H. CHELLY*, M. JABRI**, F. KADIRI, IA. CHEKKOURY, Y. BENCHAKROUN*
* Service d’ORL et de Chirurgie cervico-faciale
** Service d’Odontologie Conservatrice
CHU Ibn Rochd – Casablanca

 

RÉSUMÉ

La réalisation de soins dentaires sur les dents sinusiennes expose au dépassement des produits d’obturation canalaire, pour peu que les précautions d’usage lors de ces soins ne soient pas respectées. Les auteurs passent en revue différentes situations de corps étrangers d’origine dentaire et proposent des attitudes rationnelles de prise en charge, en insistant sur la contribution de l’imagerie dans le choix de la marche à suivre.

Mots–clés : Dépassement canalaire, sinusite maxillaire, endodontie, méatotomie.

 

CE QU’IL FAUT SAVOIR

Rapports :
Le sinus maxillaire est une cavité paire , pneumatisée, creusée dans l’épaisseur du corps de l’os maxillaire, limitée en bas par le complexe alvéolo-dentaire. Les rapports dents/sinus sont très intimes en l’occurrence pour le bloc prémolo-molaire supérieur (1).


Ostium :
Les sinus maxillaires sont annexés aux fosses nasales avec lesquelles ils communiquent par l’intermédiaire d’un orifice : l’ostium maxillaire. Il n’est pas toujours un simple orifice mais parfois un véritable canal ( canal maxillaire).
Sa taille , indépendante du volume sinusien,   conditionne la teneur en oxygène du gaz intra-sinusien. Son diamètre moyen est de 24 mm. Toute perturbation au niveau de cette zone fragile va mettre les muqueuses en contact l’une de l’autre et entraîner une diminution, voire un arrêt, du mouvement mucociliaire, ce qui explique les réactions oedèmateuses durables à l’origine du confinement du sinus maxillaire (2).


La muqueuse sinusienne :
Elle se caractérise par un épithélium cylindrique cilié et un chorion. Son épaisseur est plus réduite que celle de la muqueuse nasale et sa vascularisation moins importante. La muqueuse se défend en surface, par le drainage mucociliare de façon active.


Ventilation et drainage sinusien :
La perméabilité de l’ostium est capitale pour gérer les fonctions essentielles de ventilation et de drainage (3). La fonction mucociliaire permet le drainage efficace et continu du sinus à travers l’ostium. Elle est assurée par le déplacement d’un film de mucus sous l’action des cellules ciliées de la muqueuse sinusienne.


Dans le sinus maxillaire, le drainage s’effectue toujours vers l’ostium, rendant inefficace une méatotomie inférieure par rapport à une méatotomie moyenne.
Sous l’influence d’un processus inflammatoire (réaction à corps étranger), la muqueuse sinusienne devient le siège d’une réaction oedèmateuse , à l’origine d’une obstruction ostiale (4). L’hypoxie locale engendrée par le confinement sera à l’origine d’un ralentissement du transport mucociliaire avec stagnation du corps étranger qui entretient l’inflammation et l’infection, aboutissant au cercle vicieux que seule la chirurgie rompra.

 

Circonstances de découverte :

Lors d’un soin dentaire sur dent antrale :
- Au cours d’un traitement canalaire, un dépassement du produit d’obturation dans le sinus maxillaire occasionne une réaction inflammatoire type granulome à corps étranger variable en intensité selon la nature du produit d’obturation (pâte d’obturation, gutta, amalgame…).
- Au cours d’une extraction dentaire, l’apex fracturé peut être refoulé dans la cavité sinusienne.


Lors d’une symptomatologie pour sinusite :
L’obstruction nasale chronique unilatérale, la rhinorrhée purulente et les antécédents de soins dentaires doivent faire évoquer l’éventualité d’une sinusite dentaire.
Ailleurs, des signes indirects, mais alarmants en rapport avec la rhinorrhée postérieure (jetage postérieur) alerte le patient, tels la gène pharyngée permanente, l’enrouement matinal ou la fatigue au réveil.


