S. HAJJAJI, H. HAJJAMI, A. BOUGHZELLA
Service de Médecine dentaire,
CHU Farhat Hached Sousse – Tunisie


RÉSUMÉ

Introduction : Certains échecs prothétiques sont le résultat du non-respect de l'espace biologique. Cette agression du parodonte marginal va entraîner des réactions tissulaires pouvant aboutir à des hyperplasies gingivales ou des pertes tissulaires inesthétiques. Le rétablissement de cet espace, lorsqu’il est atteint, constitue par conséquent une étape indispensable au traitement.

 

Observation : Il s’agit d’un patient âgé de 34 ans, consultant pour un motif essentiellement esthétique à savoir la reconstitution de la 11 fracturée suite à une carie délabrante. L’examen clinique a révélé une hygiène satisfaisante, une classe I canine et molaire droite et gauche, l’absence d’interférences ou de prématurités, le rebord dentaire sain (au niveau de la 11) se trouve en infra gingival, ne permet donc pas à la restauration prothétique de respecter l'espace biologique.


Discussion :
Chez ce patient, aucune restauration prothétique ne peut être envisagée qu’après avoir aménagé des parois dentaires résiduelles suffisantes, permettant la mise en place d’une ligne de finition à la fois esthétique (dent antérieure), et biologique (respect de l’intégrité de l’espace biologique). Une élongation coronaire par traction orthodontique a été donc réalisée, ce qui a permis de remodeler le parodonte et de recréer les conditions favorables aux différentes étapes prothétiques.

Mots clés : espace biologique, élongation coronaire, extrusion orthodontique


INTRODUCTION

L’espace biologique est une entité à respecter absolument lors de l’intégration de prothèses conjointes. En effet il est nécessaire de créer à nouveau cet espace lors de fractures dentaires. Les solutions peuvent être parodontales par élongation coronaire avec une approche à la fois gingivale et osseuse, mais aussi orthodontique : on parle alors d’élongation coronaire orthodontique ou encore extrusion ou traction orthodontique (1).

Cette dernière procure au patient des avantages indéniables, notamment au niveau antérieur, étant donné qu’elle permet de tracter la dent sans sacrifier l'esthétique des alignements de collets (par opposition à l'élongation coronaire par chirurgie parodontale) (2).

D’où l’intérêt de ce travail dans lequel nous décrirons l’extrusion orthodontique suivie de la réalisation prothétique définitive.

 

OBSERVATION

Un jeune patient, âgé de 34, a consulté pour la restauration de la 11 fortement délabrée, suite à une atteinte carieuse. Son motif de consultation était essentiellement esthétique, avec le souci de conserver ce qui reste de la dent.
L’examen clinique initial a bien montré une hygiène satisfaisante une classe I canine et molaire droite et gauche (Fig 1), avec absence d’interférences ou de prématurités.

 

Fig 1 : Vue initiale (examen de l’occlusion).  
Fig 2a, 2b : Épaisseur initiale des parois résiduelles.


L’examen endo-buccal minutieux de la 11 a mis en évidence un délabrement subtotal, en situation infra gingivale. Toutefois, les parois résiduelles présentent une épaisseur favorable (un minimum de 1mm a été évalué sur chaque paroi) (Fig 2a, 2b).

La hauteur coronaire a été jugée suffisante pour une éventuelle Reconstitution Corono-Radiculaire de la dent (RCR de substitution).
L’examen radiologique de la 11 a révélé la présence d’une obturation canalaire suffisante, avec une longueur et une anatomie radiculaire favorables. Aucun signe d’ankylose ou de proximité radiculaire avec les racines des dents adjacentes n’a été noté (Fig 3).


La confrontation et l’analyse de ces données a sollicité l’esprit conservateur de toute l’équipe, et donc la décision de conservation de la dent et sa restauration prothétique a été prise. Cependant, ceci n’a été possible qu’après avoir aménagé une hauteur suffisante des parois résiduelles, permettant de mettre en place une prothèse respectueuse de la santé parodontale.

Pour ceci, une élongation coronaire par traction orthodontique de la 11 a été bien indiquée. Il s’agit au fait d’obtenir un déplacement intentionnel de la dent en direction coronaire sous l’action d’une force continue.

Radiographie pré-opératoire.Fig 3 : Radiographie pré-opératoire.  
Inlay core avec éperon (technique indirecte).Fig 4a, 4b : Inlay core avec éperon (technique indirecte).

 

La première étape a consisté en la réalisation d’un inlaycore de substitution sur la 11 (technique indirecte). Cet artifice métallique avait pour rôle non seulement la reconstitution de la dent, mais aussi un moyen pour la tracter. Pour ceci, un éperon a été conçu sur sa face vestibulaire, servant d’ancrage (Fig 4a, 4b).

Après essayage et scellement de l’inlaycore avec l’oxyphosphate de zinc (OPZ), la phase orthodontique pré-prothétique a eu lieu : un appareillage multibagues a été donc fixé sur toutes les dents, avec une boucle en « double L » fixée au niveau de l’éperon de la face vestibulaire de l’inlaycore. Cette boucle a la propriété d’exercer des forces légères ne dépassant pas les 30 grammes (déplacements osseux et gingivaux) (Fig 5).

Boucle en double L.Fig 5 : Boucle en double L. Radiographie de contrôle (après 3 semaines).Fig 6 : Radiographie de contrôle (après 3 semaines).
Réactivation de la boucle.
Fig 7 : Réactivation de la boucle.
 


Le premier contrôle a eu lieu trois semaines après : sur la radiographie rétro-alvéolaire, nous avons bien noté une égression de 1mm de la 11 (Fig 6).

Une réactivation de la boucle a été donc réalisée afin d’obtenir une hauteur suffisante des parois résiduelles garantissant une réalisation prothétique compatible avec le maintien de la santé parodontale (Fig 7).


