S. BELLEMKHANNATE, G. JANATI, A. CHBANI
Service de Prothèse Adjointe
Faculté de médecine dentaire de Casablanca
Université Hassan II
RÉSUMÉ
Bien que l’on puisse définir le guidage antérieur en denture naturelle comme étant le glissement des dents antérieures mandibulaires le long des faces palatines des dents antérieures maxillaires provoquant la désocclusion des dents cuspidées, Le guidage antérieur en prothèse amovible complète va tout autrement, ce n’est pas véritablement un guide mais une trajectoire idéale déterminant un mouvement mandibulaire.
En effet, en occlusion de relation centrée, les dents antérieures ne sont pas en contact ; cette absence de contact demeure pendant le mouvement de propulsion jusqu’au bout à bout.
La méthodologie de reconstruction du guide antérieur que nous avons proposé passe par les étapes suivantes :
- Le montage antérosupérieur selon GYSI ;
- Le montage des 2 incisives centrales mandibulaires, en respectant l’esthétique labiale et les principes du triangle de Slavicek, avec un recouvrement et surplomb d’environ 1,5 mm ;
- La réalisation de la pente de guidage antérieure à l’aide d’un matériau thermoplastique ;
- Le montage du reste des dents ;
- Le respect de l’occlusion balancée.
Mots clé : Guidage antérieur, prothèse adjointe complète, fonction occlusale, esthétique.
INTRODUCTION
La fonction occlusale définit les conditions physiologiques d’intégration du système dentaire dans l’ensemble des fonctions manducatrices. Cette fonction fait appel aux faces occlusales des dents qui constituent, par leur anatomie, la partie active à la fois masticatrice et stabilisatrice (calage) et orientatrice (guidage) (1,2).
Les facteurs assurant le bon fonctionnement du déterminant antérieur sont l’anatomie des faces palatines des dents maxillaires, la position de ces dents dans le sens vertical (overbite), dans le plan horizontal (overjet) et dans le plan sagittal médian (le trajet incisif).
En prothèse complète, lors du montage des dents prothétiques, nous devons concilier fonction et esthétique ; de telle façon que chaque montage soit personnalisé et parfaitement adapté aux particularités anatomophysiologiques et morphologiques du patient. En effet l’agencement des dents antérieures doit respecter l’harmonie dentolabiale, les rapports intra et interarcades et les principes de normocclusion.
Lorsque l'on ne peut recopier une situation physiologique préexistante, il faut réinventer la morphologie dentaire.
L’objectif de cet article est de proposer une méthodologie pratique dans la reconstruction du guide antérieur lors du montage des dents prothétiques en prothèse complète, basée sur le recouvrement, le surplomb et la pente incisive, réunis dans le triangle de Slavicek (3), et les principes de l’occlusion généralement équilibrée.
LES FACTEURS IMPLIQUÉS DANS LE GUIDAGE ANTÉRIEUR
Les mouvements mandibulaires génèrent des contacts entre les groupes antérieurs, par le glissement des bords libres des incisives mandibulaires contre les faces palatines maxillaires ; décrivant ainsi la pente incisive, trajectoire du dentalé débutant du point de contact en occlusion d’intercuspidation maximale et se terminant par le contact en bout à bout. Cette pente incisive dépend directement du recouvrement, du surplomb, de la zone neutre et de l’angle inter-incisif (2,4,5).
Le recouvrement et le surplomb :
Ce recouvrement semble d’ailleurs avoir brutalement augmenté durant les cent dernières années dans les populations industrialisées, vraisemblablement en raison des modifications des modes de vie notamment des habitudes alimentaires (6).
Par ailleurs, il peut varier, selon les classes squelettiques, de 1 à 6 mm environ et cela en fonction d’autres déterminants de l’occlusion qui sont les courbes de Spee et de Wilson, la morphologie cuspidienne et la pente condylienne.
C’est ce recouvrement qui permet aux dents antérieures mandibulaires de glisser en propulsion et en latéralité. J. Beyron (1954 (5)) considérait déjà comme obstacle une supraclusion excessive puisqu’un recouvrement important permet une désocclusion immédiate et totale pendant la propulsion. En revanche, lorsque le recouvrement est faible, le moindre défaut occlusal postérieur peut créer une interférence.
Le surplomb (fig. 1), lui aussi est très variable, il est important dans la classe II1, supprimant parfois tous les contacts incisivo-canins ; dans la classe III, le bout à bout supprime également la notion de guidage antérieur (7).
Le modèle théorique retient une valeur d'environ 2 mm, mais les moyennes cliniques varient d'une étude à l'autre. Bien qu'une tendance séculaire à la rétrognathie mandibulaire se dégage des études récentes, il semble que le surplomb reste à peu près constant (6).
