L. TOUFIKI*, S. CHBICHEB*, L. ABDELLAOUI**, W. EL WADY*

* Service d’Odontologie Chirurgicale
** Service de Parodontologie
 Faculté de Médecine Dentaire, Rabat  Maroc
Université Hassan II

 

RÉSUMÉ

Les tumeurs brunes des maxillaires sont des manifestations osseuses classiques des hyperparathyroïdies. Elles surviennent habituellement lors des formes sévères accompagnées de signes de résorption osseuse souspériostée. Le diagnostic repose sur l’association des signes cliniques, radiologiques et biologiques. Le traitement est celui de la cause.

 

Cet article décrit un cas de tumeur brune touchant les deux maxillaires et révélant la présence d’un adénome parathyroïdien dont l’exérèse a entraîné  la régression de la tumeur.

Mots clés : Tumeur à cellules géantes, tumeur brune, maxillaire, hyperparathyroïdie primitive.

 

INTRODUCTION

L’hyperparathyroïdie est une affection endocrinienne fréquente se caractérisant par une hypersécrétion de la parathormone. On distingue l’hyperparathyroïdie primaire, secondaire et tertiaire (1).
Une évolution particulière de l’hyperparathyroïdie est la survenue d’une tumeur brune. Il s’agit d’une lésion expansive ostéolytique touchant surtout la mandibule, les côtes, le bassin et le fémur (2).

 

Au niveau maxillo-facial, elle se présente sous des aspects communs à d’autres  tumeurs et pseudotumeurs des maxillaires : tuméfaction avec ou sans mobilité dentaire, de consistance variable et s’accompagnant ou non de douleurs (1). Radiologiquement, l’aspect n’est pas caractéristique, il s’agit d’une lésion intra osseuse bien définie ou au contraire expansive et soufflant l’une des corticales. L’aspect histologique est non spécifique et identique à celui des autres lésions à cellules géantes (tumeur à cellules géantes et le granulome central à cellules géantes …) (3).

 

Devant la non spécificité des signes cliniques, radiologiques et histologiques, seule la coexistence de lésions ostéolytiques multiples et de l’hyperparathyroïdie permet de conclure au diagnostic de la tumeur brune. Le traitement est celui de la cause qui seul améliore le pronostic (4).


Cet article décrit un cas de tumeur brune touchant à la fois la mandibule et le maxillaire et révélant,  après un ensemble de bilans, la présence d’un adénome parathyroïdien dont l’exérèse a entrainé la régression de la tumeur. D’où l’importance d’investiguer les patients ayant un diagnostic de lésion à cellules géantes pour une hyperparathyroïdie.

 

OBSERVATION

Mlle R.A. âgée de 26 ans, en bon état de santé général, opérée dans le service d’ORL hôpital de spécialités de Rabat il y a  2 ans pour une tuméfaction symphysaire gauche et jugale droite et réopérée dans le même service il y a un an pour la même symptomatologie, s’est présentée en consultation après récidive des deux tuméfactions.

 

 

Fig.2 : Vue de  face montrant la présence d’une tuméfaction jugale droite volumineuse à l’origine d’une asymétrie faciale.
 

L’acte chirurgical a consisté en une énucléation de la masse avec curetage appuyé.
L’examen histopathologique de la pièce opératoire a été en faveur d’un granulome central à cellules géantes. L’évolution postopératoire a été marquée par la récidive de la tuméfaction 2 mois après l’intervention.


L’examen maxillo-facial a montré la présence d’une tuméfaction jugale droite volumineuse sans signes inflammatoire en regard, à l’origine d’une asymétrie du visage. Cette tuméfaction  s’étend de la projection du rebord alvéolaire jusqu’au sillon naso-génien droit, latéralement elle s’étend des plis naso-jugal à la région masseterine. Elle est recouverte d’une peau saine, légèrement tendue et ne s’accompagnant ni d’obstruction nasale homolatérale ni de limitation des mouvements oculaires ni d’hypoesthésie (Fig.1, 2).


Fig.3 : Vue endobuccal  montrant une tuméfaction parasymphysaire gauche avec comblement vestibulaire inférieur gauche.A la palpation, cette tuméfaction est indolore, dure, adhérente au plan profond et mobile par rapport à la peau. Elle mesure 4cm de grand axe, sa surface est polylobée.

