Y. CHEIKH, S. BELLEMKHANNATE
Service de Prothèse Adjointe.
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca

Université Hassan II


RÉSUMÉ

En prothèse totale, l'équilibration occlusale effectuée sur articulateur, constitue une étape indispensable dans la finalisation d'une occlusion précise et adaptée à la biomécanique et à la fonction manducatrice de chaque patient.
Il s’agit de l’ensemble des moyens techniques mis en œuvre pour assurer aux prothèses déjà polymérisées une occlusion et un articulé satisfaisants.

 

L'équilibration occlusale des prothèses totales (dentier) répond à un protocole parfaitement défini. Bien menée, elle participe de façon majeure à la stabilisation prothétique et à la préservation de l’intégrité de l’appareil manducateur, et ce grâce à la répartition harmonieuse et l’orientation judicieuse  des charges occluso-fonctionnelles.
Mots clés : Stabilité, prothèse totale, équilibration occlusale, articulateur.

 

INTRODUCTION

Lors du traitement de l’édenté complet, l’une des préoccupations majeures du praticien est la stabilité de la future prothèse; où l'équilibration occlusale joue un rôle fondamental (1).
Or, les prothèses amovibles ne présentent jamais, au sortir du moufle, une occlusion parfaite, car tout au long de leur polymérisation, des erreurs, en général limitées mais cumulatives, ont altéré la précision des contacts occlusaux (2,3).

 

Au-delà d'une simple technique de corrections sélectives, l'équilibration occlusale occupe une place prédominante dans le traitement de l’édenté complet en raison de ses aspects psychiques, physiologiques et biomécaniques. (4)Elle doit être menée sur articulateur pour le confort du patient et du praticien, et surtout pour la qualité et la précision du traitement prothétique (1,5).
C’est une étape essentielle dans la réalisation d'une occlusion précise et adaptée à la biomécanique manducatrice individuelle de chaque patient.

 

Cet article se propose de faire le point sur l’intérêt de l’équilibration occlusale des prothèses complètes amovibles  sur articulateur, ainsi que la méthodologie clinique à suivre.


OBJECTIFS

L’équilibration occlusale comporte deux objectifs majeurs :
objectif biomécanique: améliorer la stabilisation et la rétention de la prothèse, par la répartition adéquate des charges fonctionnelles sur l’ensemble des surfaces d’appui,
objectif neurophysiologique: obtenir une stabilisation d’origine extéroceptive (5).

 

En effet, les forces occlusales sont directement transmises à la muqueuse par les différents extérocepteurs, puis aux centres supérieurs qui génèrent à leur tour des réflexes musculaires favorables à la stabilisation prothétique (4,5).
Par ailleurs, l'équilibration occlusale participe de façon majeure à la préservation de l'intégrité de l'appareil manducateur par la régulation de l'activité des muscles masticateurs et la protection des articulations temporo-mandibulaires du patient (4).

 

DIFFÉRENTS TEMPS DE L’ÉQUILIBRATION OCCLUSALE

Quatre temps sont envisageables :
- Équilibration préliminaire : effectuée au laboratoire, à la sortie du moufle.
- Équilibration immédiate : le jour de l’insertion, les corrections n’intéressent que la position de relation centrée, ayant pour but de ne pas surcharger les surfaces d’appui.
- Équilibration secondaire : Le patient revient au cabinet dentaire 48h après l’insertion des prothèses. Après avoir écouté et analysé au mieux ses doléances, une nouvelle relation centrée est enregistrée afin d’équilibrer l’occlusion excentrée.
- Équilibration périodique : peut être nécessaire lors des visites de contrôles annuels (1,5).


INTÉRÊTS DE L’ÉQUILIBRATION SUR ARTICULATEUR

Si certains auteurs préconisent de réaliser des corrections intra buccales, celles effectuées sur articulateur présentent de nombreux avantages :
- il n’est pas nécessaire de transférer en bouche des meulages réalisés sur des moulages, puisque l’on corrige directement la prothèse montée  sur articulateur,
- si l’on travaillait sur le patient, on serait confronté à un risque permanent de dérapage, car l’adaptation neuromusculaire le pousse à retrouver une occlusion de convenance,
- en bouche, la moindre interférence travaillante provoque une bascule insidieuse des bases qui s’écartent de leurs surfaces d’appui avec apparition de faux contacts équilibrants,
- il est beaucoup plus pratique, efficace et agréable de travailler à l’abri de la salive et sans être gêné par les différentes réactions du patient,
- la relation intermaxillaire est enregistrée une seule fois,
- les prothèses sont stables et bloquées sur les modèles d’équilibration,
- la visibilité est parfaite (2,5,6).

