S. HAITAMI, I. BENYAHYA
Service de Chirurgie Buccale
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca
Université Hassan II
RÉSUMÉ
La biopsie est un examen complémentaire d'une valeur diagnostique primordiale, permettant de confirmer ou d'infirmer le diagnostic posé lors de l'examen clinique. C'est un acte chirurgical qui requiert une technique rigoureuse de la part de l'opérateur.
Notre travail se propose donc de décrire, de façon détaillée, les indications et contre-indications de cet acte opératoire, ainsi que le protocole opératoire des biopsies les plus fréquemment réalisées en pratique courante, à savoir, la biopsie incisionnelle, excisionnelle et biopsie des glandes salivaires accessoires.
Mots-clés : Biopsie incisionnelle, Biopsie excisionnelle.
Le polymorphisme des affections de la muqueuse buccale pose le problème de diagnostic.
En effet, à côté du diagnostic clinique orienté par des signes aussi bien physiques que fonctionnels, le diagnostic de certitude ne peut être posé que grâce à un examen anatomo-pathologique.
Ainsi, dans sa pratique courante, le clinicien peut être amené à réaliser plusieurs types de prélèvements au niveau de la muqueuse buccale :
- Biopsie par incision, - Biopsie par excision, - Biopsie extemporanée, - Frottis,
- Ponction-biopsie à l'aiguille.
Le praticien peut également être conduit à faire des prélèvements au niveau d'autres tissus. Entre autres, il pourra avoir besoin de réaliser des biopsies osseuses, ganglionnaires, salivaires...
Le présent article se propose de développer les indications et contre-indications de la biopsie incisionnelle, excisionnelle et celles des glandes salivaires accessoires, ainsi que la technique opératoire de cet acte chirurgical.
DÉFINITION DE LA BIOPSIE
La biopsie consiste à prélever un fragment de tissu vivant par des moyens chirurgicaux dans le but de pratiquer un examen histologique, biochimique, microbiologique ou immunologique (1).
INDICATIONS DE LA BIOPSIE
- L'indication la plus commune d'une biopsie est l'établissement ou la confirmation du diagnostic d'une lésion suspecte (Fig.1). Cette dernière est caractérisée par les éléments suivants :
- Absence de guérison dans un laps de temps raisonnable (2 semaines),
- Symptomatologie et aspect clinique ne permettant pas de poser le diagnostic ou de déterminer s'il s'agit d'une lésion bénigne ou maligne (1).
Rappelons que les signes de malignité sont représentés par l'aspect bourgeonnant ou ulcéreux, l'induration, l'adhérence aux plans profonds, l'absence de douleur, la présence d'adénopathies et l'existence d'une mobilité dentaire isolée sans cause apparente (2). Lorsque le diagnostic d'une lésion suspecte est déjà porté cliniquement, la biopsie permet de confirmer et de préciser sa nature et ses caractères propres.
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Il en est de même pour les lésions malignes débutantes, qui, le plus souvent, peuvent être suspectées de malignité sans pour autant être fermement diagnostiquées comme telles sur le seul examen clinique, ce qui explique la nécessité d'une confirmation histologique qui seule autorise la mise en route d'un traitement. En effet, les signes d'appel sont souvent tardifs et n'apparaissent qu'à un stade assez avancé de la pathologie (Douleurs, dysphagie, otalgie...).
Ainsi, devant une lésion maligne, l'intérêt de la biopsie est alors triple. Outre la classification histologique de la tumeur, elle peut permettre d'en connaître l'évolutivité et de moduler en conséquence la thérapeutique. Selon la nature histologique, il est possible d'apprécier la radio ou la chimiosensibilité tumorale. Le traitement sera définitivement codifié, voire rectifié dès le résultat du prélèvement (3).
Dans d'autres situations par contre, la clinique seule ne permet pas de poser un diagnostic précis, c'est alors à l'examen anatomo-pathologique qu'il incombe de poser ce diagnostic.
C'est ainsi qu'une ulcération chronique non spécifique ou un érythème polymorphe peuvent évoquer plusieurs diagnostics probables, qu'il est à peu près impossible de différencier d'après le seul examen clinique (Fig. 2).
- La biopsie permet également de poser le diagnostic des pathologies infectieuses: Tuberculose, Syphilis, Herpès (Fig. 3).
- La biopsie est indiquée aussi dans les pathologies apparentées aux dermatoses: Lichen plan, pemphigus (Fig. 4) ...
Il peut s'agir de maladies vésiculeuses, bulleuses ou autres. Dans ce cas la biopsie doit être faite sur un élément jeune, si possible, une vésicule ou une bulle intacte.
