L. KISSI,  F. BENHAYOUNE, I. BENYAHYA
Service d’Odontologie Chirurgicale, CCTD, Casablanca
Faculté de Médecine Dentaire de Casablanca. Maroc

Université Hassan II

 

RÉSUMÉ

Le titane est actuellement le matériau de choix en implantologie orale. Connu pour son excellente biocompatibilité, un grand nombre de professionnels de santé pensent qu’il ne serait pas responsable de réaction d’hypersensibilité.

 

Néanmoins, il apparait dans de récentes études que le titane peut donner lieu à une toxicité et à des réactions allergiques immédiates ou retardées ce qui pourrait expliquer les échecs successifs d’implants dentaires qui surviennent chez certains patients.
Mots clé : Implants dentaires, allergie, titane, risque.

 

INTRODUCTION

Le titane est aujourd’hui très largement utilisé en odontologie. Ce métal est souvent rattaché au domaine de l’implantologie, or ce n’est pas son seul domaine d’utilisation puisqu’on va notamment le retrouver en prothèse (amovible ou fixe), en endodontie (pour la préparation canalaire) et en orthodontie.
En dentisterie, le titane présente de nombreux avantages par rapport aux autres métaux, grâce notamment à ses propriétés physiques et chimiques qui lui ont ainsi permis de s’imposer dans l’arsenal technique et thérapeutique.

Hormis la haute résistance qu’on lui connait ou sa grande légèreté qui lui ont permis une utilisation très importante dans l’industrie ou dans d’autres domaines de hautes technologies ; c’est son incroyable biocompatibilité qui est mise en avant dans le secteur médical.
Néanmoins, il apparaît dans de récentes études que le titane peut donner lieu à une toxicité et à des réactions allergiques immédiates ou retardées qui pourraient expliquer les échecs successifs d’implants dentaires qui surviennent chez certains patients.

 

LES FACTEURS DE RISQUE DE L’ALLERGIE AU TITANE

Le terrain génétique et héréditaire

La survenue de l’allergie nécessite deux éléments :
• un organisme prédisposé,
• l’exposition à un allergène.
On parle alors de « terrain atopique » (1).

 

La mutation génétique

Des études récentes révèlent en effet que de nombreuses allergies pourraient être dues à des mutations génétiques, plus précisément, à des mutations touchant les gènes codant pour la protéine TGF-Beta.
La TGF-bêta est une cytokine multifonctionnelle avec un grand éventail d'effets sur une variété de types de cellules.
Le dysfonctionnement de cette protéine paraît déclencher la série même de réactions en chaîne qui finit par provoquer des maladies allergiques comme l’asthme, l’allergie alimentaire ou encore l’eczéma qui est fréquemment retrouvé dans le cas de l’allergie au Titane (2).

 

Le terrain allergique

L'allergie touche plusieurs dizaines de millions d'individus dans le monde. Le nombre de personnes allergiques ne fait qu'augmenter parallèlement au nombre d'allergènes.
Les causes réelles de cet accroissement ne sont pas encore connues. On soupçonne le changement de nos habitudes de vie, la pollution ou la modification de facteurs génétiques.

Statistiquement, les sensibilités allergiques n'apparaissent pas toutes en même temps. Les spécialistes constatent que dans les deux premières années de la vie, les sensibilisations allergiques seront surtout d'origine alimentaire et s'exprimeront préférentiellement au niveau cutané (3).
Ces manifestations vont s'atténuer au cours de la vie, pour faire place aux symptômes respiratoires et oculaires. L'âge moyen d'apparition de la sensibilité pour les acariens est de 4 ans, pour les animaux il est de 8 ans, et pour les pollens de 12 ans, ce qui montre la notion de contact.

