W. HLIWA, L. MARIH, A. CHAKIB.

Service des Maladies Infectieuses
CHU IBN ROCHD – Casablanca

Université Hassan II

 

RÉSUMÉ

A cours de l’infection par le VIH, la maladie de Kaposi (MK) constitue la pathologie maligne la plus fréquente. L’atteinte buccale, deuxième localisation kaposienne après l’atteinte cutanée, est la manifestation muqueuse la plus fréquente de la MK associée au SIDA. Tous les éléments de la cavité buccale peuvent être touchés, mais le palais représente la localisation majeure.

 

Le diagnostic positif n’est pas  difficile. Les complications du Kaposi oral sont fréquentes, liées essentiellement au volume tumoral pouvant entraîner une gêne fonctionnelle majeure. Le chirurgien dentiste est amené à connaître la localisation buccale de la MK-SIDA, à faire le diagnostic précoce pouvant ainsi révéler une infection à VIH et à participer activement dans la prise en charge de cette maladie dont le traitement est essentiellement palliatif. 
Mots-clés : Kaposi, SIDA, dentiste, oral   


La maladie de Kaposi associée au SIDA(MK-SIDA) est la néoplasie la plus fréquente au cours de l’infection par le VIH (1,2,3,4). Elle est d’emblée multifocale pouvant toucher aussi bien la peau, les muqueuses et les viscères (1). Les localisations buccales fréquemment présentes chez les malades ayant une MK-SIDA, peuvent révéler une infection par le VIH et peuvent être les seules manifestations du SIDA (6). Le chirurgien dentiste peut jouer un rôle important dans le diagnostic précoce de l’infection à VIH et doit participer dans la prise en charge des malades ayant une maladie de Kaposi orale (7,8).

 

ÉPIDÉMIOLOGIE

La maladie de Kaposi buccale, deuxième localisation kaposienne après l’atteinte cutanée,   se voit  dans 50 à 70 % des cas de  Kaposi  associé au Sida (2). L’atteinte palatine est la manifestation majeure de la MK buccale (50 à 60 %) et  peut révéler le SIDA dans 20% à 60 % des cas (2,3,5). De ce fait, l’examen du palais doit être systématique chez tout patient VIH positif et chez tout sujet jeune consultant pour un amaigrissement, une diarrhée chronique, des polyadénopathies ou pour  une fièvre prolongée. La MK buccale survient essentiellement chez le sujet jeune entre 30 et 39 ans, de sexe masculin, homosexuel ou bisexuel (1,2,4). Le risque d’avoir une MK est 20  fois supérieur chez les homosexuels et les bisexuels par rapport aux autres groupes à risque pour l’infection à VIH (1). L’atteinte féminine est rare et les formes pédiatriques sont exceptionnelles.

 

ÉTHIOPATHOGÉNIE

L’Human Herpes virus 8 (HHV8) appelé aussi KSHV (Kaposi’sarcoma associated herpes virus) est fortement incriminé dans la génèse de la MK-SIDA (1). Sa transmission semble être essentiellement sexuelle notamment oro-fécale puisqu’il infecte de façon significative l’homosexuel par rapport à l’ hétérosexuel (1). Une transmission par voie sanguine a été récemment suggérée(9).  Sa présence au niveau des secrétions buccales a été confirmée par la mise en évidence, par PCR, de ses séquences d’ADN au niveau des lésions orales  ce qui peut être utile pour identifier une MK buccale au stade de prolifération vasculaire précoce quand les aspects histologiques caractéristiques ne sont pas présents (10).

 

DIAGNOSTIC POSITIF

L’aspect lésionnel du Kaposi buccal est assez typique. Les lésions peuvent être uniques ou multiples (5). Au début, ces lésions apparaissent sous forme de macule ou d’une nappe discrètement infiltrée rougeâtre voire purpurique ne s’effaçant pas à la vitropression  ou sous forme d’un angiome plan visible à jour frisant (2,3,4). Secondairement, elles peuvent s’infiltrer, devenir rapidement extensives, multifocales et prendre un aspect de papules voire de nodules purpuriques donnant la sensation de corps étranger au niveau buccal (2,5). Elles peuvent être le siège d’une surinfection mycosique ou bactérienne. Le kaposi palatin peut intéresser aussi bien le palais osseux que la voûte palatine visible à l’ouverture de la bouche (Fig. 1).

