I. CHERNI, H. HENTATI, A. SLIM, A. BOUGUEZZI, A. CHOKRI, J. SELMI

Service de Médecine et Chirurgie Buccales,
Clinique Universitaire de Médecine Dentaire de Monastir, Tunisie
Laboratoire de Recherche « santé orale et réhabilitation bucco-faciale » LR12ES11,
Faculté de Médecine Dentaire de Monastir, Université de Monastir, Tunisie

 

RÉSUMÉ 

Introduction : La sialométaplasie nécrosante est une pathologie salivaire rare caractérisée par la nécrose du parenchyme salivaire suite à une métaplasie malpighienne des canaux excréteurs. D’étiologie non précise, elle touche surtout les glandes salivaires accessoires.

 

Observation : Une femme âgée de 65 ans diabétique, dyslipidémique, hypertendue ayant   bénéficié d’une angioplastie avec pose de stents 4 ans avant la date de consultation. Le motif de cette dernière était une ulcération palatine douloureuse évoluant depuis une semaine. Une biopsie a été réalisée et l’examen histopathologique a confirmé le diagnostic de sialométapasie nécrosante.

 

Conclusion : La sialométaplasie nécrosante est d’aspect trompeur. Elle doit être bien connue et évoquée comme diagnostic initial vu qu’elle peut mimer cliniquement et même histologiquement des lésions malignes pouvant engendrer des résections et des traitements abusifs.

 

Mots clés : Glande salivaire, nécrose, sialométaplasie, ulcération, palais

 

INTRODUCTION

La sialométaplasie nécrosante a été décrite pour la première fois en 1973 par Abrams et coll (1). Elle se révèle le plus souvent par une ulcération douloureuse ou non. Il s’agit d’une pathologie inflammatoire des glandes salivaires touchant essentiellement les glandes salivaires accessoires notamment celles du palais. Elle se caractérise par une métaplasie malpighienne des canaux excréteurs associée à une nécrose du parenchyme salivaire.

 

Cette lésion est rare, souvent méconnue avec un aspect clinique trompeur très proche de celui de certaines lésions malignes ce qui pourrait engendrer un traitement erroné.

Ce travail vise à bien clarifier le tableau clinique et histopathologique de la sialométaplasie nécrosante tout en proposant le traitement adéquat.

 

OBSERVATION

Une patiente âgée de 65 ans hypertendue, diabétique, dyslipidémique et avec antécédent d’angioplastie faite 4 ans avant la date de consultation. Le motif de cette dernière était une ulcération palatine douloureuse évoluant depuis une semaine.

 

A l’anamnèse aucune agression mécanique ou chimique n’a été rapportée. La patiente a déclaré la prise d’une automédication par des Antibiotiques à base d’amoxcilline, acide clavulanique (Augmentin®) et métronidazole (Flagyl®) depuis deux jours.

 

La palpation des aires ganglionnaires cervicales n’a pas retrouvé d’adénopathies.

L’examen endobuccal a montré une ulcération unique, à fond nécrotique, entourée d’un halo érythémateux, d’environ deux centimètres de grand axe, à localisation palatine antérieure gauche, respectant le raphé médian (Fig 1). Les dents résiduelles étaient indemnes de carie.

 

Vue endobuccale : une ulcération palatine. Mordu occlusal : absence de lyse osseuse sous-jacente.

 


Une numération de la formule sanguine demandée était normale.L’examen radiologique (mordu occlusal) n’a pas montré de lyse osseuse sous-jacente (Fig 2).

 

Devant les données de l’examen clinique, radiologique et biologique, la sialométaplasie nécrosante ou une infection spécifique comme la tuberculose ou la syphilis ont été évoquées.

 

Une biopsie a été réalisée. L’examen histopathologique a conclu à une sialométaplasie nécrosante du palais.

Un gel cicatrisant contenant l’acide hyaluronique et un antiseptique local à base de chlorhexidine sous forme de spray ont été prescrits.

 

Des contrôles réguliers ont été assurés : La réépithélialisation du fond de la lésion avec diminution de son étendue ont été notés après une semaine (Fig 3). La cicatrisation complète a été obtenue au bout de six semaines (Fig 4).

 

Contrôle après une semaine : diminution de l’étendue de la lésion. Contrôle après six semaines : cicatrisation complète.
 


COMMENTAIRES
 

La sialométaplasie nécrosante est une lésion rare, sa prévalence est de 0,03% des biopsies des muqueuses buccales (2). Elle intéresse principalement les glandes salivaires accessoires et particulièrement celles du palais (79% des cas) (3).

 

Elle peut aussi toucher les glandes salivaires principales comme la parotide et la glande sublinguale (2,3,4).

 

D’autres localisations plus rares au niveau de la région de la face et la nuque comme les cavités nasales, les sinus maxillaires, le larynx et la trachée restent possible (4).

 

Cette pathologie se voit souvent à un âge adulte moyen de 46 ans, avec un sexe ratio (H/F) de 1,3 (3).

L’étiologie exacte n’est pas bien définie, plusieurs hypothèses ont été évoquées surtout celle de l’ischémie locale : une agression mécanique (traumatisme) ou chimique (tabac, alcool...) est responsable de la nécrose des lobules salivaires par ischémie et une métaplasie épidermoïde se met en place comme tentative de réparation spontanée (3,4,5).

