R. ELANSARI, R. ABADA, S. ROUADI, M. ROUBAL, M. MAHTAR
Service d’oto-rhino-laryngologie - Hôpital 20 aout
CHU IBN ROCHD - CASABLANCA - MAROC
RÉSUMÉ
Les fistules médianes de la lèvre supérieure sont une variante extrêmement rare de malformations faciales congénitales. Moins de 30 cas ont été rapportés dans la littérature depuis 1970.
L’objectif de cet article est d’apporter une meilleure connaissance de ce type de malformation congénitale et de discuter des différentes formes cliniques, de l’embryopathogénie, des diagnostics différentiels et des modalités thérapeutiques.
Nous rapportons un cas de fistule borgne congénitale médiane de la lèvre supérieure sans communication avec la cavité orale chez une enfant de 4 ans et demi présentant une tuméfaction labiale supérieure récidivante. Le traitement est exclusivement chirurgical. L’exérèse complète du kyste ou du trajet fistuleux doit être obtenue sous peine de récidive avec une bonne évolution sur un recul de 6 mois
Mots clefs : fistules médianes récidivantes, lèvre supérieure, malformations congénitales, traitement chirurgical.
ABSTRACT
Median fistulas of the upper lip are an unusual variant of congenital facial deformities. Less than 30 cases have been reported in the literature since 1970.
The aims of this article is to provide a better understanding of this type of birth defect and discuss different clinical forms of embryopathogény, differential diagnoses and treatment modalities.
We report a case of congenital blind fistula middle of the upper lip no communication with the oral cavity in a child of 4 and a half years with recurrent upper lip swelling. The treatment is exclusively surgical. Complete excision of the cyst or fistula must be obtained at the risk of recurrence with good evolution over a 6-month decline
Keywords: median fistula recurrent- - upper lip – congenital deformities – surgical treatment
INTRODUCTION
Les kystes et fistules congénitales de la face et du cou sont des malformations embryologiques peu fréquentes et mal connues (1). Parmi celles-ci, les fistules médianes de la lèvre supérieure constituent des variantes extrêmement rares. Plusieurs hypothèses ont été´ avancées pour expliquer l’origine de ces fistules (2,3).
Le but d’après ce cas clinique est de rappeler ce type de malformation congénitale rare et de discuter des formes cliniques, de l’embryopathogénie, des diagnostics différentiels et des modalités thérapeutiques.
OBSERVATION
Un garçon de 4 ans et demi consulte pour une tuméfaction labiale récidivante résistante au traitement médical compliquée d’une fistulisation cutanée sur le philtrum. Admis au service des urgences devant l’aggravation d’une tuméfaction douloureuse de la lèvre supérieure, évoluant progressivement depuis 5 jours. Les parents rapportaient de multiples épisodes de tuméfaction similaires depuis la naissance. Après reprise de l’anamnèse, ils nous confirmaient également la présence de l’orifice fistuleux depuis la naissance et on ne retrouvait aucun caractère familial.
Ce jeune patient ne présentait aucun antécédent médicochirurgical notable. L’examen clinique retrouvait une collection douloureuse centrée sur la région médiane de la lèvre supérieure fistulisée à la peau donnant issue à un liquide purulent à palpation. Il n’existait pas de signes en faveur d’un traumatisme facial ou dentaire. Aucun foyer infectieux d’origine dentaire n’a été retrouvé. Une évacuation de la collection par la fistule initiale a été effectuée au niveau du vermillon avec issue d’un liquide purulent et le patient a bénéficié d’une antibiothérapie per os par association amoxicilline-acide clavulanique pendant 7 jours (500 mg, 2 fois par jour). A distance de l’épisode aigu, le patient est revu en consultation.
Fig 1 : Orifice cutané de la fistule médiane congénitale de la lèvre supérieure centré sur le sillon naso-labial |
Fig 2 : Scanner du massif facial montre la petite collection sous-cutanée médiane, en regard de la lèvre supérieure. |
L’examen clinique mettait en évidence un orifice ponctiforme a bords nets, médian, au niveau du philtrum (Fig 1).
La palpation retrouve la présence d’un nodule sous-cutané et la pression fait sourdre un écoulement blanchâtre d’aspect séborrhéique par cet orifice. Lors de l’examen endobuccal, aucune communication buccale ou nasale n’est notée. Cet orifice est précédemment passé inaperçu du fait de l’importance de la tuméfaction. Par ailleurs, l’examen clinique craniomaxillo-facial et général est normal. Un scanner du massif facial confirme la présence d’une collection sous-cutanée infracentimétrique, localisée, médiane, en regard de la lèvre supérieure. Aucune anomalie au niveau de la base antérieure du crane ou de malformation cranio-faciale n’est retrouvée. (Fig 2).