 

RÉALISATION PRATIQUE

Matériel :

- L’articulateur semi-adaptable, très pratique, comportant sur chaque boîtier condylien un verrouillage efficace en relation centrée et des vis de blocage en propulsion,
- Les marqueurs : papiers à articuler synthétiques fins (de l'ordre de 8 à 16µm), ou des soies dentaires portées par des pinces de Miller. Trois couleurs de marqueurs différents seront utilisées,
- Les meulettes sur pièce à main, des pointes abrasives vertes au carbure de silicium ou des fraises diamantées flamme,
- Les meulettes blanches en caoutchouc réservées au polissage (2,7,8).

 

Diagnostic occlusal :

La relation centrée est enregistrée en assurant une parfaite déconnexion des surfaces occlusales maxillaire et mandibulaire grâce à l’interposition d’une cire suivant une technique parfaitement codifiée par AG Lauritzen, avant d’être remise au point par Tench en 1926, d’où l’appellation «mordu de Tench» ou tout  simplement «tench» (2).


Au préalable, les prothèses sont insérées en bouche, deux cotons salivaires sont placés entre les arcades au niveau des premières molaires (Fig.1). Le patient serre modérément pendant environ 5 minutes. Ceci permet aux prothèses de se plaquer sur la surface d’appui et d’effacer temporairement les réflexes occlusaux. La prothèse mandibulaire est retirée, le patient reste bouche entrouverte (5,8,9).


La cire employée la cire Aluwax grâce à la précision des enregistrements occlusaux. En effet, cette cire comporte une charge de poudre d’aluminium qui réduit son fluage par effet mécanique. Elle est souple à 50°C, en revanche elle est parfaitement dure et cassante à la température ambiante.

 

Deux bandes de cire aluwax sont collées sur les dents postérieures.Deux languettes de cire Aluwax de 35 x12mm sont découpées, ramollies et utilisées pour recouvrir les secteurs latéraux de la prothèse mandibulaire, ensuite la prothèse est refroidie dans de l’eau glacée avant d’être réinsérée en bouche (Fig.2). On explique au patient la manœuvre prévue, puis on le guide dans un mouvement de fermeture en relation centrée. Il faut obtenir une relaxation totale du patient qui doit laisser manœuvrer sa mandibule en rotation pure jusqu’au contact des dents maxillaires avec la cire.

Le patient ne doit pas fermer sur la cire ; il faut toujours interposer un doigt entre les arcades quand les deux prothèses sont en bouche, avant et après ces manœuvres. Puis on réchauffe la cire (2,5).
- La prothèse mandibulaire est réinsérée dans la cavité buccale, le praticien la maintient sur la surface d’appui. Il guide alors la mandibule en relation centrée par de petits mouvements d’ouverture et de fermeture sans que les dents n’entrent en contact avec la cire. Le guidage vers la relation centrée doit avoir lieu lors du mouvement d’ouverture alors que la fermeture s’effectue de manière passive.
- Lorsque le praticien juge que le mouvement s’effectue de manière harmonieuse, la prothèse mandibulaire est amenée au contact des dents maxillaires qui pénètrent la cire Aluwax®. Le praticien appuie délicatement sur le menton, de bas en haut, pour obtenir des indentations (Fig.3) (2,4).
 

 

Enregistrement de la relation centrée.
Indentations peu profondes et symétriques.

 


Les prothèses sont  retirées de la cavité buccale et les indentations enregistrées sont examinées. Le praticien procède alors à la validation de l’enregistrement, les contacts doivent être nets, peu profonds (de 0,5 à 1mm) et symétriques en nombre et en position ; aucune perforation n’est tolérée (Fig.4) (5).

 

Mise en articulateur :

Réalisation d’une clé de montage en plâtre avant la mise en moufle.Avant le remontage des modèles maxillaires sur articulateur, deux étapes sont nécessaires :
Réalisation d’une clé de montage.
Avant la mise en moufle, une clé en plâtre est préparée sur articulateur. Il  s’agit d’une empreinte des surfaces occlusales des dents maxillaires, sur un socle en plâtre monté sur un galet de montage fixé à la branche inférieure de l’articulateur ou par l’intermédiaire d'une table de montage (Fig.5).


Après polymérisation des prothèses, cette clef permet de mettre en évidence d’éventuels déplacements des dents ; et de replacer la prothèse maxillaire sur articulateur (5).
Réalisation des modèles d’équilibration.
L’intrados de chaque prothèse légèrement vaseliné est positionné et enfoncé sur une quantité de plâtre suffisante pour obtenir une hauteur de socle convenable (Fig.6).

 

 

Réalisation des modèles maxillaire et mandibulaire en plâtre à prise rapide.
 
Préparation de la fourchette de l’arc facial. - a : utilisation d’une feuille de cire Moyco. - b : centrage de la fourchette en bouche. - c : contrôle du centrage.