 

Comme c’était dans le cas rapporté, les troubles vasculaires tels que l’hypertension artérielle, l’athérosclérose et la maladie de Buerger favorisent la survenue de la sialométaplasie nécrosante (3).

 

Les antécédents de soins dentaires et d’anesthésie locale ont été souvent évoqués par les patients présentant une sialométaplasie nécrosante (6).

 

D’autres théories moins élucidées ont été citées dans la littérature telle que la théorie carentielle qui incrimine la carence en vitamine A dans la métaplasie malpighienne des canaux, la théorie infectieuse vue l’existence fréquente d’une infection otorhinolaryngologique récente chez les patients présentant une sialométaplasie nécrosante. La notion d’allergie a été également évoquée vue l’identification des polynucléaires éosinophiles à l’examen histopathologique (3).

 

En 1982, Annerdh et Hansen ont décrit cinq stades d’évolution de la sialométaplasie nécrosante : l’infraction, la séquestration, l’ulcération, la réparation et la cicatrisation (6).

 

Dans 19% des cas, la sialométaplasie nécrosante peut avoir une expression incomplète ; elle apparait sous la forme d’une tuméfaction érythémateuse qui évolue vers la guérison sans passer par le stade d’ulcération (3).

 

La majorité des cas sont mis en évidence au stade d’ulcération, comme le cas rapporté, le plus souvent il s’agit d’une ulcération unique, unilatérale, profonde, en forme de cratère à fond nécrotique, entourée d’un halo érythémateux, de 1 à 2 centimètres de grand axe, douloureuse ou non avec parfois des troubles de sensibilité associés telles que l’hypoesthésie, la paresthésie voire l’anesthésie (2,3,7).

 

Le respect du raphé médian qui est dépourvu du tissu glandulaire est un élément de diagnostic important qui nous oriente vers le diagnostic de sialométaplasie nécrosante du palais. L’extension vers le raphé médian est seulement le résultat d’évolution d’une lésion unilatérale de grande taille ou la coalescence entre deux lésions bilatérales (5,7).

 

D’autres diagnostics étiologiques sont à écarter devant une ulcération palatine comme l’ulcération d’origine traumatique, les tumeurs des glandes salivaires accessoires, une infection spécifique comme la syphilis et la tuberculose (3).

 

Une tuméfaction palatine prête confusion avec l’abcès sous périosté suite à une nécrose dentaire, les tumeurs des glandes salivaires accessoires comme l’adénome pléomorphe et le carcinome mucoépidermoïde, le sarcome, le lymphome non hodgkinien, une gomme syphilitique ou tuberculeuse… (3,4) 

 

Sur le plan histologique, cinq critères décrits par Abrams et coll. doivent être mis en évidence pour confirmer le diagnostic de sialométaplasie nécrosante dont la nécrose de certains lobules des glandes salivaires accessoires, une métaplasie épidermoïde de certains acini et canaux excréteurs dans d’autres lobules, la présence de mucus  et d’infiltrat inflammatoire dans le tissu conjonctif interstitiel tout en respectant l’architecture lobulaire de la glande et avec des critères cytonucléaires de bénignité (1).

 

Il est recommandé de réaliser une biopsie large et profonde permettant d’identifier les différents critères de diagnostic histologique afin d’éviter le risque de confusion avec une lésion maligne ; les plages de métaplasie malpighienne peuvent paraitre en continuité avec les crêtes épithéliales ce qui prête à confusion avec un carcinome épidermoïde ou un carcinome muco-épidermoïde à cause des cellules caliciformes métaplasiques (2,5).

 

Le traitement consiste à motiver le patient à l’hygiène bucco-dentaire afin d’éviter une éventuelle surinfection, la prescription d’antalgique et d’antiseptique, la détersion et l’élimination des débris nécrotiques et un suivi régulier jusqu’à cicatrisation complète qui peut prendre entre trois semaines et trois mois (2,4).

 

 BIBLIOGRAPHIE

  1. Abrams AM, Melrose RJ, Howell FV. Necrotizing sialometaplasia. A disease simulating malignancy, Cancer 1973, 32:130-5.

  2. Guenane Y, Djilani A, Saari B. Sialométaplasie nécrosante: à propos d’un cas, Med Buccale Chir Buccale 2014, 20:263-267.

  3. Aubies-Trouilh S, Fricain J-C. La sialométaplasie nécrosante: revue systématique de la littérature, Med Buccale Chir Buccale 2012, 18:347-59.

  4. Ledesma-Montes C, Garzés-Ortiz M,Salcido-García JF, Hernández-Flores F. C Review of the literature on necrotizing sialometaplasia and case presentation, Quintessence Int2015, 46(1):67-72.

  5. Stühmer, H Essig, H Feist, KH Bormann, NC Gellrich, M Rucker. La sialométaplasie nécrosante: diagnostic d’une affection rare, Rev Mens Suisse Odontostomatol 2008, 118:637-640.

  6. Anneroth G, Hansen LS. Necrotizing sialometaplasia. The relationship of its pathogenesis to its clinical characteristics, Int J Oral Surg 1982, 11:283-91.

  7. Brannon RB, Fowler CB, Hartman KS. Necrotizing sialometaplasia. A clinicopathologic study of sixty-nine cases and review of the literature, Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1991, 72:317-25.

 

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