Le Courrier du Dentiste : Comment va la dentisterie au Maroc ?
Dr. Mohammed Jerrar : La médecine dentaire au Maroc a connu un développement impressionnant sur plusieurs niveaux.
En 1970, on comptait une centaine de médecins dentistes concentrés sur l’axe Casablanca Rabat. Aujourd’hui, la profession compte plus de 5100 médecins dentistes répartis sur tout le territoire marocain. Ils sont présents partout et couvrent aussi les petites villes comme Ait ourir, Ain taoujdate, Aklim, Driouch, Ben ahmed, Ouled Berhil, Souk essabt, Kelaat meggouna, Tafraoute, Tahnnaout, Missour, Mrirt, Tahla, Erfoud, Boulemane et tant d’autres.
Aussi, la profession a connu une évolution technique remarquable. Les médecins dentistes sont constamment en quête des actualités et des nouvelles révolutions techniques au même terme que tous les autres confrères à l’échelle internationale sans oublier l’échange cosmopolite qui évolue d’année en année. Ces développements démographiques et techniques ne peuvent qu’être favorables et bénéfiques pour mieux servir notre population.
La profession vit actuellement une certaine maturité avec la mise en œuvre de la loi 07-05 et grâce également au travail colossal que fournissent les syndicats, les associations, ainsi que les deux facultés de médecine dentaire dans le développement de notre profession.
Il est à noter aussi que maintenant nous développons des rapports constants avec les décideurs et les partenaires institutionnels ainsi qu'avec toutes les autres professions réglementées notamment les professions médicales.
Depuis janvier 2005 et en application de l'article 6 de la loi 07-05 relative à l'Ordre National des Médecins Dentistes (O.N.M.D), L’autorisation de l'exercice octroyée par le secrétariat général du gouvernement est remplacée par l’inscription ordinale au tableau de l’Ordre. Cette inscription délivrée par les Conseils régionaux de l’O.N.M.D donne droit à l’exercice dans le secteur privé.
La médecine dentaire est en pleine phase de mutation, avec l’avènement du nouveau projet de loi réglementant l’exercice des professions paramédicales notamment celle de l'exercice des prothésistes dentaires et son application permettra d'assainir notre secteur de l’exercice illégal qui pollue la profession depuis des décennies. Une nouvelle loi d’exercice de la médecine dentaire est également en cours de préparation. Elle répondra au mieux aux besoins des citoyens et des professionnels de la santé bucco-dentaire.
Aussi, le ministère de l’enseignement supérieur a mis en place une nouvelle réforme des études en médecine dentaire. Dorénavant, l’obtention du diplôme en médecine dentaire passe par six années d’études au lieu de cinq, avec l’obligation de faire un stage dans les établissements dentaires privés ou publics au niveau de la dernière année.
Dr Jerrar Mohammed Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins Dentistes du Maroc |
LCDD : Parlez nous de la formation continue au Maroc.
Dr. M. J. : La profession accuse des avancées technologiques et scientifiques importantes. Suite à l’article 30 de la loi 07-05 relative à l’O.N.M.D., le Conseil National fixe le programme annuel de la formation continue des médecins dentistes en coordination avec les conseils régionaux, les établissements d’enseignement supérieur de médecine dentaire et les associations scientifiques concernées.
La formation continue est un vecteur inestimable dans l’évolution de la profession dans le but ultime de mieux servir notre population. Elle demeure un grand chantier qui nécessite la consécration d’un temps énorme et un travail de fond de la part de l’O.N.M.D. Suite à la tenue de plusieurs événements notamment les premières et deuxièmes Assises Nationales de la médecine dentaire, nous nous sommes fixés maints objectifs sur lesquels nous travaillons depuis le temps mais beaucoup reste à faire encore:
- Encourager la formation continue et introduire son obligation dans le nouveau texte de loi régissant la médecine dentaire, en se fixant un moratoire sur la date de son entrée en vigueur. Une commission tripartite travaille d’arrache-pied sur ce projet de loi.
- Recenser les besoins des médecins dentistes en formation continue et l’organiser dans les champs du temps et de l’espace. Un travail a été effectué dans ce sens et reste encore du boulot sur la planche.
- Veiller au respect du rôle de l’O.N.M.D. dans le contrôle et la gestion de la formation continue. Nous sommes en phase de début de préparation de la base juridique et réglementaire pour la mise en application de cette règle.
