B. BOUSFIHA
Service de Pédodontie Prévention.

Faculté de médecine dentaire de Casablanca - Maroc
Université Hassan II

 

RÉSUMÉ

Les traitements par quadrant permettent une rapidité et une efficacité des soins dentaires chez l’enfant, lorsque celui ci est coopérant. La réussite de l’anesthésie et l’isolement parfait des dents par un champ opératoire constituent les deux éléments clés du succès des traitements par secteur.

 

 Ces deux étapes préalables aux soins seront décrites dans cet article et les différents traitements ainsi que les matériaux utilisés seront présentés à travers un cas clinique suivi au service d’odontologie pédiatrique du centre de consultation et de traitement dentaire de Casablanca.

 

 Malgré les campagnes de prévention et d’éducation en hygiène bucco-dentaire menées par le ministère de la santé publique, le taux de prévalence de la carie reste élevé chez l’enfant (1). Ces lésions carieuses sont essentiellement dues à une mauvaise ou absence d’hygiène buccale, à une consommation importante et fréquente d’aliments et de boissons sucrés et aussi à la susceptibilité des surfaces dentaires de l’hôte (2).
Les polycaries ( atteinte carieuse de plusieurs dents ) représentent une des principales formes cliniques de la carie chez l’enfant (3) et nécessitent des traitements lourds avec souvent le recours à l’anesthésie générale (2).


Le traitement par quadrant consiste à traiter en une séance 2 ou 3 dents du même secteur chez des enfants présentant des caries proximales jumelles ou chez des enfants atteints de polycarie. L’objectif principal de ces traitements par quadrant est la rationalisation des gestes thérapeutiques et la diminution du nombre de séances (4).

 

Les soins dentaires réalisés ainsi que les matériaux utilisés seront illustrés à travers un cas clinique ayant bénéficié de traitements par quadrant au service d’odontologie pédiatrique.
Avant de présenter le cas, il est important de décrire les étapes préliminaires et indispensables à ces thérapeutiques notamment la préparation de l’enfant lors de la première visite, ensuite sa préparation à l’anesthésie et à la pose de la digue. Avantages et indications de ces traitements par quadrant seront également cités.

AVANTAGES

La dentisterie par quadrant chez l’enfant présente beaucoup d’intérêt, elle va permettre au chirurgien dentiste :
- d’être plus rapide dans la réalisation des soins et constitue donc un précieux gain de temps pour l’enfant, les parents et le praticien.
- d’être plus efficace en traitant 2 ou 3 dents du même secteur et donc de diminuer le nombre d’anesthésie locale ou loco-régionale.
- d’avoir de meilleures relations praticien / parent / enfant vu les avantages cités auparavant.


INDICATIONS

Les traitements par secteur seront indiqués chez des enfants :
- atteints de plusieurs caries dentaires ou à polycarie
- coopérants. Il est difficile de faire accepter de tels traitements pour des enfants non coopérants.
- Présentant un bon état général et sans contre indication de soins sous anesthésie locale ou loco-régionale.


PRÉPARATION DE L’ENFANT

* La Première visite :
Normalement, lors de cette première visite, s’il n’y a pas d’urgence, il ne faut pas réaliser de soins (3). Cette séance de désensibilisation (5) sera consacrée à l’examen clinique de l’enfant ( interrogatoire sur l’anamnèse et l’état général, examen clinique exo, endobuccal et examen radiographique ), à sa familiarisation avec le fauteuil et les instruments afin de supprimer la sensation de peur liée à l’inconnu et afin de gagner sa confiance (6).
Il faut insister également, lors de cette première séance sur la prévention et la motivation à l’hygiène bucco-dentaire, lui apprendre la technique de brossage et lui recommander une alimentation variée avec réduction de consommation de sucreries surtout en dehors des repas.


