K. LAHLOU, Y. CHEIKH, I. BENKIRAN, M. JABRI, A. EL OUAZZANI, H. HIRECHE
Faculté de médecine dentaire de Casablanca

UNIVERSITÉ HASSAN II


RÉSUM
É

Le collage des amalgames peut paraître assez insolite. Mais vu le contexte clinique de certaines situations, cette technique peut présenter une solution de compromis à moyen et long terme.
En effet, pour des cavités mutilantes des structures dentaires sans rétention, surtout quand les artifices prothétiques ne sont pas indiqués dans l’immédiat, le collage des amalgames peut être une alternative intéressante. Il faut néanmoins, afin d’optimiser le résultat, bien poser l’indication et respecter les étapes d’un protocole opératoire rigoureux.

Mots clés : Amalgame collé - adhésifs - scellement.

Actuellement, il y a une telle polémique concernant la toxicité de l’amalgame, qu’on est en droit de se demander si ce matériau est toujours d’actualité.
En fait, jusqu’à présent les études n’ont pas pu prouver de façon formelle, que l’amalgame d’argent est plus toxique que d’autres matériaux, notamment les composites (1).

Il a même été montré par des études menées en Europe et aux Etats-unis que si le taux de mercure était plus élevé dans le sang des chirurgiens dentistes, il était nettement en deçà de la valeur limite moyenne admise de 30 µg/l (Chang et coll 1987 (2) et Haïkel 1992 (3)).

De plus la teneur moyenne de mercure dans les urines, rapportée pour 4000 chirurgiens dentistes américains est de 14µg/l. Cette concentration n’est pas très alarmante si on sait que la valeur moyenne suggérée est de 50µg/l (3).
Donc, si nous prenons les précautions nécessaires en aérant la salle de soins, en n’utilisant que des carpules et en récupérant les déchets dans des séparateurs homologués, nous pouvons continuer à utiliser l'amalgame sans grand risque d’intoxication.


POURQUOI COLLER ?

L’étude du joint amalgame-paroi amélo-dentinaire au microscope électronique montre un hiatus de 10 à 20 microns.
Ce hiatus est toujours présent, même si son importance varie en fonction du type d’amalgame et de la manipulation. Les produits de corrosion et de dégradation du matériau peuvent combler partiellement ce hiatus.

Cependant, non seulement on ne peut contrôler leur pérennité, mais ces produits de corrosion compromettent le devenir de l’obturation.

De plus, ils pénètrent dans les tubuli dentinaires, et leur diffusion engendre la coloration grisâtre et inesthétique des tissus dentaires.
Malgré ces défauts, l’amalgame reste actuellement le matériau le plus performant sur le plan mécanique. Donc, coller un amalgame peut améliorer ses inconvénients tout en préservant ses avantages.


CHOIX DES MATERIAUX

Les amalgames :
Les amalgames destinés au collage doivent présenter une faible quantité de mercure résiduel, car ce dernier peut masquer les sites de liaison chimique des adhésifs avec les éléments métalliques solides de l’amalgame. De plus, l’excès de mercure empêche la résine de pénétrer dans l’amalgame en cours de prise et de créer les interdigitations qui assurent la rétention mécanique.
Ce sont donc les amalgames à haute teneur en cuivre, de composition unique (H.C.S.C) (hight coper single composition) qui répondent le mieux au collage.
 
Les adhésifs :

L’adhésif utilisé sous un amalgame doit assurer :
- La rétention de la restauration,
- L’étanchéité marginale.

Actuellement, les résines qui répondent le mieux à ces objectifs sont les résines anaérobies (amalgame-bond, super-bond et panavia). En effet elle sont capables d’établir des relations physico-chimiques avec les tissus dentaires et les éléments de l’amalgame (4, 5, 6). Les adhésifs amélo-dentinaires par contre, ne répondent que partiellement à ces impératifs. Car, s’ils sont capables d’établir des liaisons physico-chimiques avec les substances dentaires, ils n’établissent que des liaisons de type physique avec les amalgames, ce qui affaiblit l’étanchéité de l’obturation (7).

Néanmoins, ils oblitèrent les tubuli dentinaires et comblent partiellement le hiatus périphérique (8, 9).

 

CARACTÈRES DE L’AMALGAME ADHÉSIF

Avantages :

Le renfort de la dent :

Il est tout à fait admis que le collage renforce la dent. En fait, cette adhérence du matériau d’obturation aux structures dentaires retarde la déformation et réduit la fatigue mécanique de la dent sous les tensions, ce qui permet de retarder la fracture. Morin et coll (cités dans 10) parlent d’une hystérèse réduite : la dent ayant subi une restauration adhésive se déforme moins et se fatigue moins vite, mais n’est pas forcément plus résistante. Par ailleurs, Boyer et Roth (cités dans 10) rapportent que le renfort apporté par le collage ne redonne pas à la dent la résistance à la fracture comparable à celle d’une dent intacte (10).