Lorsque le toit de la bulle est absent le prélèvement doit inclure la lésion et la zone de muqueuse voisine (4).
- Dans la pathologie des glandes salivaires accessoires, la biopsie est d'un apport considérable non seulement pour les pathologies propres aux glandes salivaires accessoires comme les lithiases salivaires, mais également pour le diagnostic étiologique d'un syndrome sec, pouvant ou non relever de certaines pathologies systémiques comme la sarccoödose, le syndrome de Gougerot... (5)
- La biopsie peut enfin être indiquée en cas de cancérophobie. En effet, certaines variations anatomiques physiologiques (langue géographique, coloration gingivales ethniques ... ) peuvent inquiéter des patients cancérophobes. La réalisation d'une biopsie et la présentation du rapport de l'anatomopathologiste au patient sont souvent un moyen thérapeutique des plus efficaces (3) (Fig 5).
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CONTRE-INDICATIONS
La biopsie peut être contre-indiquée dans certaines situations. Ses contre-indications peuvent être absolues ou relatives.
Contre-indications absolues :
Il existe un certain nombre de risques qui contre-indiquent la réalisation d'un prélèvement:
- Risque de dégénérescence maligne: Ce risque est provoqué à la suite du traumatisme représenté par l'acte lui-même (6). Ex : Neurofibromatose de Von Recklinghaussen, lichen-plan,
- Risque d'essaimage et d'extension en tissu sain (6). Ex : Tumeurs mixtes salivaires,
- Risque d'aggravation d'un processus malin évolutif. Certaines tumeurs, telles que les tumeurs naeviques, sont susceptibles après traumatisme biopsique de voir leur potentiel évolutif exacerbé, car lors de la biopsie, on va provoquer une effraction vasculaire et donc un risque de dissémination (7),
- Risque hémorragique grave : Ex : tumeurs vasculaires ou angiomes (6,7).
Contre-indications relatives :
- Comme tout acte chirurgical, la biopsie peut être contre-indiquée en cas de risque infectieux ou hémorragique. Ces contre-indications, en rapport avec l'état général du patient, ne sont que relatives, car tout acte peut être réalisé dès que le protocole de prise en charge du patient est établi en collaboration avec le médecin traitant et en prenant les précautions qui s'imposent devant tout patient à risque,
- La biopsie peut également être contre-indiquée lorsque la notion de continuité est compromise. Il faut en effet considérer la biopsie comme un des éléments de l'ensemble des mesures thérapeutiques pour lequel une certaine continuité doit être respectée. Or la réalisation d'une biopsie peut entraîner des modifications de forme ou de volume ou une désorganisation tissulaire de nature inflammatoire susceptibles de désorienter ou de gêner l'appréciation de la thérapeutique par le praticien à qui nous serons amenés à confier notre patient (6, 8),
- Lorsque la lésion est franchement maligne, ou lorsque sa nature, sa taille ou sa localisation (Ex. partie postérieure de la langue) posent problème, il devient alors préférable d'adresser le patient à des praticiens plus spécialisés. La biopsie devient alors contre-indiquée pour des raisons de faisabilité ou de compétence (7).
PROTOCOLE OPÉRATOIRE
Comme pour tout acte chirurgical, la réalisation d'une biopsie doit être précédée par un examen clinique complet et minutieux, comprenant un interrogatoire, un examen exo et endobuccal, des examens complémentaires...
Le malade doit également être soumis à une préparation psychique et médicamenteuse.
La préparation psychique est importante. Le patient doit être préalablement mis en confiance, en lui expliquant la nécessité et le but de la biopsie.
Quant à la prémédication, elle peut varier selon l'état général du patient (risque infectieux ou hémorragique). On peut aussi avoir recours à une prémédication sédative chez les sujets anxieux.
Instrumentation :
L'instrumentation nécessaire à la réalisation d'une biopsie comprend :
- Un miroir pour écarter,
- Le matériel d'anesthésie Seringue, aiguille, carpule,
- Un manche et une lame de Bistouri, - Une précelle à mors plats,
- Le matériel de suture : Pince porte-aiguille, ciseaux, fil de suture,
- Un flacon contenant un fixateur (Fig. 6).
Désinfection :
Le site opératoire est lavé à l'aide d'une compresse imbibée de sérum physiologique pour éliminer tout corps étranger (9). On applique ensuite une solution désinfectante (ex: Bétadine ou ammonium quaternaire ... ) (10).
