Publié le 15-04-2001
S. BENSOUDA, I. BENYAHYA, S. MSEFER
Service de Pédodontie-Prévention
Service d'odontologie chirurgicale
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca
Université Hassan II
RÉSUMÉ
La cellulite constitue une diffusion cellulaire d'un foyer infectieux dentaire. Cette pathologie est fréquente chez l'enfant et la dent de 6 ans est le plus souvent incriminée. Cependant, les dents temporaires peuvent occasionner également des cellulites importantes. En fonction des différentes formes cliniques, la cellulite se manifeste par une tuméfaction avec des douleurs et parfois une altération de l'état général.
A travers cet article seront passées en revue les différentes formes cliniques de la cellulite d'origine dentaire chez l'enfant et leur prise en charge thérapeutique.
Mots clés : Cellulite, odontologie, enfant.
La cellulite d'origine dentaire est une diffusion d'une infection dentaire vers les tissus cellulo-adipeux, principalement, les tissus mous sous-cutanés. En fonction de la dent causale, les loges celluleuses faciales peuvent constituer le siège de la cellulite. Chez l'enfant, cette pathologie peut être aussi bien liée aux dents temporaires qu'aux dents permanentes notamment la dent de 6 ans (1, 2).
La cellulite s'accompagne souvent de douleur, d'altération de l'état général avec difficulté d'alimentation, ce qui est en fait une urgence pédiatrique. En effet, selon une étude menée en 1997 dans un hôpital pédiatrique de Washington, la cellulite d'origine dentaire constitue 9% des urgences faciales de l'enfant (Scheller, 1997) (2). Toutefois, peu d'articles ont été publiés concernant ce sujet.
A travers cet article seront passés en revue des cas cliniques illustrant les différentes formes de la cellulite d'origine dentaire chez l'enfant, avec une synthèse sur l'étiopathogénie, le diagnostic et la prise en charge thérapeutique.
ÉTIOPATHOGÉNIE
La cause la plus fréquente de la cellulite est la carie dentaire, mais elle peut être également associée à un traumatisme compliqué ou plus exceptionnellement à une péricoronarite. Il existe toutefois certains facteurs propres à l'enfant, qui peuvent favoriser l'apparition de la cellulite, tels que (1, 3) :
- L‘évolution carieuse à bas bruit liée à l'anatomo-physiologie de la dent immature et à la sensibilité qui est diminuée au niveau de cette dernière,
- La fréquence élevée des traumatismes chez l'enfant, avec un retard pour le délai de consultation ou une absence de motivation pour le suivi.
L'infection bactérienne aiguë ou chronique induit alors une diffusion microbienne à travers l'os, qui atteint par la suite les tissus celluleux bucco-faciaux. L'infection est polymicrobienne, elle est liée à une large variété de bactéries aérobies et anaérobies, notamment des streptocoques, staphylocoques, entérocoques, actinomyces... Le nombre et type de bactéries vont toutefois varier en fonction de l'évolution de la cellulite en stade aigu ou chronique (1,3,8).
FORMES CLINIQUES ET TOPOGRAPHIQUES
Les cellulites sont réparties en formes aiguës ou chroniques. Elles peuvent prendre également une allure diffuse mais d'une façon plus exceptionnelle.
Chez l'enfant comme chez l'adulte, la cellulite va passer successivement par divers stades : l'inflammation, la suppuration, la fistulisation et la régression.
Le stade séreux :
Le stade de suppuration :
Si le patient n'est pas pris en charge, la cellulite évolue vers la suppuration en 2 à 3 jours. Les téguments sont alors tendus et luisants présentant une fluctuation dont le signe du godet est le signe pathognomonique (Fig. 2). Au niveau buccal, la périodontite diminue aux dépens d'une douleur très intense sous forme de battements profonds et de tension. Les signes généraux sont inconstants. Et ce n'est que l'évacuation spontanée ou provoquée de la collection purulente qui entraCine une décompression et un soulagement du malade, donnant lieu à la régression de la tuméfaction en quelques jours (1, 3, 6, 7).