* L’anesthésie :
L’anesthésie locale et loco-régionale favorise les soins par hémi-arcades et permet la remise en état bucco-dentaire dans les meilleures conditions et en un nombre réduit de séances.
En odontologie pédiatrique, plus que dans tout autre domaine de la dentisterie, l’anesthésie est un préalable aux actes dentaires. Elle doit être réalisée à chaque fois que le soin va générer une sensation douloureuse, c’est pour cela qu’il faut la faire en début de séance et non pas après avoir éveillé la douleur (7).
Il est toujours utile de faire précéder cette anesthésie par une anesthésie de contact de préférence sous forme de gel pour diminuer la sensation désagréable de l’aiguille (3-7).


Pour préparer le jeune enfant à l’anesthésie, acte indispensable et aussi le plus délicat, il faut :
- Avant l’injection : le rassurer, lui dire ce qu’on va faire mais sans montrer l’aiguille. En général, l’enfant surtout lorsqu’il est jeune ( 3 à 6 ans ) accepte mieux l’anesthésie quand il n’a pas vu l’aiguille (7), c’est pour cela qu’il faut la passer en dehors de son champ visuel. Les termes négatifs tels que " piqûre ", " avoir mal " ne doivent pas être utilisés. Il faut également avant l’injection, le prévenir des sensations désagréables " de picotement et de fourmillement " qu’il peut ressentir après l’anesthésie.
- Pendant l’injection : et tout au long de l’injection, parler au jeune patient, apaiser son appréhension, l’aider à contrôler sa respiration et l’encourager à poursuivre en gardant au maximum le contact par le regard. Pour éviter tout mouvement brusque imprévisible, il faut durant cette injection entourer la tête de l’enfant par le bras du praticien.
- Après l’injection : retirer rapidement l’aiguille et lui montrer au miroir que le gonflement et les fourmillements qu’il ressent, ne sont que des sensations.


* Le Champs opératoire :
Il s’agit d’un moyen d’isolement du milieu buccal des dents à traiter. La digue reste le meilleur moyen d’isolement et aussi le moyen le plus efficace pour les traitements par quadrant. Elle revêt une importance capitale, plus grande chez l’enfant que chez l’adulte puisque l’enfant salive, bouge et s’agite plus au fauteuil que l’adulte.


Les avantages de la digue décrits par de nombreux auteurs (8-9-10-11) sont nombreux. En effet, elle permet :
- Le confort du patient en évitant, d’une part la déglutition du spray de turbine et de solutions d’irrigation et d’autre part l’utilisation encombrante pour l’enfant des rouleaux de coton ou des doigts du praticien.
- Le confort du praticien en assurant une meilleure vision et un meilleur accès par rétraction des joues, des lèvres et de la langue.
- La sécurité du patient et du praticien en prévenant l’ingestion ou l’inhalation de corps étrangers ( instruments endodontiques ).
- L’asepsie en évitant le risque de contamination salivaire, en assurant le travail à sec indispensable pour les traitements endodontiques et pour la pérennité des produits de restauration.
- Le gain de temps, la durée nécessaire pour placer la digue ( 1 à 6 minutes au maximum) (10) est négligeable par rapport au temps perdu par les interruptions de l’enfant qui veut cracher, parler et fermer la bouche.


Pour la faire accepter par l’enfant, il faut expliquer son intérêt par des termes simples ( mettre un imperméable sur les dents ). L’anesthésie papillaire est souvent utile pour éviter la douleur liée à la pose du crampon.
Le choix du crampon se fera en fonction du secteur à traiter et de la dent support du clamps. Ainsi, on peut utiliser :
- Pour les 1ères molaires permanentes : Ivory 7 ou 8.
- Pour les molaires permanentes en éruption : Ivory 14 A ou 8A.
- Pour les 2èmes molaires temporaires : Ivory 14, W5 – W3 – W8.
- Pour les 1ères molaires temporaires : Ivory 2 et 2A
- Pour les canines temporaires : Ivory 00.


