Publié le 15-02-2001
M. KHAZANA, H. TARAF, I. BENYAHYA
Service d’Odontologie Chirurgicale
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca

 

RÉSUMÉ

La douleur est un symptôme à composantes multiples. Sa prise en charge est d’abord étiologique et nécessite le recours à la prescription de médicaments antalgiques qui se distinguent par leur mode d’action : périphérique ou centrale.

Les antalgiques périphériques agissent au niveau des fibres nerveuses en augmentant leur seuil de sensibilité. Cette action est obtenue essentiellement par l’inhibition de la synthèse de substances algogènes : les prostaglandines.

 

Les antalgiques centraux eux, inhibent la conception de la douleur au niveau des centres nerveux (thalamus et cortex cérébral). De ce fait, outre l’effet analgésique, d’autres effets se surajoutent : nausées, somnolence, dépendance…

Quel que soit son mode d’action, la prescription d’un antalgique doit être réfléchie et tenir  compte à la fois de l’intensité de la douleur, du contexte médical du patient et des effets indésirables du médicament.

Mots-clés :  Analgésiques, Douleur, Odontostomatologie.


L'image du chirurgien dentiste est encore, pour le grand public directement associée à la douleur . De ce fait, traiter la douleur de son patient est l’une des préoccupations quotidiennes de chaque praticien odontologiste. Son contrôle est sans aucun doute l’un des aspects pharmacologiques les plus importants de la pratique odontostomatologique.


La douleur est un phénomène complexe car en plus de la composante sensorielle, des phénomènes subjectifs propres à chaque malade se surajoutent (1).
Les antalgiques sont des médicaments capables de diminuer ou d’abolir la perception des sensations nociceptives sans entraîner une perte de conscience.
Ce travail traite l’utilisation de ces médicaments : le choix, le moment, le mode et la durée de la prescription ainsi que les interactions médicamenteuses en fonction des situations cliniques.

 

CLASSIFICATION DES ANTALGIQUES

Ces médicaments sont classiquement divisés en 2 catégories :
- Antalgiques morphiniques, toxicomanogènes réservés aux douleurs intenses,
- Antalgiques non morphiniques, non toxicomanogènes utilisés pour combattre les douleurs d'intensité moyenne et à fortiori faible.
Toutefois selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les antalgiques peuvent être classés en trois niveaux selon la puissance de leur action (Palier antalgique).

 

 

 

Echelle de l’OMS : (tableau 1) (2)
Pour guider le prescripteur, l’OMS a classé les antalgiques, selon leur puissance d’action en trois paliers :

Antalgiques de Palier I : Antalgiques périphériques non narcotiques :

Ces médicaments exercent leur action au niveau même de la lésion tissulaire par inhibition des prostaglandines. ils peuvent néanmoins avoir une certaine action centrale comme le paracétamol (3).
Dans ce palier, on distingue :
- Les antalgiques antipyrétiques et anti-inflammatoires :
Cette famille regroupe les salicylés et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
Les salicylés, dont le chef de file est l’acide acétyl salicylique (Aspirine*) sont de moins en moins utilisés du fait de leurs nombreux effets indésirables (tableau 2).

Les autres AINS  utilisés à visée antalgique sont représentés par l’ibuprofène (Nofene*, Analgyl*), le fénoprofène (Nalgésic*) et le kétoprofène (Toprec*). Leur activité antalgique peut s’exercer vis-à-vis de douleurs indépendantes de tout processus inflammatoire, leur action est antalgique à faible dose et anti-inflammatoire à plus forte dose.
- Les antalgiques antipyrétiques :
Cette famille regroupe : le paracétamol et les pyrazolés.
Le paracétamol (Claradol*, Doliprane*, Parantal*…) est le médicament le plus utilisé de ce groupe, du fait de la forte toxicité hématologique de la noramydopirine (Novalgine*)
- Les antalgiques purs :
Plusieurs médicaments appartenant à ce groupe ont été retirés du marché du fait de la gravité de leurs effets indésirables (clométacine, glafénine).
Ce groupe comprend également la floctafénine (Idarac*) qui présente moins d’effets indésirables, et qui est toujours commercialisée.