D'autre part, au stade de cellulite suppurée, il peut se produire une fistulisation spontanée qui peut siéger au niveau muqueux avec un trajet fistuleux court (Fig. 3) ou au niveau cutané, dans ce cas le trajet fistuleux est long et prend la forme de cordon induré (1) (Fig. 4).
La cellulite chronique :
En l'absence de traitement, la chronicité s'installe. Il se forme alors une tuméfaction nodulaire, arrondie, adhérente à l'os et recouverte d'une peau mince violacée (Fig. 5).
La cellulite peut présenter plusieurs formes topographiques. Ainsi, le siège de la cellulite peut varier en fonction de la dent causale et la situation exacte des racines. Pour les molaires inférieures dont les racines sont situées à mi-distance des deux tables osseuses externe et interne, la tuméfaction peut se situer aussi bien au niveau de la région linguale (cellulite du plancher buccal) qu'au niveau vestibulaire (cellulite de la région génienne, cellulite labiale inférieure et mentonnière).
Au niveau maxillaire, pour les racines communiquant avec la table externe, la cellulite peut se situer au niveau labial supérieur, sous narinaire, naso-génien et génien haut. Lorsque la dent causale est en relation avec la table palatine notamment pour les incisives latérales et les racines palatines des prémolaires, et molaires, la cellulite prend la forme d'abcès sous-périosté (1, 3, 5, 6, 7) (Fig. 6).
DIAGNOSTIC
Diagnostic positif :
Le diagnostic positif se base sur l'examen clinique classique, en recherchant dans l'anamnèse un antécédent de douleur dentaire ou de traumatisme.
L'examen exobuccal se base sur l'aspect des téguments à la recherche d'une tuméfaction pour laquelle on note le siège, les limites, l'aspect, la couleur, la température... (Fig. 7a).
En endobuccal, l'examen des muqueuses est effectué à la recherche d'un comblement du vestibule, d'un abcès, d'une fistule, d'une dent cariée ou traumatisée (Fig. 7b). L'examen radiographique est indispensable afin d'établir le diagnostic précis de la cellulite, même si les signes radiographiques sont souvent frustrés par rapport à l'importance des signes cliniques (3) (Fig. 7c).
Les clichés utilisés sont la rétro-alvéolaire et la radiographie panoramique, qui devraient être systématiquement indiquées en présence d'une cellulite pour la richesse des informations qu'elles peuvent offrir.
L'orthopantomogramme ou la rétro-alvéolaire mettront en évidence une lésion périapicale ou interradiculaire, une racine résiduelle, un granulome et parfois un simple élargissement desmodontal.
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Diagnostic différentiel :
Chez l'enfant, il est important de faire le diagnostic différentiel avec une fracture osseuse ou alvéolaire souvent accompagnée d'œdème, un processus tumoral, une parotidite (fréquente chez l'enfant), ou encore une adénite. Cette dernière en effet, prend un volume important chez l'enfant (3, 5, 7).
COMPLICATIONS
En l'absence de traitement, la cellulite peut s'aggraver par des complications locales ou générales : Un trismus, une cicatrice rétractile, une septicémie, une infection focale ..., d'où l'importance du diagnostic précoce et précis afin d'établir le traitement adéquat.
TRAITEMENT
Traitement symptomatique :
Dès la consultation, le praticien se doit de prendre en charge psychologiquement l'enfant afin de le réconforter et de le mettre en confiance. En effet, la pathologie peut être impressionnante par le volume de la tuméfaction et les signes associés notamment la douleur et l'altération de l'état général.
Le traitement proprement dit est symptomatique et étiologique. Traitement médical : Il se base sur une antibiothérapie à large spectre : Pénicilline, macrolides... ou des associations telles que : Pénicilline A et acide clavulanique, Spiramycine et Métronidazole. Les tétracyclines sont, par ailleurs, contre-indiqués avant l'âge de 8 ans.
Les antalgiques peuvent être utiles pour soulager la douleur.