Au risque de modifier les structures tissulaires, le produit désinfectant ne doit pas être appliqué par frottement ni compression mais par badigeonnage doux.
Anesthésie :
L'anesthésie loco-régionale est préférée chaque fois que possible afin d'éviter l'injection à proximité de la lésion.
Sinon, on peut avoir recours à une anesthésie locale par infiltration. Dans ce cas, l'injection doit obligatoirement se faire à distance du site opératoire en tissu sain et non au niveau du spécimen pour ne pas modifier l'arrangement cellulaire (9) (Fig 7).
La biopsie incisionnelle :
La Biopsie incisionnelle consiste à prélever un petit fragment de la lésion, en vue de confirmer ou d'infirmer le diagnostic clinique ou d'apporter des précisions complémentaires (4).
Cette biopsie est en général indiquée lorsque les dimensions de la lésion excèdent 1cm (lésions étendues ou diffuses). (1, 7) (Fig.8).
Il est nécessaire de choisir une zone représentative de l'ensemble de la lésion, à cheval sur la lésion et les muqueuses saines périphériques. Ceci est possible lorsque la lésion est homogène. Lorsqu'elle ne l'est pas, on peut réaliser plusieurs petits prélèvements qu'il faut numéroter et identifier.
Il faut éviter les ulcérations et les zones de nécrose, qui sont le plus souvent ininterprétables (4).
Il existe 2 types d'incision :
- Triangulaire,
- Elliptique en quartier d'orange (3, 7).
Quelque soit l'incision choisie, elle doit permettre la libération d'un fragment de taille et d'épaisseur suffisantes (Fig 9 et 10).
On commence par inciser profondément les contours du prélèvement au bistouri à lame. Il est important de veiller à l'inclusion d'une marge suffisante de tissu sain sur tout le pourtour de la lésion, aussi bien en profondeur qu'en largeur.
Lorsque le fragment est suffisamment libéré, on le saisit par sa partie profonde avec une pince fine et on sectionne au bistouri sous la pince.
On assure ensuite l'hémostase et on procède à la fermeture du site opératoire à l'aide de sutures hermétiques.
Il faut se méfier des précelles à griffes ainsi que d'une aspiration agressive qui pourraient détériorer le fragment (4).
La biopsie excisionnelle :
Lorsque la lésion au niveau de la muqueuse buccale est de petite taille, elle ne peut pas faire l'objet d'une biopsie mais plutôt d'une exérèse emportant la totalité de la lésion avec une marge suffisante lorsqu'il existe une suspicion de malignité. Il s'agira alors d'une biopsie excisionnelle (4), (Fig 11 et 12).
L'incision recommandée, ici aussi, est elliptique, car elle permet une fermeture linéaire et une guérison par première intention. L'incision circulaire est à proscrire car elle occasionne une contraction irrégulière lors de la fermeture, il en résulte une guérison par seconde intention avec formation de cicatrice inesthétique, voire même gênante sur le plan fonctionnel.
La biopsie par excision permet l'économie d'un acte chirurgical (3).
Il ne faut pas oublier de signaler au laboratoire qu'il s'agit d'une exérèse et non d'une biopsie, ce qui, en cas de lésion maligne, entraîne pour le pathologiste l'obligation de contrôler les tranches de section et d'en faire état dans le rapport. En effet, l'étude histologique est fondamentale pour juger de la qualité de l'exérèse: ablation complète de la tumeur ou exérèse insuffisante, la tranche de section passant en deçà de l'extension néoplasique (4).
La biopsie des glandes salivaires accessoires :
La biopsie des glandes salivaires accessoires est devenue un examen systématique dans la recherche de l'étiologie d'un syndrome sec ou dans le bilan diagnostique d'une sarcoïdose ou d'une autre maladie auto-immune.
On prélève habituellement les glandes salivaires accessoires labiales inférieures, mais certains auteurs ont prôné l'étude des glandes salivaires palatines ou celle de la glande sublinguale, ce qui permet l'obtention d'une plus grande quantité de parenchyme salivaire.
A l'aide d'une incision de 1,5 à 2 cm de longueur de la muqueuse labiale inférieure, à mi-distance entre la ligne médiane et la commissure, on isole et on prélève au minimum 5 à 6 glandes salivaires accessoires, la plaie est ensuite suturée (4, 11, 12), (Fig 13 et 14).
Orientation du fragment :
Le tissu a tendance à se contracter après le prélèvement et les spécimens très minces risquent de s'enrouler, ce qui rend leur orientation difficile pour le pathologiste.