L’exérèse de la lésion a est réalisée sous anesthésie générale. Une incision de la peau autour de l’orifice de la lèvre supérieure est réalisée emportant une collerette cutanée afin de permettre l’exérèse complète du trajet fistuleux. Le trajet fistuleux est mis en évidence et sa dissection est assurée. La fistule d’une longueur de 2cm était borgne, sans communication endobuccale (Fig 3).
Fig 3 : A : dissection et repérage de la fistule ; B : exérèse complète de la fistule |
Le geste est complété au niveau endobuccal en prenant soin d’enlever la pastille de muqueuse remaniée en regard de la fistule afin de s’assurer de l’inexistence d’un prolongement dans la cavité buccale et aboutir par conséquent à une exérèse complète (Fig 4). L’examen histologique de l’échantillon montre un trajet fistuleux fibreux bordé d’un épithélium malpighien bien différencié régulier, sans caractère de malignité. Le diagnostic de fistule médiane congénitale de la lèvre supérieure est retenu. Aucune complication per ou postopératoire n’est signalée.
La disparition de la masse sous cutanée et de la fistule s’est effectuée dans un intervalle de 9 mois avec la persistance d’une discrète cicatrice au niveau du philtrum. Une échographie des parties molles a mis en évidence une cicatrice fibreuse, sans signes de récidive ou de collection.
DISCUSSION
Les fistules congénitales dès lèvres constituent une entité clinique peu fréquente dont l’incidence est probablement sous-estimée en raison de formes pauci-symptomatiques. Elles sont généralement situées sur la lèvre inférieure, le plus souvent paramédianes uni- ou bilatérales. Elles sont parfois associées à des fentes labio-alvéolo-palatines comme dans le syndrome de Van der Woude. Les fistules médianes de la lèvre supérieure sont extrêmement rares, moins de 30 cas ont été décrits dans la littérature depuis Holbrook en 1970 (1–3).
La plupart d’entre elles sont isolées et ne s’intégrant dans aucun syndrome spécifique (2,4). Elles peuvent cependant être associées à d’autres malformations (5,6). Il s’agit d’anomalies de développement de la ligne médiane de la face comme les kystes dermoïdes du dos du nez (7), les freins bifides (3) ou des anomalies de type fente oro-faciale latérales (6). Locke rapporte ainsi un cas de fistule médiane labiale supérieure qui poursuivait son trajet par un kyste dermoïdes du dorsum nasal allant jusqu’à la base antérieure du crâne (7).
Le diagnostic est fait le plus souvent à la naissance devant la présence d’une fistule cutanée externe qui peut être située au niveau du philtrum dans la plupart des cas ou sur le vermillon (4). Cependant, le diagnostic reste délicat car elles sont souvent asymptomatiques. Leur découverte est régulièrement précédée par une surinfection (3,4). Dans notre cas, l’orifice de la fistule été remarqué par les parents dès la naissance. Pourtant c’est bien un épisode infectieux plus important qui les a amènes à consulter.
La physiopathologie des fistules de la ligne médiane de la lèvre supérieure est toujours discutée et un certain nombre d’hypothèses sont avancées sur cette question (2–4). La formation de la face s’effectue entre la 4e et la 10e semaine embryonnaire par le développement et la fusion des cinq bourgeons faciaux. Au cours de la 6e semaine, les bourgeons nasaux internes prolifèrent et fusionnent entre eux par mésodermisation pour donner le bourgeon intermaxillaire formant le dos du nez, l’un tiers médian de la lèvre supérieure (philtrum), le palais primaire et la partie antérieure de l’arcade dentaire amorçant ainsi la configuration de la face (8).
L’embryopathogénie de ces fistules médianes de la lèvre supérieure découlerait de 2 principales théories (1,6) : une inclusion tissulaire d’origine ectodermique lors de la fusion des bourgeons nasaux internes ; un défaut de coalescence du mésenchyme lors la formation du processus intermaxillaire (Fig. 4).
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Chez notre patiente, il s’agissait d’une fistule borgne sans communication avec la cavité orale. Ainsi l’hypothèse de Charrier et al. (2), selon laquelle cette pathologie résulterait d’une inclusion de cellules ectodermiques normalement vouées a l’apoptose au niveau des zones de fusion des bourgeons embryonnaires nasaux internes, nous semble la plus cohérente avec notre cas.
De plus, cette hypothèse pourrait également expliquer la pathogénie des kystes dermoïdes du dorsum nasal (5, 7,9). Dans cette théorie, deux conditions sont nécessaires a la formation d’un kyste ou d’une fistule congénitale médiane de la lèvre supérieure (2) : la compétence des cellules de l’ectoderme et des cellules du mésoectoderme a former un tissu dermoïdes par des interactions épithélio-mésenchymateuses aboutissant a un épithélium kératinisé le long du trajet fistuleux.
