I. DAHABI, H CHHOUL
Service de Pédodontie-Prévention, CCTD
Faculté de Médecine Dentaire de Rabat - Maroc
Université Mohammed V
RÉSUMÉ
La carie dentaire est une maladie infectieuse entraînant la dissolution et la destruction localisée des tissus calcifiés. Bien qu’elle soit le 3e fléau mondial, elle n’amène le patient à consulter que lorsqu’elle génère une douleur ou un aspect inesthétique.
Par ailleurs, à défaut de ressources en eau et en électricité dans certaines régions, la réalisation des soins carieux n’est pas toujours possible, puisqu’ils nécessitent le recours à des instruments rotatifs. De ce fait, l’Organisation Mondiale de la Santé promeut activement les thérapeutiques non conventionnelles, en particulier le Traitement Atraumatique Restaurateur, dont le protocole opératoire ne nécessite qu’une instrumentation manuelle, sans recours à l’anesthésie, suivi d’une restauration par un matériau bioactif.
Le succès de ce traitement a abouti à élargir son champ d’indications, qui n’est plus limité aux populations sans accès aux soins bucco-dentaires, mais concerne également les patients très jeunes, à profil anxieux, ou non coopérants.
L’objectif de cette revue est de mettre le point sur l’état actuel de connaissances sur le traitement atraumatique restaurateur en l’illustrant par un cas clinique, ainsi que sur les techniques similaire et dérivées.
Mots-clés : Traitement atraumatique restaurateur - Lésion carieuse.
INTRODUCTION
La carie dentaire est une maladie microbiologique infectieuse multifactorielle, entraînant la dissolution et la destruction localisée des tissus calcifiés. Classée comme étant la pathologie orale la plus commune au monde (1), elle n’est souvent traitée que tardivement, lorsque la douleur ou l’esthétique obligent le patient à consulter (2).
De ce fait, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) encourage (3) de plus en plus les thérapeutiques non conventionnelles, en particulier l’ART (Atraumatic Restorative Treatment – Traitement Atraumatique Restaurateur), dont le protocole opératoire nécessite une instrumentation manuelle sans recours à l’anesthésie et un matériau de restauration bioactif (4,5).
L’objectif de cette revue de littérature est de mettre le point sur l’état actuel de connaissances de l’ART, en illustrant le protocole opératoire par un cas clinique pris en charge au service de Pédodontie-Prévention du Centre de Consultation et de Traitements Dentaires de Rabat, Maroc.
I- CONTEXTE HISTORIQUE
Avant les années quatre-vingts, l’extraction dentaire était la thérapeutique la plus adoptée face aux dents cariées dans plusieurs pays. En 1980, Jo FRENCKEN a mené une étude en Tanzanie, où les lésions carieuses cavitaires ont été excavées manuellement, puis restaurées avec du ciment polycarboxylate. Le suivi post-opératoire n’a révélé aucun signe de complication pulpaire et les dents traitées sont restées parfaitement fonctionnelles (6).
Nombreuses études ont ensuite été entreprises pour appuyer cette étude pionnière, aboutissant à l’approbation de cette technique en 1994 par l’OMS et par la FDI (Fédération Dentaire Internationale) en 2002 (7).
II- DÉFINITION, INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS DE L’ART
DÉFINITION :
L’ART est une technique minimalement invasive, ayant recours à une instrumentation uniquement manuelle, qui consiste en l’excavation de la dentine infectée, sans anesthésie locale, suivie d’une restauration par un matériau bioactif et adhésif.
Elle permet le relargage du fluor par le ciment verre ionomère, ce qui prévient le développement des lésions carieuses secondaires et contribue en même temps à la reminéralisation de la dentine affectée (6,8).
INDICATIONS DE L’ART :
Depuis l’officialisation de cette technique, son éventail d’indications n’a cessé de s’élargir, il se décline en :
• INDICATIONS RELATIVES AU PATIENT (9-12) :
- Enfant en bas âge afin de l’intégrer et le familiariser avec le contexte de soins bucco-dentaires ;
- Patients non coopérants ou présentant un profil anxieux ;
- Patients présentant un retard mental ou psychomoteur ;
- Personnes âgées vivant dans des maisons de retraite ou chez elles ;
- Traitement intermédiaire pour diminuer le risque carieux individuel élevé.
• INDICATIONS RELATIVES A LA DENT (9,13):
- Technique de choix pour les lésions carieuses monofaces en dentures temporaire et permanente.
CONTRE-INDICATIONS DE L’ART (10,14)
- Dent présentant une inflammation pulpaire irréversible ;
- Exposition pulpaire après nettoyage du tissu carieux ;
- Présence d’une lésion carieuse évidente mais inaccessible à l’instrumentation manuelle ;
- Présence d’une lésion carieuse délabrante, non restaurable en technique directe (4-7).
III- PROTOCOLE OPÉRATOIRE
MATÉRIEL ET MATÉRIAUX (8,9) :
o Plateau : Miroir – Précelle - Sonde - Excavateurs de différentes tailles – Plaque - Spatule à bouche - Spatule à ciment - Brunissoir - Applicateur.
o Vaseline - Rouleaux de coton - Conditionneur de dentine - Ciment verre ionomère - Papier à articuler.
A noter qu’il existe également un « Kit Spécial ART » conçu par certaines firmes, où les instruments sont numérotés selon l’ordre d’utilisation de la technique.
DESCRIPTION DES ÉTAPES DE LA TECHNIQUE (8,9,15-17) :
1- Isolation et nettoyage de la cavité (Fig. 1) :
- Isolation de la dent avec des rouleaux de coton.
