S. FASSY FEHRY, I. BENYAHYA, K. LAHOUSSINE, Z. BENTAHAR
Service de chirurgie buccale
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca

Université Hassan II


RÉSUMÉ

La douleur dentaire est un symptôme qui fait partie d’un tableau clinique s’inscrivant dans le cadre d’une pathologie dentaire ou ressentie comme telle.
Restant un critère subjectif mais qui garde en même temps toute son importance, et manquant d’informations suffisantes sur le terrain, nous avons mené une enquête au Centre de Consultation et de Traitement Dentaire de Casablanca afin d’évaluer la fréquence et les caractéristiques de la douleur dentaire dans un milieu hospitalier.

Mots-clés : Douleur dentaire, Motif de consultation

"La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage " (International Association for Study of Pain- IASP).

C’est généralement le motif qui pousse les patients à consulter.

Si ceci est vrai en médecine, c’est encore plus justifié en médecine dentaire ou toute atteinte dentaire ou parodontale est accompagnée d’une douleur et ce, à cause de la richesse d’innervation de l’organe dentaire (1,2).

A travers cet article, nous rapportons les résultats d’une enquête transversale descriptive que nous avons mené au CCTD de Casablanca pour évaluer les différents éléments relatifs à la douleur.


OBJECTIFS

- Déterminer la fréquence de la douleur dentaire en tant que motif de consultation,
- Déterminer les caractéristiques de cette douleur,
- Évaluer l’impact et le retentissement de cette douleur sur la vie quotidienne du sujet et sur ses activités,
- Connaître les différentes attitudes adoptées par les patients pour calmer leur douleur dentaire.


MÉTHODOLOGIE

Nous avons mené une étude transversale descriptive au Centre de Consultation et de Traitement Dentaire de Casablanca. Nous avons pu recueillir des patients toute tranche d’âge confondue, à l’exception des enfants de moins de 13 ans. Ces derniers relevant de la consultation du service de Pédodontie.
Nous avons aussi exclu tous les patients qui présentaient une douleur autre que
dentaire, l’évaluation nécessitant alors une démarche tout à fait différente.

Notre population cible était donc composée de tous les consultants du CCTD excepté les consultants du service de pédodontie et d’occlusodontie et ce, durant la période s’étendant du 1er décembre 1996 au 10 février 1997 constituant ainsi un échantillon de 100 patients.

La collecte de l’information a été réalisée à l’aide d’un questionnaire écrit. Les réponses étaient saisies par deux opérateurs étalonnés.


Ce questionnaire comportait 15 questions portant sur :

- Les caractéristiques socio-économiques des patients,
- Le motif de consultation,
- L’intensité de la douleur dentaire,
- L’étiologie déterminée par un examen clinique complété si nécessaire par un examen radiographique,
- La prise en charge de cette douleur par le patient,
- Le retentissement de la douleur dentaire sur la vie quotidienne.
L’intensité de la douleur était évaluée par l’EVA (Échelle Visuelle Analogique.), et nous avons opté pour l’EVA utilisée chez les enfants pour éviter tout problème de compréhension ou d’interprétation (Fig.1).

< 3 jours < 8 jours < 1,5 mois < 3 mois < 1 an >/ 1 an
5 % 11 % 27 % 11 % 16 % 30 %

 

Tableau 1 : Durée de la douleur (N=58)

 

Dentinite Pulpite Desmodontite Abcès Cellulite Maladie
parodontale
fractures divers
5 % 41 % 17 % 16 % 7 % 14 % 8 % 14 %

Tableau 2 : Étiologie de la douleur dentaire (N= 58)

 

Bain de
bouche
Clou de
girofle
Vernis Parfum Alcool Dentifrice indéterminé
13 % 11 % 5 % 3 % 2 % 2 % 3 %
Tableau 3 : Produits utilisés pour calmer la douleur


RÉSULTATS

Résultats concernant les caractéristiques de l’échantillon :
- 54% étaient âgés de moins de 35 ans,
- 63% étaient des femmes,
- 38% des patients étaient analphabètes.