La topographie d’une inclusion ectodermique compatible avec les différentes formes cliniques rencontrées de la lèvre supérieure. La topographie et la profondeur de la malformation ainsi formées sont en fonction du stade de développement auquel se produit l’inclusion : plus l’inclusion est précoce, plus le kyste ou la fistule sont seront profonds. Les inclusions tardives peuvent conduire a la formation de fistules congénitales médianes de la lèvre supérieure privée de structures annexes (glandes sébacées ou follicules pileux) cas de notre patiente (1,10). La théorie de fusion doit être écartée dans notre cas. En effet, un défaut de fusion des bourgeons nasaux internes serait plutôt en faveur des fentes medio-labiales.
Par ailleurs, les fentes labiales médianes entrent généralement dans le cadre de malformations complexes telles que des holoprosencéphalies le plus souvent alobaires, ou bien dans le syndrome de Pai qui associe fente labiale médiane, lipome du corps calleux et polypes cutanés. Le diagnostic différentiel s’attache en premier lieu a écarter la possibilité d’un corps étranger (contexte traumatique), ou une infection dentaire chronique avec fistulisation cutanée.
D’autres diagnostics moins fréquents peuvent être évoqués comme l’angiœdeme héréditaire, le syndrome de Melkersson Rosenthal, les tumeurs vasculaires, les tumeurs des glandes salivaires accessoires, le kyste nasolabial dont l’histologie est faite d’épithélium respiratoire. Locke (7) recommande la réalisation d’une IRM lors du bilan pré-thérapeutique, a la recherche d’une éventuelle communication basi-cranienne. Le seul traitement curatif reste l’exérèse chirurgicale complète du kyste ou du trajet fistuleux. La récidive est la complication principale en cas d’exérèse incomplète. Afin de faciliter l’excision complète de la fistule, le repérage du trajet fistuleux à l’aide d’un stylet est recommandé (4).
Fig 5. Théories sur l’embryopathogénie des kystes et fistules de la lèvre supérieure. A. Coupe schématique frontale des bourgeons nasaux internes. Fusion partielle des bourgeons nasaux internes. Le défaut de fusion peut expliquer les fistules communicantes avec la cavité´ buccale. Défaut d’accolement des deux feuillets ectoblastiques (flèche). B. Coupe schématique sagittale du processus intermaxillaire. Inclusion ectodermique lors de la fusion des bourgeons nasaux internes. C. Fistule de la lèvre supérieure vue en coupe sagittale (vert). La topographie et la profondeur de la structure dermoïde varient selon le stade de développement auquel se produit l’inclusion. |
CONCLUSION
La fistule congénitale de la lèvre supérieure est une malformation rare nécessitant un diagnostic précoce et une prise en charge rapide. La plupart des auteurs conseillent une intervention chirurgicale dès le plus jeune âge, vers l’âge de six mois tout comme les kystes du dorsum nasal, permettant ainsi d’éviter les complications infectieuses et de faciliter l’exérèse (3,9).
RÉFÉRENCES
1. Holbrook LA. Congenital midline sinus of the upper lip. Br J Plast Surg 1970;23:155–60.
2. Charrier J-B, Rouillon I, Roger G, Denoyelle F, Collon S, Garabedian EN. Congenital isolated midline sinus of the upper lip: clinical and embryological approaches. Cleft Palate Craniofac J 2006;43:488–91
3. Sancho MA, Albert A, Cusi V, Grande C, Aguilar C, Morales L. Upper lip fistulas: three new cases. Cleft Palate Craniofac J 2002;39:457–60.
4. Nakano Y, Somiya H, Shibui T, Uchiyama T, Takano N, Shibahara T, et al. A case of congenital midline fistula of the upper lip. Bull Tokyo Dent Coll 2010;51:31–4.
5. Mackenzie KI. Mid-line sinus of the upper lip. J Laryngol Otol 1970;84:235–8.
6. Licht A, Posner J, Leipziger L. Medial cleft lip with associated midline sinuses. J Craniofac Surg 1998;9:366–70.
7. Locke R, Kubba H. A case of a nasal dermoid presenting as a median upper lip sinus. Int J Oral Maxillofac Surg 2011;40: 985–7.
8. Couly GF, Le Douarin NM. Mapping of the early neural primordium in quail-chick chimeras. II. The prosencephalic neural plate and neural folds: implications for the genesis of cephalic human congenital abnormalities. Dev Biol 1987;120:198–214.
9. Charrier J-B, Garabedian E-N. Congenital cysts, sinuses and fistula of head and neck. Arch Pediatr 2008;15:473–6. (10) Salati SA, Al Aithan B. Congenital median upper lip fistula. APSP J Case Rep