 

CONDUITE A TENIR FACE A UN CORPS ETRANGER INTRA-SINUSIEN D’ORIGINE DENTAIRE

Lors d’un soin dentaire :

Obturation canalaire :

 

Fig 1 :  Radiographie panoramique dentaire mettant en évidence un apex dentaire intrasinusien responsable d’une réaction inflammatoire, visible sous la forme d’une opacité du bas fond sinusien. (Service O.R.L)  

 

Il est possible quelquefois que le dépassement reste sous-muqueux et extra-sinusien. Mais la plupart du temps, il y a perforation de la muqueuse et pénétration dans le sinus (5).
Tout d’abord, il faudra identifier la nature du corps étranger qui peut être :
- Le cône de Gutta : bien qu’il n’ait que de faibles possibilités de migration, il va engendrer le plus souvent une réaction inflammatoire localisée, génératrice d’algies sinusiennes ou faciales (6);

- La pâte dentaire composée d’un mélange eugénol-oxyde de zinc, dont la responsabilité dans la survenue d’une aspergillose sinusienne est actuellement admise (7).
- L’amalgame dentaire, matière inorganique par excellence, dont le poids et le volume constituent des facteurs limitant son acheminement spontané vers l’ostium maxillaire.
En cas de dépassement dans le sinus maxillaire, une localisation précise, à l’aide de radiographies dans les différents plans, est nécessaire.
* Radiographies rétro-alvéolaires : précisent la nature du corps étranger et confirment sa présence intra-sinusienne.
* Orthopanthomogramme : permet une étude globale des rapports des dents avec le bas-fond du sinus maxillaire et visualise le corps étranger (fig.1).

 

Fig 2 : Blondeau scanner montrant un corps étranger de tonalité métallique avec hypertrophie de la muqueuse du plancher sinusien. (Service O.R.L) Fig 3 :  Blondeau scanner mettant en évidence une réaction “ en motte ” du plancher sinusien autour de formations hyperdenses punctiformes. (Service O.R.L) 


* Tomodensitométrie des sinus en coupes frontales (Blondeau scanner).
C’est l’examen clé du diagnostic et élément fondamental permettant de prendre une attitude thérapeutique adéquate. En effet, le scanner permettra :
- de confirmer le diagnostic de sinusite en montrant le corps étranger métallique hyperdense (fig.2).
- d’apprécier l’aspect de la muqueuse sinusienne et différencier entre deux types de réaction muqueuse :
* aspect de granulome inflammatoire à corps étranger localisé au plancher sinusien, le reste de la cavité sinusienne étant bien aérée (fig.3).
* aspect de muqueuse en cadre, témoignant d’un dysfonctionnement ostial, responsable d’un défaut d’aération du sinus.
- d’apprécier le carrefour ostio-méatal, c’est-à-dire  la filière entre la fosse nasale et le sinus maxillaire.


Extraction d’une dent antrale :
Lors d’une extraction avec refoulement de l’apex dans le sinus maxillaire, l’intervention est de mise, permettant l’extraction de l’apex et l’inspection de la muqueuse sinusienne (fig.4).

Lors d’une symptomatologie de sinusite :
Il s’agira, devant un tableau clinique de sinusite, de confirmer le diagnostic par l’imagerie (scanner), et de le rattacher à une étiologie dentaire (1).
Fig 4 :  Corps étranger extrait correspondant à un apex dentaire et débris muqueux inflammatoires hypertrophiques. (Service O.R.L)

Attitude pratique :

Première situation :
Si la quantité de pâte dentaire est peu importante, devenue libre dans la cavité sinusienne, elle va migrer sous l’action de la muqueuse ciliaire vers l’ostium du sinus maxillaire et éventuellement être expulsée si son diamètre le lui permet. Il n’y aura alors pas de suite, d’où la recommandation de certains auteurs d’attendre et surveiller en cas de dépassement asymptomatique (8).


Deuxième situation :
Si la quantité de pâte est importante de telle sorte que son volume et son poids s’opposent à sa migration vers l’ostium, le corps étranger va développer autour de lui une réaction inflammatoire visant à le morceler pour faciliter son expulsion. Dans cette situation, la tomodensitométrie est nécessaire pour juger de la forme de sinusite chronique engendrée, localisée ou en cadre.
- Localisée :  Le problème est encore local et l’abord du sinus maxillaire permet son extraction. Cet abord peut se faire par voie vestibulaire de Caldwell-Luc ou  par voie endonasale de méatotomie inférieure.
- En cadre : Le problème est là davantage dû au confinement du sinus en rapport avec l’inflammation péri-ostiale. Un traitement chirurgical par voie endonasale de méatotomie moyenne permet de restaurer l’aération du sinus et d’extraire le corps étranger (9).