Résultats concernant la fréquence de la douleur en consultation :

- 58% des consultants s’étaient présentés pour une douleur dentaire,
- 42% étaient venus pour des raisons diverses (Prothèse, ODF, extraction…).

Résultats concernant les caractéristiques de la douleur :

Sur les 58 consultants pour une douleur :
- 32% des patients avaient une douleur dont le degré variait entre 0 et 40 sur 100 selon l’EVA (40/100 exclue), 36% présentaient une douleur de 40 à 60/100 (60/100 exclue), 32% avaient une douleur de 60 à 100/100,
- 5% des patients rapportaient une douleur de moins de 3 jours, contre 30% qui présentaient une douleur datant de plus d’une année (Tableau 1),
- Le déclenchement de la douleur était spontané chez 79% des sujets, 21% ont rapporté une douleur provoquée par un agent physique ou chimique,
- 35% des douleurs étaient constantes, 65% intermittentes.

Résultats concernant l’étiologie de la douleur :

Notre diagnostic était posé suite à un examen clinique minutieux, complété si nécessaire par un examen radiographique. L’ensemble des étiologies incriminées dans le déclenchement de la douleur est reporté dans le Tableau 2, un même patient pouvant présenter plusieurs dents atteintes différemment.

Résultats concernant la prise en charge de la douleur par les patients :

35% des patients s’abstenaient face à leur douleur dentaire.
Par contre, 65% avaient un comportement différent. Ainsi :
- L’automédication à base d’antalgique était retrouvée chez 28% des patients,
- Les antibiotiques étaient pris pour calmer la douleur dentaire chez 19% des participants,
- 20% prenaient des anti-inflammatoires,
- D’autres produits traditionnels tel que le vernis, le clou de girofle, le sel et parfois des poudres dont le patient ignore même la composition et l’origine étaient retrouvées chez 70% des participants (Tableau 3).

Résultats concernant le retentissement de la douleur sur les activités du sujet :

- 70% des sujets arrivaient à maintenir régulière leur activité quotidienne,
Par contre 6% n’arrivaient à exercer aucune activité à savoir les activités professionnelles et même les activités ménagères pour les femmes à cause de la douleur dentaire (Fig. 1),
- L’apport alimentaire est resté optimal chez 52% des participants, 5% n’en avaient aucun (Fig. 2),
- Le sommeil était resté normal chez 32% des patients, 10% souffraient d’insomnies (Fig. 3).

Fig.1 : Retentissement de la douleur dentaire sur la vie  quotidienne Fig. 2 :  Retentissement de la douleur dentaire sur l’apport alimentaire
Fig. 3 : Retentissement de la douleur dentaire sur  le sommeil  

 

DISCUSSION

Les résultas de cette enquête, menée sur un échantillon de 100 patients au CCTD donnent des renseignements importants. On peut constater que plus d’un patient sur deux consultait pour une douleur dentaire, signe d’une atteinte dento-parodontale avancée.

En effet, l’origine de cette douleur était pulpaire chez 41% des patients, ce qui signe une consultation tardive des patients. De plus, les abcès, les desmodontites, les cellulites et les atteintes parodontales étaient présentes chez 54% des patients. 5% seulement présentaient des atteintes dentinaires précoces.

Cette douleur était spontanée chez 79% des sujets, et avait des répercussions non négligeables sur leur vie quotidienne ainsi que sur l’apport alimentaire et sur le sommeil.

Ceci était loin de pousser les patients à consulter précocement, puisque la durée de la douleur était supérieure à une année chez 30% des consultants : Signe de passage vers la chronicité, et inférieure à 3 jours chez seulement 5%.

Cette consultation tardive peut trouver sa justification dans le fait de sa prise en charge par les patients dans 65% des cas, soit par une automédication, généralement inadaptée, soit par l’utilisation de produits traditionnels ayant ou pas une action antalgique locale comme il est reporté d’une façon détaillée dans nos résultats.