Amélioration de la rétention du matériau d’obturation :
La liaison mécanique obtenue par les interdigitations entre l’adhésif et l’amalgame fraîchement inséré augmente la rétention du matériau. Donc, comme pour tout matériau collé, cela évite un délabrement supplémentaire de la dent afin d’obtenir des cavités auto-rétentives, comme c’est le cas pour les amalgames classiques.

Ainsi, l’indication des amalgames collés peut s’étendre aux dents fortement délabrées par les processus carieux, soit comme traitement permanent sur dents pulpées, soit comme reconstitution provisoire dans l’attente d’une reconstitution prothétique ultérieure. En effet, le collage permet d’éviter les artifices de rétention secondaires mutilants pour l’organe dentaire, tels les vis ou les puits dentinaires.

Obtention du scellement :
Le mordançage total permet de créer les micropuits qui vont assurer l’interdigitation entre les structures dentaires et le matériau de collage, ce qui donne la couche d’hibridation dentinaire (10).
Celle-ci va assurer le scellement des tubuli dentinaires, ce qui réduit sinon élimine le risque de sensibilité post-opératoire (11).

De plus, théoriquement, l’utilisation des résines adhésives diminue de manière considérable les infiltrations. Or, en réalité, la majorité des études in vitro s’accordent pour dire que les résines adhésives réduisent la micro-infiltration dans les premières 24 heures après l’insertion (Stanitec M, Charton DG, Cooley RC (cités dans 11).
Mais Saiku et coll (cités en 10) rapportent que 30 jours après, il y a augmentation de la micro-infiltration. Ben Amar et coll ( cités dans 10) quant à eux, rapportent un meilleur comportement des adhésifs dentinaires face à la micro-infiltation, par rapport à la résine de copal, même après des contraintes thermiques et des charges répétées.
 
Inconvénients :
Diminution de résistance de l’amalgame :
L’adjonction des résines adhésives à l’amalgame peut diminuer sa résistance. En effet, il a été observé une incorporation de particules de résine jusqu’à 2 mm de profondeur dans l’amalgame, ce qui entraîne une diminution de l’homogénéité de l’amalgame.
Pour remédier à ce problème, il est recommandé donc de placer une couche très fine afin de réduire l’incorporation de particules de résine dans l’amalgame.
 
Indications :
Ce type de restauration peut être indiqué :
- Dans le cas de molaires très délabrées, chez le jeune, dans l’attente de l’édification radiculaire.
- Dans le cas de dents délabrées et traitées endodontiquement. En effet, cette technique permet de différer l’étape prothétique.
- Pour des raisons pécuniaires.
 
Situation de la limite cervicale :
La situation de la limite cervicale des cavités pour dents cuspidées joue un rôle important dans le choix du matériau de restauration. On tend à limiter l’indication de restauration par composite quand la limite cervicale n’est pas facilement accessible. Cette indication se justifie par le fait que la dentine juxta-cémentaire est résistante à l’attaque acide. Sachant que les composites présentent une rétraction lors de la polymérisation, le composite sera plus facilement arraché au niveau cervical, à cette dentine résistante au mordançage acide.

Par contre, pour les amalgames, il existe une compression lors de leur insertion. Donc, la difficulté de traiter la dentine n’est pas aggravée par la rétraction du matériau. La situation de la limite cervicale ne doit pas poser un problème pour la restauration d’un amalgame adhésif, à condition qu’elle soit compatible avec la pose d’un champs opératoire (12).

Contraintes cliniques :
Hygiène :
L’utilisation d’une technique adhésive, implique un contrôle de plaque rigoureux de la part du patient. Il est donc impératif, avant toute restauration à l’amalgame collé, de motiver le patient en lui expliquant que tout dépôt de plaque bactérienne au niveau de l’obturation risque de mettre cette dernière en péril. L’esthétique ne pouvant être comme argument de motivation comme pour les composites, le praticien peut mettre en avant le scellement des tubuli dentinaires par la résine qui s’oppose à la coloration des structures dentaires par l’amalgame.

Occlusion :

L’amalgame est un matériau tout à fait indiqué pour le secteur postérieur, car il peut subir les contraintes occlusales sans grandes altérations à moyen et long terme.
L’adjonction de résines chargées chémopolymérisables (4-méta) permet la répartition des tensions occlusales à travers la dentine. Donc, ces restaurations auront un comportement plus homogène sous les contraintes.

Il faut néanmoins respecter certaines règles pour permettre une bonne intégration fonctionnelle de la dent, notamment :
- Eviter de faire correspondre la ligne du grand contour avec un point d’occlusion.
- S’assurer d’une épaisseur d’amalgame suffisante au niveau des zones d’occlusion avec les dents antagonistes.
- Régler l’occlusion aussi bien en relation statique que dynamique.
 
Technique opératoire: (voir cas clinique)
1. Mise en place d’un champs opératoire
2. Préparer la cavité
3. Protection des zones profondes car l’adhésif chémopolymérisable présente un taux de réticulation inférieur à celui d’un adhésif photopolymérisable
4. Mordançage total de l’émail et la dentine
5. Pose de matrice si nécessaire
6. Application d’un adhésif en couche fine à l’aide d’un pinceau
7. Obturation à l’amalgame
8. Finition.
 
