Interview avec le directeur de la CNSS, Monsieur Saïd AHMIDOUCH
Saïd AHMIDOUCH
Directeur Général de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale
Directeur Général de la CNIA Assurance (2000 – 2005)
Directeur Général Adjoint de la Compagnie Africaine d’Assurances (1990 – 2000)
Directeur de la Production à l’Alliance Africaine d’Assurance (1986 - 1990 )
Ingénieur Etudes à la SAMIR (1984 – 1986)
Lauréat de l’Ecole des Mines de Paris (1984)
Le Courrier du Dentiste : Il y eu diverses conventions de remboursements de soins signées entre l’AMO et des organismes de santé. Pourquoi cette ségrégation pour les soins dentaires ?
Mr. Saïd Ahmidouch : La CNSS a toujours considéré les chirurgiens dentistes, comme des partenaires en matière d’Assurance Maladie Obligatoire. D’ailleurs, une convention régissant les relations entre les organismes gestionnaires et les chirurgiens dentistes du secteur libéral a été mise en place depuis le 28 juillet 2006.
LCDD : En vous basant sur les études épidémiologiques menées par le ministère de la santé, vous aurez estimé de façon objective les besoins en soins de la population marocaine. Quel a été le frein pour instaurer une politique de remboursement au moins des soins les plus urgents ?
Mr. S. A.: Les soins dentaires, urgents ou pas, sont couverts chez les enfants de moins de 12 ans depuis la mise en place de l’assurance maladie obligatoire.
En plus, en prenant en considération la lourdeur de la prise en charge thérapeutique chez les porteurs d’ALD et les risques encourus médicalement avec la vulnérabilité en cas d’affection dentaire, la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, a pris la décision de prendre également en charge les soins dentaires pour cette population en attendant d’étendre cette couverture au reste des assurés.
LCDD : Est-il vrai que vous avez demandé au conseil de l’ordre des médecins dentistes de produire une étude attestant l'importance des soins dentaires dans la vie des citoyens ?
Mr. S. A.: Nous sommes conscients et convaincus de l’importance des soins dentaires dans la vie de tout un chacun. Ceci étant la CNSS n’a pas demandé d’étude particulière ni à cette catégorie de médecins ni à une autre catégorie.
LCDD : « En écartant les soins dentaires, les responsables de la CNSS ont commis une grave erreur car les ouvriers et la masse salariale d'une manière générale auront du mal à accéder aux soins dentaires. De plus, la décision du Conseil d'administration de la CNSS est en parfaite contradiction avec la politique du ministère de la Santé qui a signé une résolution de l'OMS en 2006 qui donne la priorité aux soins dentaires » Le Matin 30 avr. 2009.
Que pensez-vous de cette citation émanant du conseil de l’ordre des médecins dentistes du Maroc ?
Ne pensez-vous pas que le fait d’écarter les soins dentaires des remboursements contribue de un, à encourager la population marocaine à recourir aux soins des charlatans, de deux, à ancrer dans son esprit que les pathologies bucco-dentaires ne sont pas aussi urgentes que les autres pathologies de l’organisme ?
Mr. S. A.: La ligne directrice de la mise en œuvre de l’AMO a été dès le départ : La progressivité. En effet, tous les systèmes de couverture médicale qui ont péché par manque de prudence connaissent des difficultés majeures et hypothèquent leur pérennité.
Aussi, je voudrais rappeler que les soins dentaires sont actuellement couverts par la CNSS dans le cadre de l’AMO pour les populations suivantes : enfants de moins de 12 ans et les porteurs de certaines maladies entrant dans le panier de soins de l’Assurance Maladie Obligatoire et qui sont au nombre de 120 maladies.
De ce fait, nous n’avons jamais écarté du panier de soins, le remboursement des soins dentaires, nous avons juste différé la prise en charge de ces soins pour les assurés autres que les porteurs d’ALD et les enfants de moins de 12 ans et ceci en nous basant sur des études actuarielles dans le but d’assurer la pérennité du système.
Dans tout nouveau système, il faut procéder par priorité. En matière de couverture de soins dentaires, la priorité a été donnée à la population jugée la plus vulnérable en attendant l’extension prévue pour le reste des assurés.
LCDD : Dans 2 ans (2012), quand vous aurez adopté le remboursement des soins dentaires (hypothétique), vous aurez à payer une facture bien salée du fait du cumul de problèmes dentaires chez vos affiliés, vous y avez conscience ?
Mr. S. A.: Je tiens à vous informer que l’un des avantages de l’Assurance Maladie Obligatoire est la couverture de l’antériorité des maladies. Par conséquent, la CNSS prendra en charge les soins dentaires pour le reste des assurés le moment venu.
La décision de différer l’extension de la couverture des soins dentaires à l’ensemble de la population n’a pas été facile certes, mais a été réfléchie. La CNSS en tant que gestionnaire de l’AMO se doit de garantir la pérennité du système en prenant les décisions qu’il faut.
LCDD : Ne serait-il pas judicieux d’instaurer le remboursement des soins préventifs pour ne citer que les soins prophylactiques des molaires permanentes chez les jeunes enfants et adolescents et la prévention des maladies parodontales chez cette même catégorie de population sachant que cette dernière est très répandue dans notre pays ?
Mr. S. A.: La CNSS couvre depuis toujours dans le cadre de l’Assurance Maladie Obligatoire, les soins d’hygiène bucco-dentaire notamment les soins prophylactiques des molaires permanentes chez les enfants de moins de 12 ans ainsi que le détartrage.
LCDD : Si la situation est ce qu’elle est aujourd’hui, pouvons-nous espérer dans un futur proche pour notre pays un système de remboursement des soins prophylactiques qui soit mis en place en concertation avec les médecins dentistes pour tout ce qui est frais des soins prophylactiques, frais des contrôles ou le nombre de contrôles gratuits, bases de remboursements..., afin que tous ensemble vous contribuez à une meilleure santé bucco-dentaire de notre pays ? Nous avons vu des expériences similaires très réussies dans d’autres pays.
Mr. S. A.: La CNSS a toujours été ouverte aux propositions de ses partenaires. D’ailleurs c’est dans cet esprit que toutes les conventions nationales entre prestataires de soins et organismes gestionnaires ont été établies.
LCDD : Mot de la fin ?
Mr. S. A.: Il faut garder à l’esprit que l’Assurance Maladie Obligatoire n’a que 4 ans d’existence et qu’aujourd’hui nous devons nous féliciter des réalisations que d’autres pays ont mis des décennies à atteindre.
Notre souci constant est de bâtir un système de couverture durable financièrement. Tous les systèmes qui ont été mis en place dans d’autres pays ont mis quelques dizaines d’années. Il ne servirait à rien de lancer un système hyper-généreux mais qui coulera suite à des déficits au bout de quelques années.
La Caisse Nationale de Sécurité Sociale, consciente des enjeux, continuera à œuvrer, en partenariat avec les chirurgiens dentistes ainsi qu’avec l’ensemble du corps médical, pour l’amélioration de l’ensemble des dispositifs qui accompagnent la mise en place de cette couverture.
Propos recueillis par Redouane MOUDEN