M.J. BELHADJ
Service de l’hygiène bucco-dentaire
Ministère de la Santé - Maroc
RÉSUMÉ
Le présent article est extrait de l’enquête nationale menée par le Ministère de la Santé du 24 mai au 18 juin 1999 et qui avait pour objectifs d’évaluer l'atteinte parodontale, l’état de santé bucco-dentaire de la population et ses attitudes, et pratiques en santé bucco-dentaire.
Mots clés : Atteinte parodontale, santé bucco-dentaire, soins dentaires, enquête, population
Dès la fin des années 80, le Ministère de la Santé avait défini la stratégie de lutte contre les affections bucco-dentaires dans notre pays. Celle-ci s’articulait autour de deux axes nécessaires et complémentaires, à savoir un volet préventif dans lequel l’Information, Education et Communication (IEC) était l’activité de base et un volet curatif orienté vers les soins de santé (dentaire) de base (1).
Dans le cadre de ce premier volet, une action de sensibilisation au niveau des écoles et des camps et colonies de vacances a été menée depuis 1990, avec la diffusion quotidienne de spots du Dr Sninate durant plus de 2 ans. Des équipes de prévention constituées par les médecins et infirmiers d’hygiène scolaire avaient été formées au niveau de 41 provinces et préfectures pour informer et sensibiliser les enfants à l’hygiène bucco-dentaire. Un module avait été introduit dans le cursus de formation de tous les profils de personnel paramédical pour leur formation personnelle et pour profiter de leur rôle de relais dans l’information de la population.
Le volet curatif, quant à lui a été axé sur le développement de l’infrastructure dentaire en vue de disposer d’au moins un équipement dentaire par province ou
préfecture en l’an 2000. Ceci devait contribuer à la prise en charge de la population et améliorer certains indicateurs de santé bucco-dentaire.
La dernière étude remontait à 1991 (2) et avait permis de faire le constat de la situation pratiquement au moment du démarrage du Programme National de Santé Bucco-dentaire.
La présente étude qui s’inscrit dans le cadre de la surveillance régulière de la santé bucco-dentaire, recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé, devait nous permettre de faire le constat de la nouvelle situation, d’apprécier l’évolution des différents indicateurs et de mesurer indirectement l’impact de nos actions.
MATERIELS ET METHODES
Objectifs de l’enquête :
L’objectif général de cette étude était d’évaluer l‘état de santé bucco-dentaire de la population marocaine
Les objectifs spécifiques étaient :
- D’évaluer la prévalence des diverses affections bucco-dentaires, notamment la carie, les parodontopathies et la fluorose
- D’évaluer les connaissances attitudes et pratiques des populations examinées en matière de santé bucco-dentaire
- D’apprécier l’évolution de l’état bucco-dentaire par rapport à 1991.
Méthodologie de l’enquête :
La population :
Dans les enquêtes nationales, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande de s’intéresser à quatre tranches d’âge : 12 ans, 15 ans, 35/44 ans et 65/74 ans (2). Toutefois, compte tenu du budget limité alloué à cette étude, nous n’avons retenu que les trois premières.
Echantillonnage :
- La taille de l’échantillon
Pour atteindre les objectifs décrits antérieurement, nous avons déterminé la taille de l’échantillon en prenant en considération la pathologie qui aurait la prévalence la plus faible (fluorose =10%), pour une précision de 3% et un degré de confiance de 95% et en prenant en considération que notre enquête sera par sondage en grappes (effet de grappe de 2) ; ce qui donne 769, que nous avons arrondi à 800.
Cet échantillon a été réparti en 40 grappes, chacune constituée de 20 enfants de 12 ans, 20 adolescents de 15 ans et 20 adultes de 35-44 ans.
- Le tirage de l’échantillon
Le tirage de l’échantillon est un tirage en grappes à plusieurs degrés.
La grappe étant le quartier en milieu urbain et la localité en milieu rural.