Les anti-inflammatoires stéroïdiens sont, par contre, totalement contre-indiqués car ils créent une immunodépression et s'opposent à l'inflammation qui peut aggraver la cellulite (1, 3, 4).
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens quant à eux sont à utiliser avec beaucoup de précautions, d'une part pour leurs effets secondaires propres et d'autre part car en s'opposant au processus inflammatoire il risque d'y avoir une intensification des signes cliniques. Donc, il faut s'assurer de l'état de santé générale de l'enfant et du stade précis de la cellulite ; les anti-inflammatoires étant contre-indiqués au stade de suppuration et de chronicité.
En cas de trismus associé, une prescription de myorelaxant peut être indiquée.
Traitement chirurgical :
Au stade de suppuration, le drainage est indispensable. Il peut être effectué par voie endobuccale : Muqueuse ou dentaire (trépanation de la dent causale) ou encore par voie exobuccale grâce à une incision cutanée au niveau de la région la plus déclive de la tuméfaction. L'incision est réalisée à minima et est associée au lavage de la plaie, à l'aide d'une solution au Dakin" ou de Bétadine®. Un drain est souvent utile pour maintenir l'ouverture de la voie de drainage, puis il est renouvelé régulièrement jusqu'à arrêt des sécrétions purulentes (1, 6).
Traitement étiologique :
Le traitement causal permet d'éradiquer le foyer infectieux et éviter la récidive. Le traitement étiologique peut être radical pour les dents temporaires et les dents permanentes non conservables (Fig. 8).
Le traitement conservateur est le plus souvent recherché surtout chez l'enfant, en réalisant un traitement endodontique à l'hydroxyde de calcium. Ce dernier est maintenu jusqu'à la disparition de l'infection (disparition d'exsudat intracanalaire et diminution ou disparition de la lésion péri-apicale) ou encore la fin de l'apexification, si la dent est immature (Fig. 9). Par la suite, un traitement définitif à la gutta percha est réalisé avec une restauration coronaire étanche ou une prothèse provisoire (3, 8, 11).
CONCLUSION
La cellulite est une urgence en pédodontie. Cette pathologie exige un diagnostic précis, une prise en charge immédiate et adaptée ainsi qu'un bon suivi clinique et radiologique.
La prévention des cellulites passe par tous les moyens de prévention de la carie. Ainsi, un examen odontologique régulier permet de diagnostiquer les lésions dentaires et de les traiter précocément afin d'éviter l'installation de complications. Il est essentiel également d'insister sur l'information des parents concernant les traumatismes dentaires qui s'ensuivent même si parfois le choc est de faible intensité.
BIBLIOGRAPHIE
1- BERTHOLD H. - Traitements antibactériens. Rev. Mens. Suisse Odontostornatol, 1993,103 (3).
2- BIEDERMAN G.R., DODSON T.B. - Epidemiologic review of facial infections in hospitalized pediatric patients. J. Oral Maxillofac. Surg1994,52: 1042-45.
3- DEMARS-FREMAULT C., PILIPILI MUHIMA C. - La carie et les complications chez l'enfant. EMC, (Paris), 1991, 234 1 0-C 10.
4- GAILLARD A. - Cellulites et fistules d'origine dentaire. EMC (Paris), 1989.22033,AIO.
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7- MATUSOW Kj. - Acute pulpal alveolar cellulitis syndrome V. Apical closure of immature teeth by infection control : The importance of an endodontic seal with therapeutic factors. Part 2. Oral Surg. Oral Med. Oral Pathoi., 1991, 72: 96- 100.
8- MATUSOW RJ. - Endodontic cellulitis "flare-up". Case 8 report. Austr. Dent. J., 1995,40 (1) :36-8.
9- SHELLER B.,WILLIAMS BJ., LOMBARDI S. - Diagnosis and treatment of dental caries related emergencies in a children's hospital. Pediatr. Dent. 1997,19 (8) :470-75.
10- CAVAILLON J.P. GIRARD P, NOTO R. - Techniques à visée locorégionale. Manuel des urgences en pratique odontostomatologique, Paris, Masson, 1988.
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