- Trouver les leviers et les moyens financiers rendant la formation continue attractive et accessible à tous les médecins dentistes. Dans ce sens, un grand effort a été déployé par l’Ordre au niveau régional en collaboration avec les différents partenaires et au niveau national notamment lors du Moroccan Dental Meeting (MDM) 2015 afin d’offrir l’accès gratuit aux médecins dentistes inscrits au tableau de l’Ordre et à jour dans leurs cotisations.
Nous vous donnons d’ailleurs rendez-vous pour la deuxième édition du MDM les 26, 27 et 28 octobre 2017.
LCDD : Comment s’est déroulée la campagne nationale de sensibilisation à l'HBD de cette année ?
Dr. M. J. : Les médecins dentistes organisent régulièrement des actions de prévention et prodiguent des soins dentaires gratuits à travers les différentes associations sociales telles que l’Association Marocaine de la Prévention Bucco Dentaire (AMPBD), Enfance Sourire, Issafarne, l’Association Marocaine des Chirurgiens Dentistes (AMCD), la Société Marocaine de Parodontologie et d’Implantologie (SMPI), Les parrains du sourire, Rangs d'honneur, Réseau de sourire, Santé et sourire et beaucoup d’autres, et ce au niveau de tout le royaume en insistant particulièrement sur les zones rurales et les zones enclavées.
Pas plus loin que le mois de mars, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé bucco dentaire, plus de 41000 personnes ont bénéficié de sensibilisation sur l’hygiène bucco-dentaire et de soins gratuits dans le cadre d’une campagne sociale organisée du 18 au 26 mars 2016.
L’ONMD en collaboration avec Colgate a réalisé un programme national de prévention bucco-dentaire au sein des cabinets dentaires privés de Marrakech. Un projet pilote qui a connu une très grande satisfaction visant à sensibiliser la population, essentiellement les enfants, aux principes de base de l’hygiène bucco-dentaire et aux techniques de brossage recommandées.
LCDD : Quelles sont les problèmes que rencontrent les lauréats nouvellement installés ?
Dr. M. J. : Le problème majeur que rencontrent les lauréats nouvellement installés est celui de l’exercice de la médecine dentaire dans des locaux sans une autorisation préalable, et sans avoir l’accord des syndics des copropriétés avant.
Dans une tentative d’accompagner et d’assister ces lauréats dans leurs premiers pas, les Conseils Régionaux assurent, à travers des rencontres et sur leurs sites web, l’information et la formation sur la partie législative afin de leur procurer les outils et les connaissances nécessaires pour bien démarrer leur vie professionnelle.
Dorénavant, l’intégration des jeunes lauréats se fera graduellement et dans de meilleures conditions grâce à la nouvelle réforme des études en médecine dentaire qui exige l’accomplissement des stages en sixième année dans le secteur privé, ce qui facilitera leur insertion dans le monde professionnel.
LCDD : Quel est le bilan des campagnes contre le charlatanisme ?
Dr. M. J. : En juin 2014, Mr. Mohamed Hassad, ministre de l'intérieur, a déclaré devant les élus au Parlement que d’après le recensement effectué par son ministère, le nombre total des exerçants illégalement en bouche au Maroc était de 3.300, dont plus de la moitié (1.790 plus exactement), ne disposait d’aucune autorisation, sachant que ceux qui en disposent, ne peuvent exercer que la profession de prothésiste dentaire et non pas de médecine dentaire.
Des commissions de contrôle composées des membres de l’O.N.M.D. et des syndicats ont détecté de nombreux dépassements et contraventions qui ont fait l’affaire de poursuites judiciaires.
Aussi, un accord a été signé avec l’Ordre des Pharmaciens sous la houlette du ministère de la santé pour l’application d’une nouvelle procédure régissant la distribution des produits anesthésiques à usage dentaire. Désormais, la vente des produits anesthésiques ne pourra se faire qu’auprès des pharmacies d’officine après présentation par le médecin dentiste de bons de commande établis et délivrés par les Conseils régionaux de l’O.N.M.D. Une façon de régulariser la distribution de ces produits accessibles depuis des décennies aux non-professionnels à travers un circuit incluant laboratoires pharmaceutiques et faux dentistes, charlatans et intermédiaires.