Pérennité du joint :
L’adjonction d’ adhésif à l’obturation à l’amalgame joue un rôle incontestable quant à la qualité du joint. L’interface amalgame-adhésif/émail va dépendre donc de l’adhésif utilisé. Ainsi, pour ce type de restauration, ce sont les adhésifs amélo-dentinaires chémopolymérisables, susceptibles de s’imbriquer dans l’amalgame, qui favorisent la disparition de la boue dentinaire et la pénétration de la résine dans les tubuli dentinaires (15).

Néanmoins, si les restaurations collées ont un effet inhibiteur sur le développement carieux à court terme, leur comportement à long terme n’est pas aussi performant. On peut même se demander si, en utilisant un adhésif sous un amalgame, on n’introduit pas un élément organique qui peut servir de support au développement bactérien.
Il n’en reste pas moins que le collage des amalgames offre la possibilité de conserver des dents délabrées pulpées, afin d’obtenir l’édification radiculaire. Ce collage permet également l’amélioration de la rétention des dents délabrées et dépulpées, quand l’indication des artifices prothétiques n’est pas posée dans l’immédiat (13, 14).
 

Fig. 1 : Kit d’une résine anaérobie chémopolymérisable : Superbond.

 

 

Fig. 2 : 46 avec une cavité mutilante chez une jeune  patiente .

 

Fig. 3 : Préparation de la cavité et mise en place d’un hydroxyde de calcium au niveau de la zone à proximité pulpaire.

 

Fig. 4 :  Application de l’adhésif en couche fine, après mordançage total à l’acide phosphorique. Fig. 5 : obturation et sculpture de l’amalgame.
 

BIBLIOGRAPHIE

1- HAIKEL Y., GASSER P., SALEK P. et VOEGEL J.C.
Exposure to mercury vapor during sitting, removing and polishing amalgam restorations.
J. Biomed Mat. Res 1990, 24 : 1551-1558
2- CHANG S.B., SIEW C. et GRUNINGER S.E.
Examination of blood levels of mercurials in practicing dentists using cold-vapor atomic absorption spectrometry
J. Anal. Toxicol1987,11 :149-253
3- HAIKEL Y. et ALMANN G.
Contamination mercurielle : Cabinet dentaire et environnement.
Information dentaire 1992, 36 : 3153-3157
4- CAUGHAM W.F., KOVARIK R.E., RUEGGEBERG F.A. et SNIPES W.B.
The bond strength of Panavia ex to air-abraded amalgam.
International of Prosthodontics 1991, 4 : 276-281
5- CHANG J.C., CHAN J.T., CHHEDA H.N., IGLESIAS A. et LADD G.D.
Microleakage of amalgam restorations with A 4-META bonding agent.
Journal of dental research 1993, 72 : 223
6- CHANG J., SCHERER W., TAUK A. et MARTINI R.
Shear bond strength of 4-META adhesive system.
Journal of Prosthetic Dentistry 1992, 67 : 42-45
7- BEN-AMAR A., LIBERMAN R., JUDES H. et NORDENBERG D.
Long-term use of dentine adhesive as an interfacial sealer under Class II amalgam restorations.
Journal of oral rehabilitation 1990, 17 :34-42
8- LEELAWAT C., SCHERER W., CHANG J., VIJAYARAGHAVAN T. et LEGEROS J.
Bonding fresh amalgam to existing amalgam : a shear and flexural strength study .
J. Esthetic Dent 1992, 4(2) : 46-9.
9- TJAN A.H. et BERRY F.A.
Marginal leakage of amalgam restorations lined with various dentinal adhesives.
Journal of Dental Research 1993, 72: 218
10- FORTIN D., PREVOST A., PEDERIAN K.H. et BALTADJIAN H.
L’amalgame adhésif : illusion ou réalité clinique
Journal Dentaire du Québec Vol. XXXII 1995.
11- DE SCHEPPER E.J., CAILLETEAU J.G., LESLIE R. et POWERS J.M.
In vitro tensile bond strengths of amalgam to treated dentin.
Journal of Esthetic Dentistry 1991, 3 :1117-1120
12- HENNEQUIN M. et COLON P.
Peut-on étendre l’utilisation des adhésifs aux reconstitutions par amalgame ?
Réalités cliniques 1994 5(4) : 519-527
13- HENNEQUIN M.
Amalgames et interfaces.
Information dentaire 1994 14 : 1191-1204
14- HADAVI F, HEY J.H, AMBROSE ER, ELBADRAWY HE.
Effect of different adhesive systems on microleakage at the amalgam/composite interface.
Oper dent 1993, 18(1) : 2-7.
15- HADAVI F., HEY J.H. et AMBROSEE.R.
Shear bond strength of composite resin to amalgam: an experiment in vitro using different bonding systems.
Oper Dent 1991, 16 : 2-5

  

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