Troisième situation :
En cas de refoulement d’un apex dans le sinus maxillaire, l’extraction est de règle afin d’éviter le développement d’une sinusite chronique. L’accès au sinus se fera soit par voie vestibulaire classique, soit par la séduisante méatotomie inférieure.


Quatrième situation :
Aspect scannographique d’aspergillose sinusienne chez un sujet ayant des antécédents de soins dentaires, la chirurgie est de règle d’autant qu’il peut exister des formes invasives d’aspergillose. L’accès au sinus se fera de préférence par voie endonasale de méatotomie moyenne couplée selon les cas à une méatotomie inférieure.

 

Mesures préventives :

Le traitement canalaire doit être réalisé avec la plus grande rigueur afin d’éviter les incidents dus au dépassement intra-sinusien.
Ainsi, ces recommandations font l’unanimité des praticiens
- La détermination de la longueur de travail et le respect des différentes étapes du traitement canalaire (10,11). Différentes méthodes ont été proposées pour mesurer cette longueur : radiographies rétro-alvéolaires, localisateur d’apex.
- L’ajustage du maître cône  qui doit présenter une résistance au retrait, et une butée apicale ce qui prévient le dépassement de matériaux d’obturation (12,13).
- L’utilisation de produits d’obturation bio-compatibles et stables dans le temps (Gutta).
- La concertation avec un otorhinolaryngologiste en cas de complications  par dépassement canalaire. L’attitude sera aussi fonction des antécédents rhino-sinusiens du patient.

 

CONCLUSION

Les corps étrangers d’origine dentaire sont souvent rencontrés en pratique quotidienne. L’omnipraticien se doit de prendre les précautions nécessaires pour que le traitement canalaire se passe sans incidents, en respectant les particularités anatomiques rencontrées.
L’attitude face à un dépassement est à discuter cas par cas, en collaboration avec le praticien otorhinolaryngologiste.

 

RÉFÉRENCES

1 - CHELLY H., JABRI M., BENHADDOU A. et Coll.
Les sinusites maxillaires d’origine dentaires : du diagnopstic au traitement.
Le Courrier du Dentiste, 1999,1,5-8.
2 - FOMBEUR J.P, EBBO D.
Les sinusites :du diagnostic au traitement
Monographie du CCA Wagram, III, IX, Ed. 1997
3 - JANKOWSKI R., BRUHIER N.
Sinusites maxillaires d’origine dentaire
JF ORL, 1993, 42, 3 ,207-212.
4 - MERCIER, BILLET, FERRIER, PIOT
Le dépassement de l’obturation radiculaire dans le canal mandibualire et le sinus maxillaire.
Chir. Dent. France, 1994, 727, 9-13.
5 - KLOSSEK JM., FONTANEL JP.
Sinusites maxillaires.
Encycl.Méd.Chir.(Paris, France)Otorhinolaryngol., 1994,20-430-A10.
6 - VENE M. , MEDIONI JP
Complications des traitements radiculaires..
E.M.C (Paris, France) Stomatol. Odontol., II, 1994,23-060-A10, 4p.
7 - CHEYNET F.
Sinusite maxillaire d’origine dentaire, diagnostic et principes de traitement.
Chir. Dent. Fr., 1991,61(550), 27-32.
8 - BUSER D., HOTZ P.
Complications engendrées par un dépassement lors d’obturations canalaires.
Rev. Mens. Suisse Odontostomatol., 1990,100,10,1191-1193.
9 - PARSONS D.
Chronic sinusitis : a medical or surgical disease ?
Otolaryngologic clinics of North America, 1996, 29 ,1, 1-9.
10 -  HAWRICH C.
Les concepts actuels de la détermination de la longueur de travail.
Inf. Dent., 1992,24,2081-2085.
11 -  CLAISSE A.
Choix des limites apicales de préparation et d’obturation.
Réal. Clin., 1992,3,1,69-77.
12 -  ALBOU J.P
L’ajustage du maître cône : une étape déterminante et incontournable.
Inf. Dent., 1995,24,1863-1867.
13 -  LAURICHESSE E.
Choix et mesure des limites de préparation canalaire.
Rev. Fr ; Endo.,1994,13,2,67-69.

 

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