En prothèse complète, le recouvrement et le surplomb des incisives maxillaires sont de 0,5 à 1 mm (fig.2). Ils dépendent essentiellement du décalage des bases osseuses, de l'esthétique dento-labiale, des capacités de montage du prothésiste pour obtenir un montage intégralement équilibré alliant esthétique et fonction sur des mouvements de faible amplitude (8-10).
La zone neutre :
L’angle interincisif et l’angle d’ouverture intracoronaire :
L’angle d’ouverture intracoronaire définit l’espace libre entre la face vestibulaire inférieure et la face palatine supérieure permettant une fonction libre (Fig.5) (13).
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La pente condylienne :
Le premier affirme qu’il n’existe pas de relation entre la pente condylienne et la pente incisive et que la capacité de rotation de l’ATM lui permet de s’adapter à des pentes incisives différentes, comme le souligne P.E. Dawson (1989) ; selon lui, le guide incisif doit être reconstruit en fonction des données anatomiques purement dentaires, en l’occurrence en fonction de la désocclusion postérieure indépendamment de la valeur de la pente condylienne.
Le deuxième courant de pensée, des fonctionnalistes, trouve un lien entre la pente condylienne et la pente incisive. Le GA délimite l’enveloppe des mouvements mandibulaires et il existe une relation entre cette enveloppe et la morphologie des ATM. Ils recommandent donc une pente incisive supérieure de 10° à la pente condylienne moyenne et une adaptation secondaire de la pente des dents pluricuspidées.
Quel que soit le courant de pensée, les trajets condyliens ne déterminent pas le GA, et il n’y a ni nécessité, ni avantage à s’efforcer de les faire concorder (1,15).
COMPARAISON ENTRE GUIDAGE NATUREL ET GUIDAGE ARTIFCIEL
Guidage Antérieur en denture naturelle :
Guide proprioceptif :
Ainsi, la proprioception desmodontale (particulièrement au niveau du guide antérieur) programme, grâce à ses récepteurs spécifiques à gradient de sensibilité directionnelle propre, l'enveloppe des mouvements mandibulaires en agissant sur l'activité des muscles masticateurs. Elle permet ainsi des contacts dentaires harmonieux non traumatiques et une reprogrammation de l'enveloppe si ces contacts ont été modifiés (traitement orthodontique ou soins dentaires) (6).
Guidage mécanique :
- En rouge les déterminants du mouvement mandibulaire.
- En vert le mouvement cuspidien.
GUIDAGE ANTÉRIEUR EN DENTURE ARTIFICIELLLE
Absence de l’aspect proprioceptif :
Guide mécanique : guidage virtuel
Contrairement à la denture naturelle, en prothèse amovible complète, la notion de guide antérieur et de pente incisive n'a pas de réalité physique en termes de frottement, puisque le déplacement du dentalé, guidé par les secteurs cuspidés, s'effectue dans le vide jusqu'au bout à bout incisif (10).
- Une trajectoire rectiligne des incisives mandibulaires, menant au bout à bout incisif, afin d’éviter toute force horizontale iatrogène;
- Un contact équilibrant dento-dentaire au niveau des dents cuspidées. Ce contact ne peut se réaliser que par l’obtention de versants cuspidiens maxillaires tangents à la trajectoire cuspidienne antagoniste (16).
Ces deux conditions assurent l’occlusion équilibrée de propulsion.
Réglage arbitraire de la pente incisive :
Inclinaison incisive = 2 x inclinaison cuspidienne - inclinaison condylienne
Selon Saizar, le réglage de la pente incisive sagittale est variable, allant jusqu’à 30° dans les cas topographiquement favorables, afin d’obtenir des cuspides hautes et coupantes. Dans les cas moins favorables, il réduit l’inclinaison jusqu’à 0°, pour diminuer la hauteur des cuspides et réduire ainsi les pressions transversales (17).
- L’inclinaison de la trajectoire condylienne.
- La profondeur de la courbe de compensation.
- L’inclinaison du plan d’occlusion
- L’inclinaison de la trajectoire incisive.
- La hauteur cuspidienne ou angulation cuspidienne.
Pour mieux schématiser sa pensée, l’auteur relie ces cinq facteurs dans une formule simple, le « quint » de Hanau :
Equilibre = trajectoire condylienne x trajectoire incisive / Courbe de compensation x inclinaison plan de l’occlusion x hauteur cuspidienne
Pastant (19) situe la valeur de la trajectoire incisive entre 0 et 20° en fonction de la pente condylienne et du rapport des crêtes et de leur état.
Reconstruction proprement dite :
Cette méthode englobe 3 éléments fondamentaux :
- Le montage antérieur selon GYSI;
- Le triangle de Slavicek;
- L’occlusion balancée.