- le premier degré a consisté à distribuer les 40 grappes entre les provinces de manière proportionnelle aux populations de celles-ci.
- le deuxième degré a consisté à tirer les communes de façon aléatoire simple en fonction des grappes retenues dans chaque province
- le troisième degré a consisté à tirer la localité ou le quartier où se déroulera l’enquête
- au niveau de la localité/quartier, on a procédé à un tirage systématique des foyers où seront recrutées les personnes à examiner
- Au niveau de chaque foyer sélectionné, toutes les personnes de 12, 15 et 35/44 ans ont été recrutées, jusqu’à ce que l’on atteigne 20 individus par tranche d’âge.
- Critères d’éligibilité
Sont éligibles tous les individus appartenant aux différentes tranches d’âge retenues (12,15 et 35-44 ans) sensés être présents le jour de l’enquête dans le foyer sélectionné et y résidant.
L’examen sur le terrain :
L’enquête épidémiologique a été menée par 4 équipes composées chacune de 2 chirurgiens-dentistes ayant bénéficié d’une formation et d’un infirmier du secteur où se déroule l’enquête.
L’examen sur le terrain s’est déroulé selon la méthodologie standardisée recommandée par l’OMS (3). L’enquête s’est déroulée du 24 mai au 18 juin 1999.
La collecte et le traitement des données :
Le questionnaire :
Le questionnaire comprend trois parties:
- une relative aux données sociodémographiques
- une relative aux connaissances attitudes et pratiques en santé bucco-dentaire
- une concernant l’état de santé bucco-dentaire.
Les données recueillies dans cette dernière partie ont permis de calculer les indicateurs sanitaires
- la prévalence de l’atteinte parodontale
- Nombre moyen de sextants atteints de parodontopathies (un sextant est un segment d’arcade correspondant au sixième de celles-ci).
L’analyse et l’exploitation des données :
La saisie des données a été faite à l’aide du logiciel EpiInfo.
L’exploitation des données a été faite au niveau du service de médecine bucco-dentaire en collaboration avec le service de la surveillance épidémiologique.
RÉSULTATS
Distribution de l’échantillon : (Tab 1)
A 12 ans et 15 ans, les pourcentages d’individus de sexe masculin sont prédominants, 55,2% et 55,0%, alors que chez les adultes de 35-44 ans, les femmes sont majoritaires.
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Etat parodontal :
Prévalence des affections parodontales : (Graph1, Graph 2, Graph 3)
Comme le montrent les graphiques suivants, les pourcentages d’individus ayant un parodonte totalement sain sont de 37,5% à 12 ans, 28,8% à 15 ans et 9,9% à 35-44 ans.
Etendue des affections parodontales : (Tab 2, Tab 3, Tab 4)
L’étendue parodontale moyenne atteinte par individu est de 2,51 sextants chez les enfants de 12 ans, 3,03 sextants à 15 ans et 3,93 sextants à 35-44 ans.
Chez ces derniers, 0,72 sextant n’est pas pris en compte.
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Prévalence de la perte d’attache:
(Graph 4, Graph 5)
Les prévalences de perte d’attache supérieures ou égales à 4 mm sont de 2,5% à 15 ans et de 14,4% à 35-44 ans ; celles supérieures ou égales à 6 mm sont respectivement de 1,0% et 8,9%.
Etendue des pertes d’attache : (Tab 5, Tab 6)
Les étendues de perte d’attache supérieures ou égales à 4 mm sont de 0,04 sextant à 15 ans et de 0,25 sextant à 35-44 ans. Celles supérieures ou égales à 6 mm sont respectivement de 0,01 sextant 0,13 sextant.
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Besoins en traitements parodontaux : (Tab 7, Tab 8, Tab 9)
Les besoins en instruction d’hygiène concernent 62,5% des enfants de 12 ans, 71,2% des adolescents de 15 ans et 88,9% des adultes de 35-44 ans.
