 +++  Réaction très forte, érythème, œdème, infiltration, vésicules confluentes, bulles
 IR  Test irritatif
 NT  Non testé
Tableau I : Critères de lecture proposés par l’International Contact Dermatitis (ICDRG) (7).

Certains auteurs considèrent le patch test comme étant un -Gold Standard- dans le diagnostic de l’allergie au Titane (8).

Les Tests immunobiologiques
Le test de transformation lymphocytaire (TTL)
Le test de transformation lymphocytaire est un test qui explore une hypersensibilité retardée (Type IV selon classification de Gell et Combs), c’est-à-dire avec implication des lymphocytes T mémoires (9).

Le test MELISA
Bien que très délicate, la méthode MELISA est de conception simple et sa sensibilité est beaucoup plus grande que celle des méthodes classiques de dosages des métaux. Sa sensibilité se situe en effet au niveau cellulaire et immunologique, non plus au niveau pondéral.
Le test MELISA permet une détection immunologique des récepteurs antigéniques présents sur la membrane extérieure des cellules (10).

Revue de littérature sur  l’allergie aux implants dentaires en Titane   
Les premiers cas d’allergie aux implants dentaires en titane ont été rapportés par Mitchell et coll en 1990. Deux patients, âgés respectivement de 49 et 44 ans se sont présentés avec une hyperplasie gingivale suite à des implants posés.

Malgré les interventions, la réaction hyperplasique a persisté, ce qui a conduit les praticiens à remplacer les implants en Titane par des butées d’or fabriquées sur mesure. C’est alors que l’état de l’épithélium est revenu à la normale (11).
Hiroshi egusa and coll en 1998 rapportent un cas d’eczéma facial apparu après la pose d’implants dentaires en titane (Fig 5,6) (12).
Les praticiens ont donc eu recours au test TTL qui a montré une grande réactivité des lymphocytes de la patiente vis-à-vis du titane ou de ses dérivés.
Les implants ont été déposés avec le consentement de la patiente et les symptômes se sont ensuite progressivement améliorés.
 

 

Du preez La et coll en 2007 ont noté l’apparition d’une réaction sévère suite à la pose de six implants mandibulaires chez une femme de 49 ans et des douleurs franches en regard des sites implantés (13).
Une biopsie obtenue à partir des tissus péri-implantaires enflammés a mis en évidence une réponse inflammatoire chronique avec fibrose concomitante autour de tous les implants en Titane.
Chéilite exfoliative associée à un implant dentaire en Titane et une restauration à l’amalgame (14).Les réactions sévères et le résultat de la biopsie ont justifié le retrait des implants ce qui a conduit à une rémission complète des tissus durs et mous.


Pigatto et coll en 2011 ont diagnostiqué une chéilite exfoliative en regard d’un implant dentaire en Titane à proximité d’une restauration à l'amalgame chez une patiente âgée de 41 ans. La patiente n’a jamais eu d’antécédents de chéilite avant la pose d’implant. (Fig 7) (14).


La patiente a subi un patch test qui a montré une réaction allergique multiple aux métaux : Cobalt (++), Or (++), Nickel (++), Palladium (++), Chrome (+), Cuivre (+), ce qui suggère une relation étroite entre la chéilite et l’implant en titane mis à proximité des restaurations en amalgame selon les auteurs.
Cette forte et multiple allergie aux métaux a justifié le retrait des implants et des amalgames de la patiente (14).

Enfin en 2012, Hyun-Pil et coll ont examiné une dame âgée de 70 ans, venue pour des douleurs et une gène en regard d’implants supports de bridges (15). La patiente présentait des piliers fabriqués par le Ti-N, leur retrait a mis en évidence une muqueuse irritée (Fig 8).
La patiente a subi un patch test qui s’est avéré positif au Ti-N.
Après les résultats des tests, les praticiens ont remplacé les piliers en Ti-N par d’autres piliers en un matériau alternatif.
Les symptômes se sont progressivement améliorés et la patiente n’a développé aucune allergie après 1 an et demi de suivi (15).