Par ailleurs, pour éviter le chirurgien-dentiste, certains patients ont eu recours à des produits ne pouvant avoir aucun effet bénéfique tel que le vernis à ongle, le parfum ou les bains de bouche.

D’après une enquête coordonnée par l’OMS, il a été mis en évidence que parmi les barrières à l’accès aux soins dentaires, la crainte de la douleur dentaire arrive en deuxième position avec un pourcentage de 42.7%, juste derrière les problèmes financiers (43.9%) (2).

Pour notre échantillon, même si cette crainte existait, elle était loin de pousser les patients à prévenir sa survenue par une consultation précoce, ce qui pourrait être expliqué éventuellement par le niveau socio-économique des patients se présentant au CCTD, puisque les soins sont beaucoup moins onéreux que dans le secteur privé.


Robin et coll. ont mené une enquête au service d’odontologie des hospices civils de Lyon où la douleur constituait 51% des motifs de consultation ! (3) Résultat se rapprochant de notre étude (58%)

La comparaison des résultats des deux études est donnée par la figure 4.

En outre, 55% des consultants de l’étude menée à Lyon avaient une douleur inférieure à 8 jours, contre seulement 16% pour notre étude. Pour cette même étude, pour 85.7% des patients, le délai de consultation n’excède pas un mois. Par contre, pour notre échantillon, 57% des participants présentaient une douleur datant de plus d’un mois et demi avec 30% qui présentaient une douleur datant de plus d’une année (3,4). Ceci confirme une fois de plus le niveau de motivation quant à la prise en charge des soins bucco-dentaires dans notre pays.


Bien qu’à travers cette enquête, la douleur chronique est plus fréquente, nous pouvons noter par rapport à l’étude de Lyon que les pulpites, les desmodontites et la maladie parodontale représentent les causes les plus importantes.

Retard de consultation, hygiène bucco-dentaire défectueuse, état de santé bucco-dentaire dans notre pays, rareté des infra-structures hospitalières et l’absence d’informations concernant les dangers de l’automédication expliquent à notre sens les causes les plus importantes qui aboutissent à ces résultats.

Fig.  4 :  Histogramme comparatif de l’étiologie de la douleur

 

CONCLUSION

Face aux résultats de notre enquête, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :
- La consultation dentaire reste tardive chez une très grande proportion de notre échantillon,
- Cette douleur, loin d’être modérée, entrave les activités quotidiennes des sujets,
- Loin de rester indifférents à leur souffrance, une très grande partie font des tentatives pour calmer leur douleur. Ces tentatives sont couronnées d’échecs puisque les patients finissent par venir consulter à des stades de pulpite, de nécrose dentaire et d’infection.

Nous pouvons expliquer cela par plusieurs facteurs tel que le niveau d’instruction des patients, le coût des soins dentaires qui reste inabordable pour une certaine catégorie des patients, et l’absence de couverture médicale de la population par des organismes gouvernementaux ou mutualistes.

Enfin, la promotion de la santé et de l’hygiène bucco-dentaire ainsi que le contrôle de la douleur est un objectif à atteindre dans les années à venir, et seuls des efforts condensés de tout le corps médical et à tous les niveaux de notre profession peuvent aboutir à cet objectif.

 

BIBLIOGRAPHIE

1- P- D. Wall, R. Melzack. Text book of pain.
Edinburgh London Melbourne and New
York, 442-444, 1989
2- O. Robin. Étiologie et caractéristiques des douleurs bucco-dentaires. Texte congrès Clemont, 1998
3- O. Robin, I. Fribourg-chelle, D. Bois. La douleur, premier motif de consultation en odonto-stomatologie. Doul. et Analg. 2, 33-38, 1996
4- O. Robin, I. Fribourg-chelle, A. Michelet, D. Bois. Évaluation de la fréquence des douleurs endodontiques comme motif de consultation
Endo, Volume 15, n°3, 55-61,1996

 

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