 

 En plus du palais, la localisation kaposienne buccale la plus fréquente, les lésions peuvent s’observer au niveau des gencives, de la langue ( 2ème localisations après le palais), de la face interne des joues, des commissures intermaxillaires, des piliers, des amygdales et du pharynx (1) (Fig. 2). L’extension osseuse au niveau du maxillaire supérieur et inférieur résulte de la destruction osseuse et la mobilité dentaire qui peut en résulter (2). La MK-SIDA buccale peut être asymptomatique au début pouvant être découverte lors d’un examen systématique chez un malade VIH positif. Mais les lésions peuvent augmenter de volume secondairement  et évoluer vers de véritables tumeurs entraînant une gêne fonctionnelle majeure secondaire aux complications (2).


Les complications du kaposi buccal sont représentées essentiellement par la douleur, la dysphagie, les troubles de la mastication,  la dysarthrie,  l’obstruction respiratoire, la surinfection, l’hémorragie et la modification de l’aspect esthétique du visage notamment lorsque l’atteinte kaposienne intéresse les gencives antérieures ce qui explique le problème psychologique que peut poser la MK buccale (2, 3).


La MK buccale est souvent associée à des lésions  kaposiennes digestives, cela incite à une exploration digestive complète devant toute lésion kaposienne palatine.
Le diagnostic des lésions buccales de la MK-SIDA est généralement facile. Il  repose essentiellement sur le contexte clinique (homosexualité ou rapports sexuels non protégés), l’aspect clinique des lésions (lésions purpuriques pseudo-angiomateuses quasi-pathognomoniques de la MK) (Fig. 3) et /ou  sur la biopsie des lésions (2).


En effet l’apport de la biopsie des lésions est controversé (2). Certains auteurs estiment que la biopsie n’est pas systématique vu l’aspect assez typique des lésions et donc leur diagnostic facile et vu la difficulté de la lecture histologique des lésions débutantes.  D’autres auteurs sont pour la systématisation de la biopsie du fait de la nécessité d’avoir une confirmation histologique avant de démarrer une thérapeutique lourde  et afin d’éliminer d’autres maladies  (11).

 
 
 

 

 

DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS

Les principaux diagnostics différentiels du kaposi buccal sont :
- la candidose buccale atrophique (12),
- L’épulis, surtout dans sa localisation gingivale,
- l’angiomatose bacillaire (Fig. 4) : qui est une maladie systémique due à des bacilles du genre Rochalimaea et qui se distingue de la MK par le fait que ses lésions sont plus inflammatoires, plus douloureuses, non cerclées par l’halo de biligènie caractéristique  de la MK et par la fréquence des lésions osseuses associées. Son traitement se base sur l’erythromycine ou azythromycine. Sa coexistence avec une MK est possible. Dans ces cas difficiles, l’histologie  avec des colorations spéciales et la microscopie électronique  permettent de trancher (2,12,13),
-  l’hémangiome (4,12),
-  le granulome à pyogène (4,12),
-  le lymphome (12),
-  l’érythroplasie (12),
- la glossite rhomboïde médiane (12).

 

TRAITEMENT

Il n’existe pas de traitement curatif de la MK buccale (2). En plus, ce traitement, qui n’est que palliatif, peut être difficile du fait de l’aggravation fréquente du déficit immunitaire sous jacent lors de l’utilisation des drogues immunosuppressives.
Le but d’un traitement palliatif, efficace et sans risque est d’améliorer la morbidité des lésions orales kaposiennes et donc de lutter contre la douleur, la dysphagie, les troubles de la mastication, la dysarthrie, l’infection chronique, l’obstruction des voies respiratoires et enfin obtenir  une apparence faciale esthétique acceptable par le malade (2,3).

Les moyens thérapeutiques sont représentés essentiellement par :

- La radiothérapie orale intracavitaire :  la MK est une tumeur radiosensible. Dans le Kaposi buccal, la radiothérapie a montré son efficacité dans le contrôle de la douleur et de l’obstruction respiratoire qui constituent les principales indications de la radiothérapie orale (1,3,5,14). Cependant, cette dernière expose à un risque majeur de mycose orale notamment candidosique  souvent sévère (80 à 90%) (3,4). Pour cela, la radiothérapie doit être fractionnée et précédée d’une prophylaxie antimycosique systématique et des soins d’hygiène adéquats. Ainsi  la dose recommandée est de 1500 à 2000 rads en 10 fractions  tous 10 à14 jours (3). D’autres effets secondaires de la radiothérapie orale sont possibles : douleur liée à la détérioration osseuse(ostéoradionécrose) et muqueuse, anorexie liée à  la douleur, à l’angoisse  et la dépression, (3,14).