Les besoins en soins prophylactiques sont nécessaires chez 34,1% des enfants de 12 ans, 51,6% des adolescents de 15 ans et 84,2% des adultes de 35-44 ans.
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DISCUSSION
Les pourcentages d’individus ayant un parodonte totalement sain sont de 37,5% à 12 ans, 28,8% à 15 ans et 9,9% à 35-44 ans.
Dans le premier groupe, 28,4% des individus présentent un saignement gingival avec une petite différence entre les milieux urbain et rural mais qui n’est pas statistiquement significative (p=0,307). Ce saignement couvre plus du 1/3 de l’étendue des arcades qui compte six sextants, avec une moyenne par individu légèrement supérieure en milieu urbain qu’en rural, respectivement 2,63 contre 2,40 mais sans différence significative (p=0,226).
34,1% des enfants de 12 ans présentent en plus du tartre, et de manière plus marquée en milieu rural qu’en urbain, respectivement 39,5% contre 28,3%, la différence étant significative (p=0,001). Cette situation peut s’expliquer par un moindre recours aux chirurgiens-dentistes dans le rural, du fait entre autre raison de leur inexistence à ce niveau.
L’étendue moyenne de tartre est de 0,87 sextant, situation sans différence significative entre les deux milieux.
Dans le cas des 15 ans, 19,6% des individus présentent un saignement gingival, lequel est retrouvé un peu plus dans le milieu urbain que dans le rural, respectivement 21,0% contre 18,3%, mais la différence n’est pas significative (p=0,327). L’étendue moyenne couverte par le saignement est d’ailleurs identique dans les deux milieux. Comme pour le groupe plus jeune et probablement pour les mêmes raisons, les 15 ans présentent plus de tartre en milieu rural qu’en urbain, respectivement 44,5% contre 37,0% (p=0,030), mais l’étendue avec du tartre est sensiblement la même pour les adolescents des deux milieux (p=0,769).
A l’âge de 15 ans, on note de plus la présence de poches moyennes chez 8,8% des individus aussi bien en milieu urbain que rural et de poches profondes plus fréquentes en milieu rural qu’urbain, respectivement 2,8% contre 1,5%, mais la différence n’est pas significative (p=0,220) Les étendues avec des poches moyennes sont identiques pour les deux milieux alors que les poches profondes, sont légèrement plus importantes en milieu rural, 0,05 contre 0,03 et la différence n’est pas significative (p=0,506).
La prévalence de perte d’attache parodontale est relativement faible ; elle est de 1,5% pour une perte d’attache de 4-5 mm avec un milieu rural légèrement plus atteint (p=0,020). Elle est de 1,0% pour celle de 6-8 mm, sans différence significative entre les deux milieux (p=0,477)
Les étendues avec une perte d’attache sont faibles, aussi bien pour celle de 4-5mm que celle de 6-8mm.
Chez le groupe adulte, 4,6% ne présentent qu’un saignement gingival, avec une prévalence légèrement plus marquée en milieu urbain qu’en milieu rural, respectivement 5,2% contre 3,8%, mais la différence n’est pas significative (p=0,336). Le saignement couvre près des 2/3 des arcades aussi bien en milieu urbain que rural. 47,7% des individus adultes présentent en plus du tartre, le milieu rural étant sensiblement plus affecté que l’urbain, respectivement 50,6% contre 45,8%, mais la différence n’est pas significative (p=0,184).
L’étendue moyenne présentant du tartre est de 3,31 sextants par individu avec une situation comparable entre les deux milieux. Des poches moyennes et des poches profondes sont présentes chez respectivement 24,9% et 11,6% des individus de 35-44ans ; et, bien que des différences existent entre les milieux urbain et rural, celles-ci ne sont pas significatives statistiquement, du fait probablement que les problèmes parodontaux, dans la plupart des cas, sont “ réglés ” par des extractions, rarement suivies de restaurations prothétiques.
Les étendues présentant des poches moyennes ou profondes sont relativement importantes, respectivement 0,91 sextant et 0,20 sextant sans différences significatives entre les deux milieux (p=0,110) et (p=0,161).