Montage des dents antéro-supérieures : (tableau 1)
Incisive centrale | Incisive latérale | Canine | |
Frontalement | 5° Collet distalé. Bord libre parallèle au PO |
8 à 10° Collet distalé. Bord libre parallèle et à 2mm du PO |
0 à 3° Collet distalé. Bord libre en contact avec le PO |
Sagittalement | 0 à 10° Pied en avant de la papille bunoide. Bord libre en contact avec le bord antérieur de la clé. |
10 à 15° Dent en retrait/IC |
Droite |
Horizontalement | 6 à 8mm du centre de la papille. Bord M : sur l’ASM Bord D : orienté selon la forme de l’arcade |
Continue l’amorce suivant la clé et en fonction de la forme de l’arcade | Versant M : termine l’arc antérieur. Versant D : amorce la ligne de montage des dents post. Sommet : dans l’alignement du centre de la papille |
Dans le plan frontal (fig. 9)
Les latérales sont placées de telle façon que leur bord libre soit 1 mm au-dessus de ce même plan avec une inclinaison frontale de 8 à 10° et le collet est distalé (Fig 11) .
Les canines ont leurs pointes cuspidiennes au contact du plan de montage avec une inclinaison frontale de 0 à 3°, le collet est très légèrement distalé (fig. 11).
- axe d’inclinaison des dents par rapport à la ligne interincisive (10).
Dans le plan sagittal :
Les dents antéro-supérieures présentent les inclinaisons sagittales suivantes :
incisive centrale 5°, incisive latérale 10° et canine 0 à 3° (Fig 11,12) (8-10,20).
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Dans le plan horizontal
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Montage des incisives centrales inférieures : (Fig 14)
Sagittalement, les bords libres des centrales inférieures sont légèrement vestibulés d’environ 10° et recouverts par les incisives supérieures; le recouvrement et le surplomb n’excédant pas 2 mm.
Dès le montage des incisives centrales mandibulaires, nous devons veiller à l’application des règles de l’occlusion balancée en statique et en dynamique.
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Réalisation de la pente incisive selon le triangle de Slavicek :
On ramollit un morceau de Sten’s et on l’étale sur la moitié du plateau incisif derrière la tige incisive, il est remodelé dans un première temps manuellement sous forme d’une pente ascendante (fig.16, 17).
Ensuite, on manipule la tige incisive et on l’achemine à partir de la position d’occlusion de relation centrée, jusqu’au bout à bout incisif, tout en veillant à la coïncidence des points interincisifs supérieur et inférieur (fig.18).
Puis, la tige incisive est mobilisée en latéralité droite et gauche ce qui va transcrire l’arc gothique (fig.19).
On obtient ainsi la pente incisive.
Montage des incisives latérales et canines mandibulaires :
Dans le plan frontal :
Pour l’incisive latérale, son bord libre est parallèle au plan d’occlusion et l’incisive centrale supérieure la recouvre de 1 à 2 mm environ.
Quant à la canine, elle touche le plan d’occlusion et son collet est fortement distalé.
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Dans le plan sagittal (Figure 22)
L’axe des incisives latérales est droit.
Celui des canines est également droit voire lingualé.
Respect du concept de l’occlusion balancée :
Actuellement, le concept de l'occlusion balancée ou intégralement équilibrée est préconisé par la plupart des auteurs de prothèse complète (16).
- En occlusion de relation centrée, les contacts s'établissent uniquement entre les dents postérieures (Fig.23);
- En propulsion, les contacts s'établissent entre les versants cuspidiens des prémolaires et molaires ainsi qu'entre les bords libres des incisives et canines des deux arcades, donnant lieu à des contacts généralisés sur toutes les dents aussi bien postérieures qu’antérieures (fig.24) (16);
- En diduction, les contacts entre les versants cuspidiens vestibulaires et linguaux du côté travaillant sont équilibrés par les contacts entre les versants cuspidiens linguaux maxillaires et vestibulaires mandibulaires du côté équilibrant (fig. 25) avec absence de contacts antérieurs;
Cependant, dans certains cas d'arcades atypiques, l'équilibre minimal recherché lors des mouvements de glissements à vide consiste à assurer au moins trois contacts simultanés non alignés (trépied de Devin).
CONCLUSION
• Le principal objectif est d’établir un guide antérieur fonctionnel en harmonie avec les contrôles physiologiques et anatomiques du système stomatognatique et avec les impératifs esthétiques propres à chaque situation clinique.
• Le guide antérieur en prothèse adjointe complète ne constitue pas à proprement parler un guide, mais représente une trajectoire incisive idéale participant aux mouvements mandibulaires.
• Le schéma occlusal de propulsion idéal en prothèse complète serait une trajectoire rectiligne des incisives mandibulaire menant au bout à bout incisif avec des contacts équilibrants dento-dentaires au niveau des dents cuspidées.
• Le guide antérieur est fixé par le praticien pour établir le degré du recouvrement et du surplomb (24).
• La méthodologie de reconstruction du guide antérieur que nous avons proposé passe par 3 éléments fondamentaux :
- Le montage antérieur selon GYSI
- Le triangle de Slavicek
- L’occlusion balancée.
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