 

Tableau 2 : Effets indésirables des principaux antalgiques utilisés en Odontologie (2)

 

Antalgiques de Palier II : Morphiniques mineurs :
Le mode d’action de la codéine et de la dextropropoxyphène se rapproche de celui de la morphine, mais leurs effets indésirables sont atténués. Utilisés seuls, ces médicaments sont peu efficaces d’où l’intérêt que présente leur association avec les antalgiques non morphiniques (ex : paracétamol) du fait de la potentialisation de l’action de ces derniers (4, 5).
Leur action antalgique propre étant faible,  ils sont surtout utilisés en association avec les antalgiques non morphiniques (Paracétamol*) du fait de la synergie d’action que représente cette association.

Antalgiques de Palier III : Antalgiques centraux morphiniques :

L’action antalgique de la morphine s’exerce au niveau central et s’accompagne d’effets secondaires dont les plus graves sont la dépression respiratoire et l’accoutumance. De ce fait, l’usage de la morphine est strictement réservé au milieu hospitalier pour les douleurs intenses.
Entre  le  palier  II  et III, Lazorthes  en 1990 (in 6) a crée un palier intermédiaire dit II b comprenant les antalgiques agonistes et antagonistes morphiniques dont le chef de file est la buprénorphine (Temgesic*).

 

Tableau 3 : Échelle adaptée à l’odontostomatologie (6) (8)

 

 

Échelle hiérarchisée adaptée à l’odonto-stomatologie : (Tableau 3)

L’échelle de l'O.M.S. initialement proposée pour le traitement des douleurs cancéreuses ne peut pas être directement utilisée en odontologie. C'est ainsi qu'il a été nécessaire de tester l’efficacité des différents antalgiques sur les douleurs oro-faciales (7), et d’établir une échelle hiérarchisée adaptée à l’odontostomatologie proposée par Lazorthes (1992) (in 8).

 

Diverses études ont comparé l'activité des différents antalgiques et l'ensemble de ces données permet d'établir un classement des produits en fonction de la puissance antalgique qui serait par ordre croissant (8):
- Aspirine,
- Paracétamol,
- AINS à faible dose,
- Association paracétamol-morphinique mineur,
- AINS à forte dose,
- Morphiniques agoniste-antagonistes.


Cette échelle a pour objectif de guider le prescripteur odontologiste. Ainsi :
- L’usage de l’aspirine n’a pas son indication dans notre prescription du fait de son faible rapport bénéfice – risque. Alors que l’activité antalgique du paracétamol et des AINS utilisés à faibles doses (l’ibuprofène, le fénoprofène et le kétoprofène) a démontré son efficacité dans les douleurs légères, et leurs effets indésirables sont moins considérables,
- L’association d’un morphinique mineur (codéine - dextropropoxyphène) au paracétamol, améliore respectivement leurs activités antalgiques dans le traitement des douleurs modérées, ou le recours à une double dose d’un AINS,
- La prescription d’un morphinique agoniste-antagoniste tel que la buprénorphine (Temgésic*) est réservée aux douleurs violentes.

 

Tableau 4 : Principales interactions médicamenteuses des antalgiques fréquemment utilisés en Odontologie (2,8)

 

 

RÉGLES DE PRESCRIPTION

Choix de l’antalgique :

Le choix de la molécule se fait selon des critères d’exclusion et d’efficacité :


Les critères d’exclusion :

Avant toute prescription d'un antalgique, il faut tenir compte de :
- La toxicité du médicament,
- Ses effets indésirables (tableau 2),
- Ses interactions médicamenteuses (tableau 4),
- Les antécédents pathologiques du patient (Insuffisance hépatique, rénale…),
- Les états physiologiques particuliers :
Chez l’enfant, les antalgiques périphériques ont été longtemps les seuls autorisés (3), actuellement, on peut prescrire les antalgiques du palier II notamment la codéine.


Les critères d’efficacité :

La prescription des analgésiques se fait en fonction de 2 paramètres :
- Intensité de la douleur,
- Différence de sensibilité individuelle.