L’isolation de plusieurs dents (3 ou 4) permettra le travail par hémiarcade. Les perforations grandes pour les dents postérieures et petites pour les dents antérieures sont poinçonnées en fonction du nombre de dents devant apparaître dans le champ. Le crampon est placé sur la dent la plus distale, la digue est ensuite fixée sur la dent à crampon puis les autres perforations sont passées par dessus les dents. La perforation située à l’autre extrémité généralement mésiale de la rangée tient par sa tension propre. Il existe d’autres techniques de mise en place de la digue qui ne seront pas détaillées ici.

 

Tous les soins conservateurs peuvent être réalisés lors des traitements par quadrant chez l’enfant à savoir les coiffages pulpaires, les pulpotomies, les pulpectomies, les restaurations coronaires et les thérapeutiques prophylactiques. Ces différentes thérapeutiques seront exposés à travers le cas clinique de traitement par secteur que nous allons décrire.

 

 
Fig. 1 : Vue endobuccale du maxillaire supérieur chez une patiente âgée de 5 ans Fig. 2 : Vue endobuccale du maxillaire inférieur chez la même patiente

 

 

PRÉSENTATION DU CAS

Fatem Zohra âgée de 5 ans s’est présentée au service avec des caries d’extension plus ou moins importantes sur toutes les molaires temporaires (Fig 1-2). La première séance a été consacrée à la familiarisation de l’enfant avec les instruments et à la motivation à l’hygiène bucco-dentaire. Un examen clinique et radiographique pendant cette séance a permis l’établissement du diagnostic et du plan de traitement.

 

A la 2ème séance et pour habituer l’enfant aux soins dentaires, ont été entrepris les traitements sur la 1ère et 2ème molaires temporaires supérieures droites où les atteintes carieuses n’étaient pas trop sévères. Ainsi, une pulpotomie non fixatrice à l’oxyde de zinc eugénol sur 54 et une cavité classe I sur 55 ont été réalisées. Un amalgame a été placé an niveau de la 55 et un verre ionomère au niveau de la 54 (Fig 3a-3b-3c-3d).

 

 
Fig. 3a : Secteur supérieur droit montrant une carie proximale sur 54 et une carie de sillon sur 55.
Fig. 3b : Rétrocoronaire du secteur droit. Noter la carie disto-occlusale à proximité pulpaire sur 54
Fig. 3c : Cavité d’accès sur 54 et cavité classe I sur 55.
Fig. 3d : Reconstitutions coronaires par amalgame sur 55 et verre ionomère sur 54.
Fig. 4a : Secteur mandibulaire droit avec carie disto-occlusale sur 84 et carie de sillon sur 85.
Fig. 4b : Rétroalvéolaire montrant : l’atteinte pulpaire par la carie de 84 avec élargissement desmodontal. La carie profonde sur 85.

Fig. 4c : Cavité d’accès sur 84 et cavité classe I profonde sur 85.
 
Fig. 4d : Rétroalvéolaire montrant l’obturation canalaire sur 84 et la reconstitution définitive par l’amalgame d’argent sur 85
 

 

Lors de la séance suivante, le quadrant mandibulaire droit a été traité avec pulpectomie au niveau de 84 nécrosée et cavité classe I profonde au niveau de 85 où la carie était juxta-pulpaire (Fig 4a-4b-4c-4d). Les restaurations coronaires étaient de type amalgame pour la 85 et coiffe pédodontique préformée pour la 84 (Fig 7a).

 
Fig. 5a : Secteur mandibulaire gauche. Carie occlusale sur 74. Petite lésion carieuse sur 75
Fig. 5b : Rétroalvéolaire montrant la proximité pulpaire de la carie sur la 74.
Fig. 5c : Cavité d’accès sur 74
Fig. 5d : Radiographie de contrôle 18 mois après la pulpotomie et la pose de la coiffe pédodontique sur la 74.

 

Ensuite, le secteur mandibulaire gauche a bénéficié d’une pulpotomie sur la 74 (Fig5a-5b-5c-5d). Un PRS ( système de restauration préventive ) sur la 75 a été réalisé, c’est une thérapeutique préventive avec taille de cavité limitée à la carie reconstituée par composite et recouverte avec le reste des sillons par de la résine de scellement (Fig 7a).