 

L’examen endobuccal a montré la présence d’une tuméfaction parasymphysaire gauche avec comblement vestibulaire inférieur gauche et extension vers le plancher antérolatéral gauche.
A la palpation  cette tuméfaction est dure, indolore et recouverte d’une muqueuse d’aspect normal.
On a noté également l’absence de la 31 et de la 32, une mobilité 2 de la 33 et une mobilité 3 de la 34 avec conservation de la vitalité pulpaire de ces deux dents. Le maxillaire supérieur était sans particularité (Fig.3).

Fig.4 : incidence blondeau objectivant une opacité du sinus maxillaire droit.Le bilan radiologique a compris une radiographie panoramique et une incidence Blondeau. Cette dernière a objectivé la présence d’une opacité se projetant sur l’aire maxillaire et un épaississement du sinus maxillaire droit (Fig.4). La radio panoramique a montré la présence d’une lacune osseuse mandibulaire (formation kystique) bien limitée à contours polylobés s’étendant de la 42 à la 34 (Fig.5).

 
L’examen tomodensitométrique, réalisé en fenêtre osseuse et parenchymateuse  a montré la présence d’un processus lésionnel expansif lytique centré sur le sinus maxillaire droit. Ce processus, entraînant une soufflure des parois postérieure et latérale du sinus maxillaire homolatéral, intéresse également l’os malaire. En arrière, et latéralement, ce processus comble la fosse pterygo-maxillaire. En haut, il s’étend au plancher de l’orbite sans extension endoorbitaire (Fig.6 et fig.7).
 
Fig.5 : Radio panoramique montrant une lacune osseuse mandibulaire bien limitée.
 
Fig.6 : TDM maxillaire en coupe coronale, tumeur ostéolytique au niveau du sinus maxillaire droit et de l’os maxillaire droit. Fig.7 : TDM mandibulaire en coupe axiale: masse au niveau de la région symphysaire et parasymphysaire.

 

A l’issue de l’examen clinique, radiologique et histologique, et devant  la récidive de la lésion,  le diagnostic de tumeur brune a été évoqué. Ainsi la présence d’une hyperparathyroidie a été recherchée.
Le dosage de PTH a objectivé une valeur très élevée de 423 pg/ml (valeur normale 9- 55 pg/ml). Une échographie cervicale a été réalisée et a révélé un adénome parathyroïdien de 2 cm de diamètre, ce qui a confirmé le diagnostic de tumeur brune secondaire à une hyperparathyroïdie primitive et a permis d’éliminer un granulome central à cellules géantes. Le dosage du calcium était de 168mg/l  (valeur normale 88- 102 mg/l), et du phosphore était de 19mg/l (27-45mg/l).

 

Un bilan radiologique comprenant des radiographies de la grille costale, du tibia, du péroné et de la main a exclu  des localisations autres que maxillaire. L’échographie abdominale était normale.
L’attitude thérapeutique a consisté en l’ablation de l’adénome parathyroïdien et la surveillance du taux de parathormone et de la tuméfaction  maxillaire.
Deux mois plus tard, nous avons assisté à un retour à la normale des taux de PTH et une réduction notable de la tumeur. La patiente est toujours sous surveillance (Fig.8, Fig.9).



Fig.8 : Vue endobuccale 2 mois après l’intervention : réduction de la masse de la tuméfaction parasymphysaire gauche.  
Fig.9 : Vue deux  mois après l’intervention : noter la réduction de la tuméfaction jugale droite.  

 

COMMENTAIRES

La tumeur  brune est une tumeur osseuse bénigne localisée qui complique l’hyperparathyroïdie. Cette dernière, caractérisée par une sécrétion excessive de la parathormone, peut avoir trois origines (1,5):
-
Primitive (HPTP) : due à l’hyperplasie bénigne ou maligne d’une ou plusieurs glandes parathyroïdes ;
-
Secondaire (HPTS) : quand les glandes parathyroïdes sont stimulées dans le but de corriger une calcémie basse secondaire à des conditions physiologiques ou pathologiques ;
-
Tertiaire (HPTT) : quand une hyperparathyroïdie secondaire évoluant depuis un certain temps devient autonome quelquefois en dépit de la correction du stimulateur sous-jacent.