L’intensité de la douleur :

En odontologie, il est possible de suggérer une échelle à 3 niveaux de prescription en fonction de l'intensité de la douleur.
Dans le cas de douleurs transitoires et légères : Extraction simple, traitement endodontique sur dent à pulpe saine ou nécrosée asymptomatique, activation d’un appareil orthodontique, il est recommandé de prescrire une prise unique d'une dose d'un AINS: 200mg d’Ibuprofène (Nofène*, Analgyl*), 300 mg de fénoprofène (Nalgésic*) ou 25 mg de kétoprofène (Toprec*).

 

Dans le cas où les AINS seraient contre-indiqués, on aura recours au paracétamol (Claradol* Doliprane*), à une dose de 500mg en une prise.
Pour soulager les douleurs modérées susceptibles de se prolonger : intervention chirurgicale, traitement endodontique sur dent nécrosée symptomatique, on prescrira un AINS en double dose 400mg d’Ibuprofène, 600 mg de fénoprofène ou 50 mg de kétoprofène, puis une dose toutes les quatre heures.

 

Si les AINS sont contre-indiqués, la prescription d’une association paracétamol - codéine s’impose. Cette prescription doit prendre en compte le dosage minimal efficace : 60mg de codéine et 600 mg de paracétamol, mais aucun des médicaments disponibles sur le marché n’offre ce dosage :
Codoliprane* :  400mg de paracétamol +
20 mg de codéine
Lindilane* : 400mg de paracétamol + 25 mg de codéine
Oralgan* : 300mg de paracétamol + 25 mg de codéine.


Il est donc recommandé de prescrire deux comprimés par prise pour atteindre le seuil d’efficacité.
Exceptionnellement, et en cas d’échec de ce deuxième niveau de prescription, le recours à la buprénorphine (Temgesic*) à 0,2 mg peut être envisagé pour traiter les douleurs très sévères.

 

La différence de sensibilité individuelle :

En effet pour un même produit, l'efficacité varie considérablement d'un produit à l'autre en raison des différences de sensibilité individuelle notamment d'origine pharmacocinétique.

 

Modalités de prescription : (2) (6)

Il existe 2 modes de prescriptions : prescription à intervalle régulier ou à la demande d'une dose fixe.


Prescription à intervalle régulier d'une dose fixe :

Cette technique consiste à prescrire des doses fixes d'antalgique à intervalle régulier dans le but de prévenir la réapparition de la douleur, facilitant ainsi son contrôle. Cette méthode présente certains inconvénients, elle ne tient pas compte des variations individuelles et expose soit à un risque de surdosage soit à une analgésie insuffisante.

 

Prescription à la demande d'une dose fixe :

Cette méthode permet une meilleure approche des variations individuelles. Cependant, comme le patient doit prendre l'antalgique dès que la douleur réapparaît et comme il existe un délai d'action plus ou moins long entre l'administration de l'antalgique et son effet, il y a également risque d'une analgésie incomplète.

 

La douleur étant plus difficile à supprimer qu’à prévenir, il est recommandé d’administrer les antalgiques en préopératoire ou juste à la fin de l’intervention (avant la disparition de l’effet anesthésique) afin de diminuer les douleurs postopératoires et d’optimiser l’effet des antalgiques utilisés.

 

Ainsi, après un acte chirurgical, on prescrira l’antalgique à intervalles réguliers (toutes les 4 ou 6h) pendant 24 à 48 heures, suivi d’une fenêtre thérapeutique soit :
- Continuer à intervalles réguliers si la douleur persiste jusqu’à sa disparition,
- Prendre l'antalgique à la demande si la douleur s'atténue,
- S’abstenir au cas ou la douleur disparaît.

 

EFFETS INDÉSIRABLES (tableau 2) (2)

Aspirine et autres AINS :

Les effets indésirables qui sont considérables pour l’Aspirine sont nettement réduits pour d’autres AINS notamment pour l’ibuprofène (Nofen*, Analgyl*). il s’agit de :
- La toxicité digestive : Par leur action d’inhibition des prostaglandines protectrices de la muqueuse gastrique, les AINS peuvent entraîner l’apparition de lésions digestives (brûlures, microsaignements),
- L’allergie : urticaire, rhinite, œdème de Quinck, choc anaphylactique. Le risque est grand chez les sujets atopiques,
- L’hépatotoxicité en cas de surdosage par augmentation des transaminases, surtout à l'aspirine chez l'enfant et à l'occasion d'une infection virale (grippe, varicelle). L'aspirine peut provoquer Le syndrome de Rye associant à l'hépatomégalie une encéphalopathie,
- Troubles de l’hémostase du fait de leur effet anti-agrégant plaquettaire,
- Insuffisance rénale fonctionnelle.