A la fin de la traction (6 semaines au total), le gain du niveau osseux crestal et de la gencive attachée était favorable à la réalisation prothétique. L’éperon vestibulaire a été donc éliminé, une gingivoplastie corrigeant l’alignement des collets a été réalisée pour un meilleur résultat esthétique (Fig 8a, 8b).

Afin de maintenir le résultat obtenu, une couronne provisoire a été réalisée, puis une stabilisation par un arc 0.18x 0.25 a été fixée (Fig 9). Le but étant d’obtenir l’adaptation du parodonte à la nouvelle position de la dent.

Élimination de l’éperon vestibulaire + gingivoplastie.Fig 8a, 8b : Élimination de l’éperon vestibulaire + gingivoplastie.
Stabilisation par un arc 018x 025 (prothèse provisoire en place).
Fig 9 : Stabilisation par un arc 018x 025 (prothèse provisoire en place).
 


A la fin de cette phase de traitement orthodontique et parodontal, nous avons bien noté une bonne cicatrisation du contour gingival de la 11, une amélioration de la situation du collet par rapport à celui de la 21, avec absence de douleur ou de mobilité.

Le traitement prothétique proprement dit a été initié par la réalisation d’une empreinte globale : technique du double mélange simultané. La netteté de l’enregistrement de la ligne de finition (intra-sulculaire) était notre premier souci pour valider cette empreinte (Fig 10).

Empreinte globale : technique de DMS.Fig 10 : Empreinte globale : technique de DMS. Résultat final : satisfaction esthétique et fonctionnel.Fig 11: Résultat final : satisfaction esthétique et fonctionnel.

 

La suite de la chaine prothétique était classique répondant aux différentes étapes de la réalisation d’une prothèse fixée conventionnelle, qui est dans notre cas une couronne à recouvrement total céramo-métallique.
Après scellement définitif de sa prothèse, le patient était satisfait du résultat obtenu tant sur la plan esthétique que fonctionnel (Fig 11).

 

DISCUSSION

L’espace biologique est une entité physiologique qui joue un rôle de sertissage de la dent, permettant d’isoler le parodonte sous-jacent aseptique du milieu buccal septique.
Lors de la réalisation d’une restauration prothétique, il est nécessaire de respecter l’intégrité de cet espace (3,4,5,6,7). Sa violation par divers facteurs (mécaniques ou chimiques), est responsable d’une inflammation, cette dernière peut se traduire soit par une récession gingivale si la gencive est fine, soit par la formation d’une poche parodontale si la gencive est épaisse (8,9,10,11).

Dans notre cas clinique, le délabrement coronaire était trop important, exposant à un risque important d’interférence de la limite de la restauration prothétique avec l’espace biologique ; d’où la nécessité de sa restitution au préalable.

Cette restitution peut être chirurgicale ou orthodontique. Cependant, l’allongement coronaire chirurgical impose pour ce cas un sacrifice osseux important risquant de compromettre le pronostic de la dent, en plus du préjudice esthétique que peut causer cette intervention (dysharmonie du collet de la 11 par rapport à celui de la 21). L’égression orthodontique devient alors l’indication de choix qui permet de récupérer un rapport couronne/racine favorable (8,12,13,14).

Cette intervention permet, en effet, le déplacement intentionnel de la dent en direction coronaire, selon son grand axe, sous l’action d’une force continue. L’intensité de cette force autorise le déplacement de la dent et de son support parodontal (15).

Pour notre cas, nous avons choisi une extrusion lente de la dent, en appliquant une force qui ne dépasse pas 30gr [16], étant donné qu’avec une extrusion rapide (force de 60gr) (17) la migration coronale des tissus de support est moindre, car le mouvement rapide outrepasse l’adaptation physiologique des tissus tout en nécessitant une période de traitement prolongée pour permettre le remodelage et l’adaptation du parodonte à la nouvelle position de la dent, il comporte par ailleurs le risque de déchirement du ligament ainsi qu’une ankylose dentaire. Des forces extrêmes peuvent aussi créer des résorptions radiculaires (18,19,20,21).

Il est primordial de maintenir une force continue, sinon le mouvement orthodontique n’aura pas lieu (22).
La valeur d’égression varie généralement en fonction de la réponse physiologique du patient, ainsi que d’autres facteurs tels que la surface radiculaire intra-osseuse. Dans notre cas, l’égression était évaluée à 1mm après 3 semaines d’application continue de la force.

Généralement, la durée de traitement s’étend de 4 à 6 semaines d’extrusion : période nécessaire à la réorganisation tissulaire et osseuse (23).

Dans notre cas clinique, nous avons exploité la durée maximale (6 semaines) pour obtenir une augmentation du niveau osseux crestal ainsi que de la quantité de gencive attachée (24,25).

À la suite du déplacement coronaire de l’attache, une correction chirurgicale mineure (simple gingivectomie) s’est avérée nécessaire au terme du déplacement orthodontique (amélioration de l’esthétique) (26,27).

 

CONCLUSION

Malgré ses difficultés relatives, l’extrusion orthodontique demeure une technique accessible pour le dentiste et bénéfique pour le patient qui préfère conserver une dent, si ce n’est conserver intact le volume d’une crête osseuse en vue de maximiser les avantages de l’implantologie (2).
Cependant, l’analyse rigoureuse des paramètres cliniques, radiographiques et esthétiques sont indispensables avant de procéder à cette option thérapeutique. Le praticien ne doit donc pas appréhender une approche pluridisciplinaire pour sauver des dents délabrées, mais au contraire y trouver matière à diversifier son exercice, afin de toujours prodiguer à ses patients des soins durables et de qualité (28).

 

BIBLIOGRAPHIE

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