On s’aperçoit que la sensibilisation allergique est un phénomène dynamique qui va évoluer avec l'âge d’où l’importance du dépistage et de l’anamnèse médicale pour le médecin dentiste. L’anamnèse médicale en médecine dentaire et implantaire sera particulièrement détaillée lors du signalement d’épisodes ou d’antécédents allergiques.
Le praticien sera alerté et pourra suspecter un terrain allergique chez son patient avec un risque accru de développer une allergie aux produits placés en bouche (4).

 

Le stress

Le stress joue un rôle important dans le déclenchement des réactions allergiques. Le magnésium est important pour la gestion de toutes les formes de stress. Lorsque les niveaux de magnésium diminuent, l’incidence des crises d’allergie augmente.
L'environnement de l'allergique et sa maladie interfèrent : l'un et l'autre sont inséparables (4).

 

La corrosion

Les métaux utilisés en odontologie sont soumis à des variations importantes de pH au cours de la journée.
Le titane libère peu d'ions en milieu aqueux par rapport aux autres métaux et alliages utilisés en odontologie et résiste bien aux conditions environnementales acides (5).
L'étude de Schiff et coll en 2002 montre que la couche de passivation du titane pur continue à jouer son rôle protecteur dans une salive artificielle acidifiée à un pH de 2,5 (6).

 

Cependant, la diminution du pH entraîne l'augmentation du courant de corrosion (Icorr) des échantillons de titane, donc de la quantité d'ions libérés, comme le montrent les résultats de nombreuses études in vitro dont celles de Bayramoglu et coll et Strietzel et coll (7).
Ces derniers émettent l'hypothèse que la dissolution du titane in vivo peut varier en fonction des variations de pH, compliquées par les influences diverses d'acides organiques et inorganiques.

 

Influence du milieu fluoré

Cohen et Toumelin-Chemla ont étudié le comportement du titane dans une solution de Ringer pure puis dans la même solution à pH voisin de la neutralité (7,8) mais additionnée de fluorures (NaF et NH4F) en concentration identique à celle du Fluogel® utilisé en prophylaxie dentaire. Les valeurs du courant de corrosion se révèlent 12 fois supérieures dans la solution fluorée cependant la couche de passivation se forme normalement et continue à jouer son rôle protecteur (9).


Par conséquent, l'utilisation de dentifrices fluorés ne pose pas de problème car ils ont un pH neutre.
Il serait donc préférable d'éviter le contact entre des restaurations en titane et un milieu fluoré ou alors de diminuer au maximum le temps d'exposition (10,11).

 

Le couplage galvanique

Le galvanisme buccal a lieu quand il y’a une différence entre le potentiel électrique des différents métaux présents en bouche (12).

Il a été rapporté des cas d'échecs implantaires avec participation étiologique de phénomènes de couplage galvanique. Il apparaît donc essentiel de diminuer les risques de ce couplage entre un implant et d'autres métaux présents en bouche (13). Ceci passe d'abord par un choix raisonné de l'alliage constituant la suprastructure implantaire afin de ne pas mettre en péril la pérennité des restaurations (14).

Par contre, le couplage du titane au titane ou aux alliages précieux, à base d’or ou à base de palladium ne présente pas de risque de provoquer ou d'accélérer un phénomène de corrosion par crevasses (15).
Ainsi, il est recommandé de réaliser les suprastructures implantaires en titane, de manière à ce que les couples de métaux en présence soient de potentiels voisins ou en alliages précieux (16).

 

La flore bactérienne

Les études réalisées dans le domaine industriel, très touché par la corrosion bactérienne, montrent que les micro-organismes ne s'attaquent pas directement aux métaux mais modifient, par leur métabolisme, la physico-chimie à l'interface matériau-environnement (pH, concentration en oxygène, libération de complexants...) créant des conditions pouvant initier ou accélérer la corrosion.