La perte d’attache est relativement fréquente, puisque celle égale ou supérieure à 4 mm touche 14,3% des individus et celle égale ou supérieure à 6 mm est retrouvée chez 8,9% d’entre eux. La perte d’attache supérieure ou égale à 4mm couvre 0,25 sextant.
Le mauvais état parodontal est en relation étroite avec une hygiène bucco-dentaire défectueuse ou inexistante mais elle est sûrement aussi influencée par certaines pratiques néfastes comme le tabagisme ou par certaines pathologies comme le diabète.
Pour l’amélioration de la situation parodontale, la majorité des individus ont besoin d’instruction d’hygiène, respectivement pour 62,5% des 12 ans, 71,2% des 15 ans et 88,9% des 35-44 ans.
La prophylaxie est également nécessaire pour un pourcentage important de ces populations, respectivement 34,1% des 12 ans, 51,6% des 15 ans et 84,2% des 35-44 ans.
COMPARAISON AVEC LA SITUATION DE 1991
Compte tenu des actions qui ont été menées depuis plus de huit ans maintenant, tant sur le plan préventif que curatif, il était légitime de penser que la situation allait connaître une amélioration sensible, ceci d’autant plus que certaines études ponctuelles (2) montraient une amélioration sensible des connaissances des enfants.
Or, lorsqu’on compare les résultats obtenus en 1999 et ceux de 1991, on constate que globalement, l’état parodontal s’est très légèrement détérioré, bien que certaines attitudes ou pratiques se soient sensiblement améliorées.
Pour le parodonte, la détérioration concerne les deux groupes d’âge, aussi bien en ce qui concerne la prévalence que le nombre moyen de sextants atteints, respectivement 62,5% contre 52,5% et 1,55 contre 2,51 à 12 ans et 88,9% contre 83,1% et 3,93 contre 3,41 à 35-44 ans.
La détérioration de la santé bucco-dentaire ne semble pas être l’exclusivité du Maroc puisque le rapport de l’atelier inter-pays (5), signale une dégradation générale au niveau des pays en voie de développement dont ceux de la région EMRO.
Dans le cas du Maroc, cette détérioration est liée à de nombreux facteurs :
- des attitudes et pratiques nocives pour la santé bucco-dentaire,
- la santé dentaire n’est pas perçue comme une priorité par la population,
- le coût relativement élevé des produits d’hygiène dentaire pour certaines tranches de la population,
- une inaccessibilité aux soins dentaires pour la très grande majorité de la population,
- l’inexistence en milieu rural de structures de prise en charge de la population, tant publiques que privées,
- l’absence de couverture sociale de la très grande majorité des familles.
CONCLUSION
Compte tenu de ces nombreuses contraintes, pour améliorer la situation sanitaire, il faudrait tout en agissant progressivement sur celle-ci, renforcer les efforts consentis depuis bientôt une décennie, les élargir à d’autres groupes cibles (préscolaire et femmes enceintes notamment).
Une plus grande implication des autres partenaires, particulièrement celle du Ministère de l’Education nationale pour les aspects information et éducation et celle privilégiée du secteur dentaire privé, pour la partie prise en charge des groupes cibles, doivent permettre à nos concitoyens de jouir d’un état bucco-dentaire satisfaisant à l’aube du XXIème siècle.
BIBLIOGRAPHIE
1- MINISTERE DE LA SANTE
Programme national de santé bucco-dentaire, 1990
2- MINISTERE DE LA SANTE
Bulletin épidémiologique n°13, 1994
3- ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE
Enquêtes en santé bucco-dentaire, Méthodes fondamentales, 4ème édition, 1998
4- MINISTERE DE LA SANTE
Bulletin épidémiologique n°33, 1998
5- WORLD HEALTH ORGANIZATION
Report of The intercountry workshop on planning community-based preventive oral health programmes for children., 1999.