 

De ce fait, et pour obtenir une meilleure qualité de vie des malades, la radiothérapie buccale nécessite  une coopération entre infirmier (soins buccaux), chirurgien dentiste, nutritionniste, radiothérapeute orthophoniste et psychiatre (3),
- La chimiothérapie intralésionnelle notamment la vinblastine en injection intralésionnelle qui peut entraîner une réduction des petites lésions kaposiennes. Cependant, elle se complique de douleur au point d’injection et d’une hyperpigmentation résiduelle (2,3,5,14),
- La cryothérapie : indiquée essentiellement dans les petites lésions buccales isolées. Elle entraîne une réduction de la taille des lésions sans les éradiquer (3,14),
- L’excision chirurgicale : peut être  utilisée, sous anesthésie locale, pour les lésions de petite taille et bien circonscrites siégeant au niveau de la langue et des gencives. Cependant la chirurgie expose au risque de saignement, de la douleur post excisionnelle et de l’infection (3,5,14). Certains auteurs la préconisent pour les volumineuses tumeurs palatines (4),
- Le Laser : constitue une thérapeutique efficace dans les lésions buccales de grande taille. La réduction voire la régression  tumorale peuvent être obtenues avec un faible risque de saignement (2,3),
- La sclérothérapie : a montré son efficacité sur les lésions de petites tailles (des rémissions complètes ont été observées). Elle se distingue des autres moyens thérapeutiques par son coût moins élevé, ses effets secondaires moindres et sa simplicité (en un seul temps). Ses complications (douleur, ulcération) se voient surtout lors du traitement  les lésions de grande taille (2,3). La sclérothérapie la plus préconisée est celle à base de sulfate tétradecyl de Na 3% (15),
- La photothérapie dynamique : avec laquelle ont été observées des rémissions partielles et complètes (16),
- La chimiothérapie systémique : bléomycine, interféron, adriamycine, etoposide, antihérpes, et surtout les antracycliques liposomiaux, le PEG doxorbicine liposomial,
le paclitaxel et la trithérapie antirétrovirale (1, 14).

 

Les indications thérapeutiques du Kaposi oral différent selon que l’atteinte buccale est isolée ou associée à d’autres localisations kaposiennes :
- Les formes isolées se traitent par les moyens locaux sus cités dont le choix varie en fonction de la taille de la tumeur et du degré de la gêne fonctionnelle. L’absention thérapeutique peut se concevoir pour les lésions asymptomatiques (14),
- Les formes associées notamment à un Kaposi cutané et/ou viscéral  doivent être traitées par des thérapeutiques systémiques (1, 14).

 

ÉVOLUTION-PRONOSTIC

La MK-SIDA est une maladie grave dont la survie moyenne après le diagnostic est moins de 2 ans et la survie à 5 ans se voit dans 10% des cas. L’évolution du Kaposi buccal est variable. Les lésions peuvent rester asymptomatiques et indolores ou évoluer rapidement en augmentant de volume engageant ainsi le pronostic fonctionnel du fait de la douleur, de la dysarthrie, de la dysphagie et de la malnutrition qui en résulte. 

 

Le pronostic vital du Kaposi buccal au cours de l’infection par le VIH  rejoint celui de la MK-SIDA de façon générale. En effet, la mortalité est liée principalement à la présence ou non d’infections opportunistes associées qui réduisent la survie de façon significative(4). Le Kaposi en lui même constitue rarement la cause directe du décès en dehors des formes avancées localement (détresse respiratoire obstructive). Les lésions buccales non planes sont considérées comme des éléments de mauvais pronostic dans la MK-SIDA.

 

CONCLUSION

La localisation buccale de la Maladie de Kaposi-SIDA est fréquente. Elle est souvent associée à une atteinte cutanée. Lorsqu’elle est isolée, elle peut révéler le SIDA. Ainsi, le chirurgien dentiste peut poser le diagnostic de l’infection à VIH en diagnostiquant un Kaposi buccal. Son diagnostic positif est relativement facile. Sa présence impose une exploration digestive complète. Son traitement peut être difficile vu l’immunodépression sous jacente. Son pronostic est mauvais aussi bien fonctionnel que vital notamment dans les formes non planes et dans les formes associées.

 

BIBLIOGRAPHIE

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