 


Le médecin dentiste joue un rôle primordial dans le diagnostic d’allergie et aussi dans la prévention par le dépistage des patients à risques.


Anamnèse

Le but de l’anamnèse permet de rechercher la présence d’un terrain d’atopie susceptible de favoriser la survenue de l’allergie au titane :
Il faudra demander au patient s’il est allergique à d’autres métaux, s’il a déjà eu des échecs inexpliqués d’implants (orthopédiques ou dentaires) ainsi que la présence de terrain atopique au sein de la famille. Tous ces éléments peuvent être en faveur d’une allergie à l’implant dentaire (16).


Tests en préopératoire

C'est un sujet complexe qui reste subjectif. Une évaluation des patients à risque semble plus logique (terrain allergique suspecté, patient ayant des antécédents allergiques) et leur identification pourra se faire par l’examen du dossier médical et par le contact avec le médecin allergologue qui s’avère nécessaire.
C'est pour ces groupes controversés et difficiles que les tests cutanés (prick test , patch test) et tests biologiques (essentiellement MELISA) sont indiqués.

Une fois qu’une réaction au test positive est identifiée avant chirurgie, il y a plusieurs questions à traiter :
• Quel implant va donner au patient le meilleur résultat en termes de fonctionnalité/durabilité ?
• Le fait de trouver une réaction positive au test en utilisant le dispositif approprié justifierait-il l’utilisation d’un implant de qualité inférieure ?
La décision concernant le « meilleur » implant doit être faite par le chirurgien du patient.
Le rôle du dermatologue réside dans l’identification des réactions allergiques et dans le but de donner des orientations sur les matériaux sans risque pour l'implantation (c.-à-d. réactivité négative du métal, série de dépistage) (8).

 

CONDUITE À TENIR ET TRAITEMENT

Le diagnostic d’une allergie aux implants en titane est difficile, bien qu’il n’y’ait pas de consensus à ce sujet. On peut dans le but d’orienter le diagnostic et d’éliminer les diagnostics différentiels à savoir les causes mécaniques et infectieuses adopter la démarche suivante :
• Une anamnèse allergologique,         
• Un examen clinique,       
• Des tests allergologiques (15).


L’anamnèse allergologique

L’anamnèse joue un rôle déterminant car elle permettra de sélectionner les patients qui bénéficieront d’un diagnostic allergique (17).
L’anamnèse doit préciser les circonstances d’apparition et les modalités évolutives de la maladie ainsi que les traitements appliqués et leurs effets. Il faut préciser la date de début de l’affection, son siège initial et les modalités d’extension de la ou des lésions et leurs modifications éventuelles. Les principaux signes fonctionnels cutanés sont la douleur et le prurit. Le contexte dans lequel les lésions apparaissent est souvent essentiel : signes extracutanés associés, prise médicamenteuse, comorbidités, déficits immunitaires etc.

Un interrogatoire complet recueillant l’ensemble des antécédents est souvent primordial (18).
Chez un patient présentant une anamnèse claire, évoquant une allergie à une substance précise, l’utilité d’un diagnostic ciblé sur un ou deux allergènes précis est prépondérante.
Certains patients présenteront une anamnèse évoquant une allergie à différents allergènes potentiels nécessitant un screening impliquant un groupe, permettant d’appréhender toutes les allergies et sensibilisations possibles.

Finalement, certains patients présentent une anamnèse relativement peu claire pour une allergie ; chez ceux-ci le but du diagnostic allergologique est d’exclure une allergie. Chez ces patients, un bloc d’allergènes peut être testé et un résultat négatif permet d’exclure
la pathologie et d’orienter les investigations dans une autre direction (Fig 9) (19).
Dans le cas de suspicion d’allergie aux implants en titane, il faudra demander aux patients s’il est allergique à d’autres métaux, s’il a déjà eu des échecs inexpliqués d’implants (orthopédiques ou dentaires) et s’il a subi des traitements de péri-implantite.
Tous ces éléments peuvent être en faveur d’une allergie aux implants dentaires (16).