Le calcium et le silicium auraient notamment l'effet de promouvoir un phénomène de corrosion par contrainte à la surface de l'implant après rupture du film passif engendrant la dissolution du titane dans les tissus environnants.
Les produits issus des micro-organismes comme les pathogènes parodontaux pourraient selon ces auteurs, augmenter ces réactions (17).
Enfin, la présence dans le milieu de Streptococcus Mutans ou des produits issus de son métabolisme augmente le courant de passivation (Ipass) du titane pur, ce qui diminue la résistance de la couche protectrice du métal (18).

 

LES MANIFESTATIONS CLINIQUES DE L’ALLERGIE AUX IMPLANTS EN TITANE

Les types d’hypersensibilité associés à la région oro-faciale sont le type I, III et IV.
Le type IV reste le plus fréquemment rencontré au niveau de la cavité buccale.
Il se définit comme une réaction de sensibilisation retardée à médiation cellulaire qui apparaît au moins 10 jours après une exposition à l’antigène (19).
Le phénomène d’hypersensibilisation de type IV est induit par un contact répété d’un allergène avec la muqueuse ou la peau et comprend plusieurs étapes.
La première phase a lieu lors du premier contact, qui conduit à la sensibilisation .Au cours de contacts ultérieurs, on peut voir apparaître l’expression clinique de l’allergie (20).


Cette allergie peut se manifester cliniquement par:
• Des sensations de brûlures ou de picotements de la muqueuse,
• Une sécheresse et une sensation de goût métallique voire une altération du goût,
• Un érythème de la cavité buccale,
• Un œdème labial,
• Des tâches purpuriques sur le palais,
• Des aphtes,
• Une gingivite hyperplasique,
• Une dépapillation de la langue,
• Une perlèche,
• Une éruption eczémateuse péribuccale,
• Des réactions lichénoïdes.


Des symptômes plus généraux peuvent être rencontrés de type céphalées, dyspepsie, asthénie, arthralgies, ou encore myalgie (21,22).
Le type I d’hypersensibilité peut apparaitre dans sa forme aigue entrainant un choc anaphylactique dans les formes graves (23).

 

Le syndrome de la bouche brûlante

Le syndrome de la bouche brûlante est une maladie chronique caractérisée par la brûlure, le picotement, et/ou un prurit de la cavité buccale en l'absence de toute maladie organique. Il dure au moins 4 à 6 mois et implique le plus souvent la langue avec ou sans extension aux lèvres et la muqueuse buccale et peut être accompagné d’une dysgueusie et d’une xérostomie.
Les sensations de brûlures de la muqueuse buccale représentent une plainte fréquente chez les patients allergiques à un ou plusieurs métaux (24).

 

Eczéma

L’eczéma de contact est une dermatose très fréquente due à une sensibilisation à certaines substances, ici le titane en l’occurrence.
Le diagnostic positif repose sur l’observation de la lésion qui va évoluer en quatre stades: érythémateuse, vésiculeuse, suintante, desquamative suivie d’une guérison sans cicatrice (25).

 

Les réactions lichénoïdes

Les lésions lichénoïdes de contact peuvent être dues à l’amalgame, le nickel, le cobalt, l’or et le palladium (26).
Les revues de littérature récentes citent le Titane comme étant un agent responsable de l’apparition de ces lésions (23).

 

La chéilite exfoliative

La chéilite exfoliative est une maladie inflammatoire qui affecte le vermillon de la lèvre. Certaines formes de la chéilite résultent de l’allergie et de l’exposition intra-orale du métal (27).
Elle se manifeste cliniquement par une sécheresse des lèvres associée à une desquamation chronique de la muqueuse du vermillon. Les lèvres deviennent enflammées, craquelées et parfois douloureuses (28).

 

CONCLUSION

L’allergie au titane est plus fréquente chez les patients allergiques à un autre métal ou qui ont subi un échec de prothèse orthopédique. Chez ces patients, une mise au point allergologique permettant d’exclure une allergie au titane est recommandée avant de décider un traitement implantaire d’où l’intérêt d’une prise en charge multidisciplinaire.

 

BIBLIOGRAPHIE

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