 

Paracétamol :

- Hépatotoxicité : en cas d’intoxication ou avec des posologies fortes : 3 à 6 g/j durant 3 semaines à 1 an ou 10g en une seule prise,
- Allergie cutanée rare (érythème, rashs),
- Néphropathie interstitielle rare.

 

Morphiniques mineurs (codéine, dextropropoxyphène) :

Ces dérivés morphiniques non toxicomanogènes présentent certains effets indésirables de la morphine : somnolence, vertiges, constipation, bronchospasme, vomissements.
Le dextropropoxyphène peut être responsable d'une hypoglycémie, de la survenue d'une hépatite cholestatique, aggravée par la présence du paracétamol.

 

Buprénorphine : Temgesic

Troubles digestifs et sensoriels.

 

INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSE (tableau 4)

AINS à visée antalgique :

- Augmentent la toxicité des anticoagulants antivitamines K (AVK) :sintrom*, tromexane*. Cette association peut entraîner des hémorragies gastro-intestinales ou cérébro-méningées,
- Potentialisent l’action des sulfamides hypoglycémiants (Diamicron*), et peuvent entraîner une hypoglycémie parfois sévère,
- Inhibition de l’excrétion rénale du lithium (Neurolithium*) utilisé lors du traitement des psychoses maniaco-dépressives, ce qui peut être à l’origine d’intoxication se manifestant par des signes cardiaques et neurologiques,
- L’association avec les anti-inflammatoires stéroïdiens (corticoïdes) augmente le risque ulcérigène,
- La prise concomitante d’AINS et d’anti-agrégants plaquettaires augmente le risque d’hémorragie,
- La prise simultanée de deux AINS augmente le risque de survenue d’ulcère digestif,
- Risque tératogène expérimental pour l'aspirine.

 

Morphiniques mineurs (codéine, dextropropoxyphène) :

Le dextropropoxyphène potentialise l'effet de la carbamazépine, des antivit K et des hypoglycémiants oraux.
Cette prise associée à la consommation d’alcool, entraîne la potentialisation de l’effet de ce dernier.

 

CONCLUSION

La douleur n’est qu’un symptôme d’une affection qu’il faut traiter en premier. Il est recommandé d’évaluer l’intensité de la douleur afin de prescrire l’antalgique adapté en respectant les paliers thérapeutiques.
Lors de cette prescription, il faut prendre en compte le terrain du patient traité ainsi que les propriétés pharmacologiques du médicament.

 

BIBLIOGRAPHIE

1 - BUSSEAU J : La douleur, un problème quotidien. Clinic 1996- vol. 17 –n°2.pp:108-110
2 - TIMOUR Q : Odontopharmacologie clinique : thérapeutique et urgence médicale en pratique quotidienne. (37-52) Ed CDP Reuil malmaison., 1999.
3 - MORRIER JJ & coll : Comment prescrire un antalgique chez l’enfant ? Act odonto stomatol n°193, mars 1996.pp :
127-134.
4 - GIRARD P & POIDATZ E : Utilisation des analgésiques en Odonto-stomatologie. Info dent n°26 1988. pp : 2443-2448.
5 - MUSTER D : Médicaments de la douleur. Encycl.Méd.Chir , stomatologie I, 22012 G10, 4-1998 , 8p.
6 - DALLEL.R & WODA.A : La prescription des antalgiques en odontologie. Info dent n°30 1992.pp :2555-2565.
7 - Urquhart E : Analgesics agents and strategies in the dental pain model. J.Dent, 1994 : 336-341.
8 - DALLEL.R & WODA.A : Choix des antalgiques en odontologie. Réalités cliniques vol 5 n°2 1994 pp : 161-172.

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