 

Fig. 6a : Quadrant maxillaire supérieur gauche. Carie disto-occlusale sur 64. Carie de sillon sur 65. Fig. 6b : Rétroalvéolaire montrant la proximité pulpaire de la carie sur 64 avec résorption importante de la racine distale et la carie proximale sur la 65.
Fig. 6c : Restauration à l’amalgame de la cavité classe II sur 65.  

 

 

Une semaine plus tard, le quadrant maxillaire supérieur gauche a été traité (Fig 6a-6b-6c). Après avoir cureté et reconstitué à l’amalgame d’argent la 65 qui présentait une carie mésio-occlusale, une tentative de traitement endodontique sur la 64 a été entamée. Mais, vu le saignement abondant lors du parage canalaire, il a été décidé d’extraire cette dent.

 

 Du fait de leur fragilité, toutes les 1ères molaires temporaires ont reçu des coiffes pédodontiques préformées et un mainteneur d’espace a été placé au niveau du secteur supérieur gauche pour maintenir l’espace de la 64 extraite (Fig 7a-7b).
Des visites de contrôle cliniques et radiographiques sont indispensables (Fig 5d- 8a- 8b), pour contrôler l’hygiène buccale de l’enfant, vérifier la pérennité de nos restaurations, dépister les lésions ou les récidives de carie et effectuer des applications topiques de fluor.

 

 
Fig. 7a : Reconstitutions définitives par coiffes pédodontiques préformées sur les premières molaires temporaires.
Fig. 7b : Coiffe pédodontique sur 54 et mainteneur d’espace suite à l’extraction de 64.

Fig. 8a : Contrôle 2 ans après traitement

Fig. 8b : Radio de contrôle du secteur mandibulaire droit 18 mois après traitement. Noter l’absence de manifestations pathologiques suite aux traitements.

 

 

CONCLUSION

La diminution du nombre de séance, la rapidité d’exécution des soins, l’efficacité et la pérennité des thérapeutiques effectuées sont en faveur de la réalisation des traitements des caries par quadrant chez l’enfant.


RÉFÉRENCES

1- Belhadj MJ., Zidouh A., Mahjour J. Etat de santé bucco-dentaire au Maroc, 1999. Bulletin épidémiologique 41-42, 2000 : 2-20.
2- Morrier JJ., Bouvier- Duprez D., Bittar E., Duprez JP. La carie et ses complications chez l’enfant. Encycl Méd Chir ( Elsvier, Paris ), Odontologie, 23410
C-10, 4014 C-30, 1998, 5p.
3- Fortier JP., Demars Fremault CH. Abrégé de pédodontie. Paris : Masson, 1987.
4- Bouvier D., Duprez JP., Bittar E. Traitement des polycaries par quadrant chez le jeune enfant. Rev odont stomatol, 25, 2. 1996 : 105-115.
5- Boridy M., Charland R., Bourassa M. La peur chez l’enfant au cabinet dentaire : un mal qui n’est pas sans remède. J. Dent Québec, 28, 1991 : 265-270.
6- Anastasio D., Gerard E., Nanty J., Osswald JM. Les soins dentaires chez l’enfant : Approche psychologique. Actual odont stomatol, 176, 1991 : 581-589.
7- Klapisz-Wolikow M. Laison F. Ribes D. L’anesthésie locale et loco-régionale chez l’enfant. Réal clin, 2, 1. 1991 : 99-115.
8- Langerweger CH. Mise à sec et isolation du champ de travail en Pédodontie II. Inf Dent 37, 1999 : 2747-2755.
9- Kennedy DB. Paediatric Operative Dentistry. London : wright, Bristol, 1986 : 48-60.
10- McDonald E., AveryDavid R. StokeyGK. Restorative dentistry. In Dentistry for the child and adolescent.. St Louis : CV, Mosby, 1988 : 403-434.
11- Kaleka R. La digue en dentisterie restauratrice ou comment concilier qualité et confort ? Clinic 22, 11 2001 : 23-30.

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