 

 

Remontage des modèles.
Le transfert du modèle maxillaire se fait à l'aide d'un arc facial :
- Préparation de la fourchette de l’arc facial avec de la cire moyco (Fig.7a),
- La fourchette est portée en bouche après avoir chauffé la cire et inséré la prothèse maxillaire (Fig.7 b),
- La prothèse maxillaire doit être stable sur la fourchette (Fig.7 c),
- Mise en place de l'arc facial (Fig.8),

- Transfert de l’arc facial et du modèle maxillaire sur articulateur (Fig. 9)(8,10),
- Enregistrement de la relation centrée à l’aide de l’articulé de Tench,
- Montage de la prothèse mandibulaire sur articulateur, la tige incisive ayant été réglée à + 1 ou + 2 graduations selon l’épaisseur de la cire Aluwax® (Fig.10)(2,4).

 

 
Transfert de la prothèse maxillaire  à l’aide de l’arc facial.
 
 
Transfert de la prothèse maxillaire.
Montage de la prothèse mandibulaire sur articulateur.


 

DIAGNOSTIC OCCLUSAL PROPREMENT DIT

L’occlusion bilatéralement équilibrée suppose en relation centrée, une intercuspidie précise des dents postérieures sans contact des dents antérieures; et dans toutes les positions excentrées, des contacts équilibrants associés aux impacts travaillants (7, 11).
Classiquement, les cuspides supports ou primaires (palatines maxillaires et vestibulaires mandibulaires), gardiennes de la dimension verticale et de la relation centrée, doivent être préservées. Seules les cuspides guides ou secondaires (vestibulaires maxillaires et linguales mandibulaires) peuvent être retouchées (2,12).

 

Réalisation des meulages :

Elle se déroule en deux étapes : les corrections en relation centrée suivies des corrections lors des mouvements excentrés (13,14).
Equilibration en relation centrée :
Axée sur les dents antérieures et les dents postérieures, les objectifs des corrections en relation centrée sont doubles (3).
Dents postérieures :
- Déplacer les sommets cuspidiens pour les positionner en regard de leurs fosses ou embrasures antagonistes, en remodelant les versants cuspidiens qui entourent le sommet cuspidien pour le placer dans sa fosse ou embrasure antagoniste.
- Si le sommet cuspidien est bien placé, ne jamais raccourcir la pointe cuspidienne, mais approfondir la zone de réception antagoniste, excepté si les sommets cuspidiens ne sont pas dans la courbe générale de l’arcade, dans ce cas  ils doivent être corrigés.

 

Dents antérieures : aucun contact ne doit exister entre le bord libre des incisives et canines mandibulaires et la face linguale des dents antagonistes. Les corrections vont viser le bord libre des dents mandibulaires mais aussi la face linguale des dents antéro-maxillaires (Fig.11)(3,4,5).

 
Les contacts occlusaux sont matérialisés par un marqueur noir. - a et b : Contacts occlusaux en occlusion de relation centrée avant équilibration. - c : Contacts postérieurs généralisés après équilibration.


Equilibration en mouvements excentrés :

L’objectif est d’obtenir une occlusion bilatéralement équilibrée où l’ensemble des versants cuspidiens des dents postérieures glisse harmonieusement (3,15).

 

Propulsion :
Dents postérieures :
- Ne jamais éliminer un point de contact en rapport avec l’occlusion de relation centrée,
- En propulsion, les corrections portent sur les versants cuspidiens distaux maxillaires et mésiaux mandibulaires, de préférence aux dépens des cuspides secondaires.

 

Dents antérieures :
- Corriger la face palatine des dents antéro-maxillaires, si les bords libres sont en contact,
- Corriger les bords libres mandibulaires ou maxillaires en l’absence des contacts entre les dents postérieures (Fig.12).

 
Les contacts occlusaux sont matérialisés par un marqueur bleu. - a et b : Contacts occlusaux en propulsion avant équilibration. - c : contacts bien répartis après équilibration occlusale.


Latéralités :
Travaillante :
- Ne jamais toucher aux points d’occlusion de relation centrée,
- Les corrections portent sur les cuspides secondaires, au niveau des versants mésiaux supérieurs et distaux inférieurs.
Non travaillante ou « balançante »:
- Ne jamais éliminer un contact en occlusion de relation centrée,
- Les corrections portent toujours sur les versants internes des cuspides vestibulaires mandibulaires, dans une direction disto-vestibulaire (Fig.13)(3,4,5).

 
Les contacts occlusaux sont matérialisés par un marqueur rouge. - a : Contacts occlusaux vestibulaires du côté travaillant, gauche dans ce cas. Contacts équilibrants sur les cuspides palatines du côté non travaillant. - b : Contacts obtenus après équilibration occlusale.

 
Polissage :

Un polissage soigneux des surfaces occlusales est indispensable, avec des meulettes blanches en caoutchouc; avant d’insérer les prothèses en bouche (2,12).


CONCLUSION

L’équilibration occlusale des prothèses totales bimaxillaires est une nécessité fonctionnelle et biomécanique. Elle ne peut être conduite avec une rigueur suffisante que sur articulateur, après réenregistrement d’une relation intermaxillaire.
Bien menée, elle garantit la stabilité des prothèses complètes amovibles ;  en outre, elle offre au patient le confort optimal pendant l’accomplissement des différentes fonctions orales.


BIBLIOGRAPHIE

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