 

Plan des étapes diagnostiques dans l’investigation allergologique (8).
 
Examen clinique

L’examen clinique permet d’avoir une vue d'ensemble. Il comprend trois éléments. Tout d'abord, il faut analyser la lésion élémentaire, puis le groupement des lésions et finalement sa topographie.
Parmi les lésions élémentaires, nous distinguons les lésions primitives (macules, papules, nodules, vésicules, bulles, pustules), des lésions secondaires (croûtes, squames, excoriations, fissures, ulcérations). Les lésions primitives correspondant au processus lésionnel initial et sont souvent plus riches d'informations que les lésions secondaires. Il est donc nécessaire de rechercher systématiquement la lésion primitive.


Tests allergologiques

Dans le cas de suspicion d’une allergie aux implants dentaires en titane, le praticien doit penser à réaliser des tests allergologiques.
Les plus utilisés sont le test cutané (patch test) et le test biologique (MELISA) (15).


Traitement

La décision de déposer l’implant n’est pas à prendre à la légère. Elle demande une réflexion qui associe plusieurs facteurs :
1) Le patient doit pouvoir participer à la prise de décision en connaissant toutes les conséquences de cet acte souvent irréversible.
2) Le médecin allergologue doit pouvoir donner son appréciation et éventuellement proposer des tests complémentaires pour confirmer ou infirmer le diagnostic initial.
3) Le médecin dentiste doit informer le patient sur les alternatives possibles après dépose éventuelle et leurs conséquences (prothèses amovibles avec perte du confort et de l’efficacité masticatoire, perte esthétique, coûts financiers supplémentaires, …).

Dans les cas décrits dans la littérature et dans l’étude pilote présentés précédemment, tous les praticiens suite à l’anamnèse, aux symptômes allergiques et à la réponse positive des  tests allergologiques ont opté pour le retrait des implants en Titane.
Nous nous retrouvons face à trois situations :
- Première situation: Non consentement du patient de procéder au retrait de l’implant et donc une absence de suivi. Cette situation ne permet pas d’élucider les complications de l’allergie à l’implant en titane.
- Deuxième situation: le patient obtempère pour le retrait des implants ce qui conduit en général à l’amélioration progressive des symptômes allergiques jusqu’à rémission complète.
Mais il refuse toutefois le remplacement de ces derniers par des implants substitutifs constitués par d’autres matériaux alternatifs.
- Troisième situation: représente l’alternative idéale, car le patient se soumet à la décision du retrait des implants avec leur remplacement par des implants constitués par d’autres matériaux alternatifs principalement le Zirconium grâce à ses propriétés satisfaisantes et son recul clinique.

 

CONCLUSION

Bien que rare, l’allergie au titane existe.
Le médecin dentiste devra donc jouer un rôle déterminant dans le dépistage des patients susceptibles de développer cette allergie par le biais d’ :
• Une anamnèse,
• Un examen clinique minutieux,
• Des tests allergologiques qui sont le plus souvent le patch test et le test MELISA.

A côté de cela, le médecin dentiste devra également élargir davantage ses connaissances en immunologie et allergologie car il sera souvent confronté à des questions concernant les réactions immunologiques du patient face aux produits et matériaux qu’il utilise.
Enfin, le principal défi sera de pratiquer une réhabilitation orale la plus biocompatible possible d’où l’intérêt d’un dialogue constructif et une prise en charge en collaboration avec les allergologues et ou/ immuno-dermatologues.
Il serait intéressant d’effectuer une étude prospective au Maroc pour connaitre l’incidence et la prévalence réelle de l’allergie au Titane et ce pour mieux cerner son impact sur notre population.


BIBLIOGRAPHIE

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