Egalement, un projet de loi n° 25-14 régissant les professions des préparateurs et manipulateurs des produits de santé a été discuté à la première chambre et en phase d'étude actuellement à la deuxième chambre du parlement. Cette loi définit précisément les champs d’action des autres professions médicales y compris les prothésistes et interdit subséquemment à toute personne autre que le médecin dentiste, ayant toutes les connaissances médicales nécessaires et inscrit au tableau de l’Ordre, à soigner les bouches des patients.
LCDD : Qu’en est-il pour la couverture médicale des médecins dentistes ?
Dr. M. J. : Une révision de la convention vient d’être signée avec la compagnie d’assurance SANAD en faveur des médecins dentistes, en sus d’une convention AMO en cours de révision entre les organismes gestionnaires et les médecins dentistes chapeautée par l’ANAM.
L’ONMD présage également un projet d’une caisse de prévoyance sociale pour les médecins dentistes en cas de décès ou d’invalidité.
Un autre projet tant attendu, une loi portant l’AMO des professions des indépendants ainsi qu’une autre relative à la retraite sont en cours de traitement au parlement.
Du côté des patients, la CNSS a procédé à l’extension du panier AMO relatif aux soins dentaires suite aux relances insistantes de l’ONMD.
Aussi, La CNOPS a effectué une revalorisation du tarif des soins dentaires en relevant le remboursement ou la prise en charge des soins dentaires. Ainsi, le tarif de la clé « D » est passé de 6,50 DH à 12,50 Dh pour les prothèses dentaires, et de 6,50 Dh à 17,50 Dh pour les soins dentaires, soit un alignement sur le tarif national de référence.
LCDD : Que pouvez vous nous dire sur la discipline et respect de l'éthique par le médecin dentiste ?
Dr. M. J. : Tout médecin dentiste qui se respecte est tenu de se conformer au code de déontologie de la médecine dentaire selon le décret n° 2-96-989 du 17 ramadan 1419.
Il se doit de respecter les malades en leur prodiguant des soins consciencieux, de respecter ses confrères en ne dénigrant aucunement leur travail et de respecter la profession en s’alignant au règlement et ne pas participer d’aucune manière quelconque à l’exercice illégal de la médecine dentaire.
Je rappelle par cette occasion à toutes mes consœurs et tous mes confrères à se conformer au règlement et à bannir toute forme de publicité notamment sur papier, sur internet ou à travers les enseignes lumineuses sous peine d’être sanctionnés par l’ONMD. La médecine dentaire est une profession qui ne doit en aucun cas ni d'aucune façon être pratiquée comme un commerce, et tous procédés directs ou indirects de publicité sont strictement interdits. Ceci va à l’encontre du code de déontologie dont le deuxième alinéa de l’article 11 stipule : «Sont notamment interdits : Tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité ».
LCDD : Quels sont les projets d’avenir de l’ordre ?
Dr. M. J. : Plusieurs dossiers sont encore ouverts. L’O.N.M.D. travaille incessamment et continuellement en déployant tout son temps ainsi que ses ressources humaines en vue de leurs réalisations :
· Contribuer à l’élaboration du projet de loi sur l’exercice de la médecine dentaire,
· Plaidoyer pour l'amendement de la loi 17/04 relative au code du médicament et de la pharmacie pour la dispensation des médicaments à usage professionnel dentaire directement des fabricants et répartiteurs ;
· Suivre les projets des lois relatives :
- aux préparateurs et manipulateurs des produits de santé,
- au code de la mutualité,
- à la retraite,
- à l’AMO des indépendants ;
· Accompagner la mise en place des décrets d'application de loi 84-12 relative aux dispositifs médicaux ;
· L’implication de l’ONMD au cœur du projet de classification commune des actes médicaux (CCAM) qui est en cours d'étude pour remplacer la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ;
· La promotion de la formation continue.
· Poursuivre la lutte contre l’exercice illégal.
LCDD : Le mot de la fin ?
Dr. M. J. : Ces projets certes ambitieux mais réalisables ne pourront se faire sans le concourt de tout un chacun. Le chemin est long est les espoirs sont grands, nous ne manquerons pas à faire appel à toutes les bonnes volontés afin de réussir collectivement ces chantiers déjà ouverts.
Nous remercions vivement Dr Mohammed Jerrar de nous avoir permis de faire cette interview que nous espérons donnera des réponses à une certaine quantité de questionnements des médecins dentistes du Maroc.
Propos recueillis par Redouane MOUDEN