- La cavité est nettoyée puis asséchée avec des boulettes de coton.
Fig. 1 : Lésion carieuse classe I sur la 54.
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Fig. 2 et 3 : Lésion carieuse nettoyée avec un excavateur de taille adaptée à l’ouverture de la cavité.
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2- Excavation de la carie (Fig. 2,3) :
- Curetage de la dentine ramollie/infectée de la périphérie vers le centre, avec un excavateur de taille appropriée ;
- La cavité est nettoyée avec des boulettes de coton humides afin d’apprécier l’étendue de la lésion ;
- L’émail non soutenu n’est éliminé que s’il est jugé très mince. Son excision se fait de manière douce et progressive ;
- Si la cavité s’avère très profonde, l’application ponctuelle d’un fond de cavité est nécessaire.
Fig. 4 : Mise en place du CVI dans la cavité.
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Fig. 5 : Pression digitale avec doigt ganté vaseliné laissant échapper les excès.
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Fig. 6 : Application du vernis de protection du CVI.
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Fig. 7 : Aspect final de l’obturation.
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Fig. 1-7 : Protocole opératoire de la réalisation de l’ART avec un ciment verre ionomère de haute viscosité.
3- Restauration de la cavité (Fig. 4-7) :
- Conditionnement de la dentine : élimination de la boue dentinaire produite lors de la préparation cavitaire, avec un conditionneur dentinaire, pendant 10 à 15 secondes ;
- Nettoyage et séchage de la cavité avec des boulettes de coton ;
- Le ciment verre-ionomère préparé doit être foulé dans la cavité, en commençant par son compactage sous les surplombs amélaires ;
- Une pression digitale ferme est réalisée par l’index ganté et vaseliné, tout en veillant à répartir le matériau sur la totalité de la surface ;
- Avant le durcissement du matériau, les excès sont éliminés et l’occlusion est vérifiée ;
- Protection de la restauration par du vernis de protection ou à défaut par de la vaseline ;
- Les rouleaux de coton sont retirés et le patient est avisé de ne pas boire ni manger pendant au moins 1 heure.
4- Évolution (Fig. 8-13) :
Le traitement est évalué lors des séances de contrôle à 3 mois, puis tous les 6 mois jusqu’à exfoliation de la dent, où des critères cliniques et radiographiques sont recherchés :
- En cas de succès de la thérapeutique : absence de toute symptomatologie clinique (douleur, tuméfaction, abcès, parulie) ou radiographique (élargissement desmodontal, atteinte de furcation, résorption pathologique interne ou externe) de complication pulpaire ou pulpo-parodontale.
- En cas d’échec de la thérapeutique : apparition de signes cliniques et/ou radiographiques de complication pulpaire ou pulpo-parodontale qui n’existaient pas auparavant.
Fig.8 : |
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Fig.9 : |
Fig.10 : |
Fig. 8-10: Radiographies postopératoires de la mise en place du CVI selon la technique de l’ART sur les 54, 75 et 85.
Fig.11 .
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Fig.12 : |
Fig.13 : |
Fig. 11-13: Radiographies de contrôle à 18 mois montrant une évolution favorable des dents traitées sans présence de récidive ou de complications pulpo-parodontales.
IV- TECHNIQUE SIMILAIRE À L’ART ET TECHNIQUES DÉRIVÉES
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Spécificités de la technique |
Avantages |
Remarques / Inconvénients |
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TECHNIQUE SIMILAIRE |
Interim Therapeutic Restorations –ITR |
L’ART et l’ITR sont des approches de préparation cavitaire similaires, aussi bien en denture temporaire que permanente, utilisant la même instrumentation. La différence réside dans la restauration au ciment verre ionomère qui doit être remplacée au bout de 6 mois pour l’ITR (19-21). |
Mêmes avantages que l’ART. |
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TECHNIQUES DÉRIVÉES |
Traitement Atraumatique Restaurateur Modifié (Modified Atraumatic Restorative Treatment –ARTm) |
Consiste en l’élimination de l’émail non soutenu par l’instrumentation rotative. L’ARTm prévoit également l'élimination du tissu dentinaire affecté, exclusivement avec des instruments manuels, suivant le même protocole opératoire (22,23). |
Plus rapide, ce qui permet d’épargner la fatigue manuelle du praticien (24). |
Jo FRENCKEN considère que cette technique ne peut être qualifiée ni de traitement atraumatique restaurateur, ni de traitement atraumatique restaurateur modifié (25). |
Traitement Atraumatique Restaurateur modifié par adjonction de diamine fluorure d’argent |
Sa spécificité est liée à l’utilisation du diamine fluorure d’argent comme fond de cavité, suivie d’une restauration au ciment verre ionomère classique ou d’un scellement dans la même séance (26). |
Grâce à l’association du ciment verre ionomère et du diamine fluorure d’argent, les effets antibactérien et reminéralisant sont potentialisés (26). |
Coloration des tissus dentaires due aux particules d’argent (27). |
CONCLUSION
L’ART n’est pas un compromis thérapeutique, mais une approche biologique et une alternative idéale pour les patients ayant des difficultés pour bénéficier ou accéder aux soins bucco-dentaires. Ce traitement est adopté non seulement pour l’absence de douleur peropératoire, mais également, en raison de sa destruction minimale des tissus dentaires et de son faible coût.
Par ailleurs, compte tenu du contexte pandémique actuel, les recommandations sont portées vers les approches thérapeutiques générant le moins d’aérosols, ce qui confère désormais à l’ART toute sa place parmi les thérapeutiques alternatives des lésions carieuses.
BIBLIOGRAPHIES
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