Il faudra donc procéder juste après le prélèvement, à l'orientation du fragment afin de permettre la distinction des faces épithéliale et conjonctive.
On peut déposer le fragment prélevé sur un film plastique -par exemple un film radiographique- sur sa face cruentée et non sur sa face épithéliale. La surface du fragment doit être parallèle au plan du film, dont les bords sont ensuite découpés d'une façon convenue avec le pathologiste pour indiquer l'orientation du fragment (4).
Les prélèvements peuvent aussi être orientés par des nœuds réalisés avec un fil de suture (1), (Fig 15).
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Fixation :
Temps fondamental, il a pour but de mobiliser les structures cellulaires et tissulaires dans un état aussi proche que possible de l'état in vivo.
La fixation doit être immédiate. Le fragment prélevé est plongé dans un flacon à fond lange contenant une quantité suffisante de liquide fixateur (10 à 20 fois supérieure au volume du prélèvement) et portant une étiquette avec le nom du malade. On vérifiera toujours que le fragment est correctement immergé, à distance du bouchon du flacon. Le fixateur le plus utilisé est le liquide de Bouin.
Le Formol à 10% est surtout employé pour les grandes pièces d'exérèse, car il altère moins les formes et les couleurs et permet de faire l'examen macroscopique dans de bonnes conditions. Mais il fixe plus lentement les tissus, et conserve moins bien les structures cellulaires.
L'alcool est un mauvais fixateur; le sérum physiologique ne l'est pas du tout (4).
Rédaction du formulaire :
La communication entre clinicien et anatomopathologiste se fait grâce à un formulaire qui doit être le plus complet possible. Il comprendra :
- Les renseignements personnels du malade : Nom, prénom, âge, sexe... - La date du prélèvement,
- L'histoire médicale du patient Il faut signaler toute pathologie générale ou manifestations néoplasiques antérieures en un point quelconque de l'organisme,
- La présence d'infection dentaire ou parodontale...
- Le siège exact du prélèvement à l'aide d'un schéma ou d'une photo pré-opératoire si possible,
- Les caractéristiques de la lésion.
Dimension, couleur, forme, consistance, rapidité d'évolution, aspect radiologique, les signes locaux, régionaux et à distance associés, - Les thérapeutiques éventuelles appliquées, - Le diagnostic clinique présumé, - Le type de fixation (1,3,12).
SOINS POST-OPÉRATOIRES
La biopsie est un acte dont les suites opératoires sont simples. En effet, les soins post-opératoires se résument en la réalisation de sutures hermétiques et en la prescription d'un antalgique et d'un bain de bouche antiseptique.
CONCLUSION
Les examens de laboratoire de pathologie sont souvent indispensables pour poser le diagnostic d'une lésion de la muqueuse buccale ou pour orienter l'attitude thérapeutique.
Ces examens sont à la portée de tout praticien à condition qu'il possède des connaissances cliniques suffisantes et une certaine expérience chirurgicale.
BIBLIOGRAPHIE
1 - MICHAUD M. Médecine buccale: méthodologie du diagnostic. Gaëtan Morin éditeur 1994.
2 - GUILBERT F Cancers de la cavité buccale: étude clinique. EMC, 1997,22-063-A-10.
3 - BERTRAND F., GUILBERT F Les biopsies.AOS, 1982,137,36,83-88.
4 - LOMBARDI T., SAMSON J., KUFFER R. Biopsie de la muqueuse buccale. Réalités cliniques, 1999, volume 10, N°21,339-348.
5 - DARDICKI., POSTOLERO G. Pathology of salivary glands. Oral. Surg. Oral. Med. Oral. Pathol. 1993,76:307-318.
6 - LAGARIGUE J., REYNES P, GUICHARD M. Biopsie et examen cytologique: indications, contre-indications. CDF, 1981,95:44-48.
7 - PEDERSON G.W. Oral surgery.WB. Saunders company 1988.
8 - NEWTON C.W.To biopsy or not Oral. Surg. Oral. Med. Oral. Pathol. 1999,87,:642-643.
9 - DUPUIS R. Biopsie: principes généraux, indications et techniques.JDQ, 1985,22:119-125.
10 - BERTOIN P, BAUDET-POMMEL M., ZATTARA H., GOURMET R. Les lésions précancéreuses et cancéreuses de la muqueuse buccale. Masson, Paris,1995.
11 - MILORO M. Intraoral submandibular gland excision. Oral. Surg. Oral. Med. Oral. Pathol. 1999,88:661-663.
12 - AURIOL M., LE CHARPENTIERY. Biopsie. EMC, 22-011-R- 10, 1996.