 

Au niveau du squelette, l’excès d’hormone parathyroïdienne peut amener à une ostéite fibro-kystique, qui est un processus de résorption diffus de l’os dû à un déséquilibre entre l’activité ostoéblastique et ostéoclastique. (3).
Les tumeurs brunes sont plus communément associées à une (HPTP), mais elles sont rapportées de façon moins fréquente chez des patients présentant des hyperparathyroïdies secondaires et tertiaires (3).

 

La topographie peut être mono- ou polystatique ; les localisations les plus fréquentes sont la mandibule, le bassin, les côtes, le fémur et les mains (6).
Cliniquement, les tumeurs brunes des maxillaires sont révélées par une tuméfaction osseuse et / ou des douleurs (7). La tumeur est de consistance ferme, kystique et solide par endroit, parfois volumineuse avec déformation faciale importante et fracture pathologique  particulièrement au maxillaire (8). La mobilité des dents en regard de la tumeur est fréquente (4).

 

Radiologiquement, il s’agit de lésions lytiques, à contours géographiques, généralement bien limitées, sans sclérose, excentrées ou corticales, avec parfois amincissement, soufflement, rupture de la corticale. Le scanner révèle une masse de densité tissulaire, prenant le produit de contraste, mais qui n’envahit pas les tissus mous et aucune réaction périostée n’est remarquée (9,3).


Les lésions osseuses extra-faciales sont recherchées par le bilan radiologique du squelette et par la scintigraphie osseuse au Technétium (4).
L’imagerie cervicale (échographie, tomodensitométrie et images par résonance magnétique) est d’un grand apport dans la découverte de la lésion parathyroïdienne en cause et constitue un complément essentiel au diagnostic (5).

 

L’examen histologique montre une lésion bien délimitée, caractérisée par la présence d’un grand nombre de cellules géantes multinuclées ostéoclastiques  associées à des cellules mononuclées non spécifiques, séparées par un tissu fibreux (10,11). On observe aussi des plages hémorragiques récentes et anciennes (10).
L’ensemble  de ces signes cliniques, radiologiques et histologiques restent insuffisants pour aboutir au diagnostic positif des tumeurs brunes, seule la coexistence de lésions ostéolytiques multiples et des taux élevés de la parathormone  permet de conclure au diagnostic de la tumeur brune (4).

 

Le principal diagnostic différentiel des tumeurs brunes est constitué par les tumeurs à cellules géantes. Ces dernières sont des tumeurs hypervascularisées, de siège métaphysoépiphysaire, localisées à l’extrémité des os longs, sur le bassin, le sacrum, les vertèbres et dont l’aspect radiologique et surtout histologique peut être parfaitement semblable à celui des tumeurs brunes. Ainsi, seul le taux de la parathormone permet de faire la distinction entre ces deux types de tumeurs. Or il est indispensable de faire le bon diagnostic, car les tumeurs à cellules géantes ont un potentiel de transformation maligne et exposent à des métastases pulmonaires, nécessitant donc un traitement chirurgical.  Les autres diagnostics différentiels comprennent des métastases osseuses en cas de localisations multiples, les géodes amyloïdes, les chondromes solitaires, les lésions bénignes fibro-osseuses (fibrome ossifiant, dysplasie fibreuse) et les sarcomes ostéogéniques (10,11,12).

 

L’attitude thérapeutique dépend de l’évolution des paramètres biochimiques après extirpation de la tumeur parathyroïdienne. Habituellement, les tumeurs brunes régressent spontanément, complètement ou partiellement (13). Le traitement chirurgical de la tumeur brune n’est indiquée que devant une augmentation anormale du volume tumoral  ou une régression trop lente ou face à des lésions larges, symptomatiques, aboutissant à des troubles fonctionnels (4).
Lorsque l’indication est posée le traitement consiste en un curetage appuyé de la lésion associé ou non à un comblement avec de l’os spongieux (10).

 

CONCLUSION

Toute lésion lacunaire au niveau des maxillaires doit  évoquer le diagnostic d’une tumeur brune, et doit  faire rechercher systématiquement une hyperparathyroïdie. Le diagnostic préalable permet d’éviter  d’intervenir sur des lésions qui régressent après retour à la normale des taux de la parathormone. D’où le rôle important que peut jouer le chirurgien dentiste dans le diagnostic précoce des hyperparathyroïdies souvent asymptomatiques.


BIBLIOGRAPHIE

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